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Christophe Caupenne est ancien négociateur en chef du RAID. Il est aujourd’hui PDG de plusieurs entreprises spécialisées dans l’accompagnement de dirigeants, COMEX et managers, en négociation, gestion de crises, influence et communication, management sous tension, sûreté.
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La question de la restauration de la confiance est un serpent de mer qui ressurgit à la surface de toutes les relations humaines, à chaque fois que des conflits apparaissent, que ce soit dans l’entreprise, au niveau de la vie politique, de la finance, ou de l’économie et du commerce. Or, ce sujet est un axe de travail prioritaire pour les négociateurs de crise d’unités d’intervention, car ceux-ci sont d’emblée confrontés à une impasse relationnelle qui semble obérer toute création de confiance mutuelle entre eux et le forcené, ou avec le preneur d’otages.
Il est bon de regarder, au départ, ce que recouvre le terme de confiance. La définition commune nous précise qu’il s’agit d’une "espérance ferme, qui permet de se fier à une personne, ou une chose, avec un relatif sentiment de sécurité".
Dans l'étymologie latine, le verbe confier (du latin confidere : cum, "avec" et fidere "se fier") signifie qu'on remet quelque chose de précieux à quelqu'un, en se fiant à lui et en s'abandonnant ainsi à sa bienveillance et à sa bonne foi.
La traduction anglaise de ce terme est intéressante car, là où le français se suffit d’un terme générique qui appelle une interprétation, l’anglais dispose de deux notions, celle de trust (une confiance dans le système en place, dans l’organisation, dans le matériel déployé) et celle de confidence (qui est une confiance globale de conviction, de certitude, de fiabilité, d’assurance, de confiance en soi). Cette notion de confidence existe bien également en français, mais elle s’attache principalement à une forme de respect d’un secret partagé.
Lorsque je faisais travailler les négociateurs sur ce sujet, la difficulté d’imaginer ce qui pouvait créer de la confiance entre deux univers diamétralement opposés sautait immédiatement à leurs yeux. Par principe, un criminel n’avait aucune raison de faire confiance à un policier ou un gendarme, fusse-t-il talentueux et convainquant. Pourtant, nos statistiques d’intervention montraient que près de 80 % des affaires traitées par le RAID se résolvaient par la négociation, ce qui induisait la création quasi systématique d’un environnement de confiance. Alors, était-ce un paradoxe, ou de la chance, ou tout simplement une question de technique ?
Pour comprendre comment travailler sur la confiance, il faut souvent partir de la notion inverse, qui est beaucoup plus évidente à concevoir et qui passe par une question évidente : "qu’est ce qui pourrait créer de la méfiance, ou de la défiance?" Une multitude d’actions nous viennent alors spontanément à l’esprit : exemple, le fait de mentir, ne pas prendre la peine d’écouter l’autre, d’être inconséquent en disant une chose et en faisant l’inverse, d’être versatile ou capricieux, peureux, d’utiliser un vocabulaire trop technique afin de perdre notre interlocuteur, ou de s’appuyer sur des concepts inaccessibles, de se moquer, d’ironiser, de s’arc-bouter sur des aprioris, etc. Toutes ces choses créent de la défiance, ou du rejet.
Pour créer de la confiance, il faut donc inverser notre attitude et partir sur l’opposé de tous ces comportements : respecter l’interlocuteur, lui accorder du temps à l’écouter, être empathique, patient, parler dans un langage partagé, simple et précis, ne pas faire de promesses impossibles à tenir, refuser de se soumettre à des préjugés, etc.
Se dessine alors une liste de principes dans laquelle on va pouvoir piocher des idées afin de créer, ou restaurer, la confiance.
Un autre principe pour créer de la confiance tient en la pertinence de l’acronyme suivant, qui détermine quatre leviers utiles : AMAS (les Autorités, le Matériel ou les Process, les autres Acteurs et Soi-même).
Premier levier : Les AUTORITÉS.
