Vaccination, Psychologie et Guerre Civile

Christophe de Cacqueray est Co-fondateur de Hi! conseil en sciences du comportement. Il a fait partie du programme Franco-British Young Leaders 2018.

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Michel est né en 1900 et a survécu à la mortalité infantile qui avait frappé deux de ses frères. Engagé en 1917, il a réchappé à la Grande Guerre, une chance que n’eut pas son frère aîné. Dans les années qui ont suivi, il est passé au travers de la pandémie de grippe espagnole qui allait emporter des centaines de milliers de ses compatriotes. En 1925, il est revenu entier des combats de la guerre du Rif, au Maroc. Et, lors de la deuxième guerre mondiale, c’est vivant qu’il rejoint la zone libre, après la défaite de son régiment. 

Une vie proche de la nôtre : Michel était mon grand-père et ne s’est éteint qu’en 1990. Mais dans les faits, une vie plus proche de celle vécue par ses aïeux, depuis la Préhistoire. Car, à la différence de ce que nous avons connu, sa vie fut structurée par l’enjeu d’une probabilité statistique élevée de mourir à tout moment. Se savoir un vivant en sursis faisait partie intégrante de la vie d’alors et semblait naturel.

Tout changea en Occident au lendemain de la guerre, avec les progrès de la médecine et de la diplomatie. La pression de cette probabilité statistique élevée de mourir s’évapora assez soudainement. Mais cela, sans que l’on en mesure vraiment l’impact. Songez-y : durant des centaines de milliers d’années, notre psychologie humaine s’était façonnée en fonction de cette incroyable force darwinienne qu’est la pression de la survie. La structure même de notre cerveau et son fonctionnement s’étaient construits pour répondre à cette pression. Et, brusquement, cette pression disparaît presque totalement.

Ce fait, unique dans l’histoire de l’Humanité, a créé une situation inédite où nous en sommes venus à oublier la réalité de l’instinct de survie, à oublier la force inouïe qu’il peut produire, à oublier l’impact qu’il peut avoir lorsqu’il est sollicité à un niveau collectif. Mais cette amnésie n’a pas fait disparaître pour autant les mécanismes de cet instinct. Et, dans les tréfonds de notre psychologie, Mr Hyde n’était qu’endormi.

Ainsi, quand après plus d’un demi-siècle de sérénité collective, le spectre d’une pandémie surgit soudain, nos réflexes archaïques se réveillent brutalement. Sous nos crânes, les hypothalamus se mettent en ordre de combat, les systèmes neuro-endocriniens s’activent, altérant du même coup nos fonctions cognitives. L’état de stress collectif dans lequel nous nous trouvons change chimiquement notre manière de penser et de raisonner. Et, subitement, c’est toute une société qui passe de la pensée calme et rationnelle à des comportements instinctifs et brutaux. La réflexion le cède aux réflexes, le débat aux invectives, la sagesse à la peur.

Le retour dans l’Histoire de cette question de la survie constitue en fait un bouleversement majeur auquel notre société fait soudainement face. Et pas besoin d’experts pour constater quelle confusion cela commence à provoquer aujourd’hui.

Nous n’en avons pas encore totalement conscience, mais il est primordial de noter la principale différence qui existe entre tous les mouvements sociaux que nous avons connus depuis l’après-guerre et celui que nous observons aujourd’hui entre provax et antivax : il ne s’agit plus de se battre pour conserver des acquis sociaux ou changer telle ou telle loi ; il s’agit aujourd’hui d’une question de vie ou de mort, ou du moins en est-ce la perception que nous avons : survivre au Covid pour certains, survivre à un vaccin potentiellement mortifère pour d’autres.

Ne pas avoir conscience de ce changement de nature dans les oppositions qui se cristallisent depuis quelques semaines, c’est se tromper lourdement sur ses conséquences possibles, car l’instinct darwinien de la survie, élément constitutif de notre fonctionnement psychologique, est une force sauvage, indomptable et jusqu’au-boutiste par essence. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder dans l’Histoire les réactions terribles des populations qui se sont senties menacées dans leur survie : jacqueries sanglantes des affamés antiques et médiévaux, soulèvements indiens en Amérique du Nord, radicalisation de l’Allemagne dans les années 30, développement du terrorisme islamique en Palestine ou en Afghanistan, apparition de l’IRA en Irlande du Nord, etc. Lorsque l’instinct de survie est en jeu, c’est systématiquement la civilisation qui recule.

La radicalisation à laquelle nous assistons depuis quelques semaines est saisissante. Voir tel Professeur honorable et pédagogue traiter ses contradicteurs d’abrutis, entendre le porte-parole du gouvernement promettre une vie de merde à des dizaines de millions de Français, assister à des mouvements populaires dans la torpeur d’un mois d’août : voilà des indices qui ne trompent pas sur le recul déjà amorcé de notre civilisation.

Nous sommes peut-être aujourd’hui à la croisée des chemins : soit nous continuons à entretenir la peur chez les uns et chez les autres (ou pire, des uns à cause des autres), avec le risque d’une insurrection populaire dont les conséquences pourraient bien vite rendre risible la létalité du virus ; soit nous en appelons à la liberté (et à la responsabilité) individuelle afin de maintenir une cohésion sociale réelle. Car, rappelons-le, c’est précisément la cohésion sociale qui, dans l’évolution humaine, a permis la survie et le développement de l’espèce, des origines à nos jours. La disparition de l’enjeu de la survie a fait disparaître la nécessité de la cohésion. L’individualisme est alors devenu la norme. Le retour de la question de la survie doit aujourd’hui nous pousser à repenser l’importance fondamentale d’une authentique cohésion sociale. C’est la survie de notre société qui en dépend peut-être.

Christophe de Caqueray