Elles ont un rôle fondamental pour inspirer ou non la confiance dans une équipe ou une entreprise. Toute figure d’autorité incarne un certain potentiel d’actions et de décisions qu’elle peut mettre en œuvre. Elle conserve ce capital de départ si elle dispose d’un bon management. En revanche, elle perd ce bénéfice de départ si elle commet des erreurs, si elle défaille au niveau éthique ou en exemplarité. Lorsque l’on est face à des autorités qui prennent leurs responsabilités, qui assument leurs décisions avec courage et respect de toutes les parties, la tentation est de suivre le chemin qu’elles tracent. Souvent, la confiance trouve sa source dans la compétence de l’autorité, dans l’enthousiasme qui anime sa détermination, ou dans l’effort d’exemplarité dont elle fait preuve. C’est souvent une posture exigeante et coûteuse, en énergie et en temps, mais le bénéfice que l’on tire à inspirer confiance est un formidable levier de performance sur les équipes.
Second levier : le MATÉRIEL ou les PROCESS
Pour être en confiance, nous avons besoin de savoir, ou de croire, que le corpus de règles est adapté à notre activité, à l’évolution des mœurs, à la pyramide des âges et à son corollaire, celui des différentes générations qui composent la société et dont les aspirations et motivations sont diverses. Il en va de même de l’adaptation aux différentes cultures et croyances qui composent notre socle social. Toutes les règles qui s’attachent à ces domaines doivent renforcer la qualité du travail et la sécurité de toutes les décisions. On respecte la règle dès lors qu’elle est juste et équitable.
Il en va de même pour le matériel, dont nous savons qu’il doit être adapté et performant afin de faciliter notre travail et nous permettre d’agir en toute sécurité et efficacité. Le commandement nécessite d’oser ajuster les règles, d’oser modifier les mauvais process, de supprimer les reporting inutiles qui "embolisent" les services et notamment le travail de la hiérarchie intermédiaire, de changer les habitudes et de fournir les meilleures solutions de travail, avec des outils modernes et performants. Tout le monde a le concept de "sortir de sa zone de confort" à la bouche, mais très peu de gens l’appliquent à leurs équipes et encore moins à eux-mêmes. Cela ne doit pas rester un vœu pieu, mais devenir une routine d’apprentissage.
Troisième levier : les AUTRES
C’est-à-dire les collaborateurs, partenaires, l’équipe de travail, les services supports, etc. Pour être en confiance, il faut se connaître, savoir comment les uns et les autres fonctionnent et partager des moments de discussion et/ou de convivialité, qui permettent de se découvrir et souvent, au final, de s’apprécier. Pour restaurer la confiance, rien de tel que le prétexte d’un événement extra-professionnel pour purger quelques vieilles querelles inutiles, pour mettre les non-dits et ainsi pouvoir recréer du lien avec indulgence et prise de recul. Nous sommes des animaux sociaux, aimait à dire Aristote. Nous sommes faits pour discourir, pour échanger, pour confronter nos idées, pour nous enflammer d’un beau discours, pour nous émouvoir d’une tragédie. Nous fonctionnons en miroirs, les uns pour les autres et la confiance est l’étape ultime de la découverte de tout nouveau congénère. Avec de la cohésion, l’homme a su bâtir les plus belles merveilles architecturales ou environnementales. Rien n’a su l’arrêter dans sa quête d’exigence, jusqu’à poser un pied ou un module sur quelques astres souverains de notre système solaire.
Enfin, le dernier levier, c’est NOUS-MÊME
Il est primordial de travailler la confiance en soi avant de vouloir créer de la confiance sur quiconque. C’est un exercice difficile et pour beaucoup de gens c’est un effort contre nature, surtout chez ceux qui ont l’habitude de douter de leurs compétences, ou qui ont un fond comportemental craintif, ou dévalorisant. La confiance en soi inspire la confiance chez nos interlocuteurs. Elle est le fruit de nos diverses expériences, le fruit de ce que nous renvoie la société et les gens qui nous entourent, le fruit de notre audace, de notre caractère et de notre curiosité. La confiance en soi nécessite de s’aimer, de se respecter, d’être optimiste et de croire en notre capacité à réussir. Il convient surtout d’admettre que tout échec est possible et que chacun d’eux sert l’expérience et nous révèle une multitude d’apprentissages utiles. La confiance n’existe enfin que lorsque nous admettons qu’il nous faille être indulgent avec nous-mêmes. Le trop plein d’exigences continuelles nous enferme dans une prison de déception et d’impuissance. La confiance en soi est une démarche continue, au quotidien, sur fond d’objectivité, de patience et de bienveillance avec tout ce qui nous entoure et nous touche.
24/10/2020