[Groupe K2] Les relations franco-américaines dans l'Indo-pacifique

27/04/2024 - 4 min. de lecture

[Groupe K2]  Les relations franco-américaines dans l'Indo-pacifique - Cercle K2

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Franck Amato est consultant en gestion de crise, Dirigeant & Fondateur de Project SPE.

 

Les relations franco-américaines dans l'Indo-pacifique

 

Les relations qu’entretient la France avec les États-Unis sont souvent complexes et vives, l’alliance historique qui les unit est dense dans de nombreux domaines, notamment en matière de défense et de sécurité. Parmi eux, les enjeux maritimes occupent une place importante et ont été particulièrement mis en lumière ces dernières années dans la zone Indopacifique, un espace prépondérant dans l’échiquier international où se concentrent près de 60 % du PIB mondial, 4,5 milliards d’habitants et où se joue en partie l’avenir d’un ordre multilatéral.

Selon la définition française, la zone Indopacifique s’étend de la Polynésie française jusqu’à La Réunion, et de la Nouvelle-Calédonie aux côtes de l’Afrique de l’Est, totalisant sept différentes régions et départements où sont recensés 1,6 million de citoyens français. Ces territoires octroient des Zones Économiques Exclusives (ZEE) à la France dont la ZEE dans le monde s'étend sur plus de 11 millions de kilomètres carrés.

Alors que, dans sa stratégie Indopacifique initiée en 2018, la France affiche l’ambition de se placer comme troisième voie face à la rivalité sino-américaine, ses concrétisations sont restées restreintes et essentiellement concentrées sur les aspects de défense, via la vente de matériels militaires et le développement de partenariats stratégiques. De son côté, l’implication de l'Union européenne y reste encore trop limitée bien que dotée d'une stratégie dédiée depuis septembre 2021 sous l'impulsion de la France [1].

Dans un contexte de rivalité croissante avec la Chine, le président Biden annonçait en septembre 2021 la signature d'un "partenariat trilatéral de sécurité" entre l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni. Le pacte AUKUS (Australian, UK and US partnership) comportant notamment la fourniture de sous-marins à propulsion nucléaire américains à l'Australie et, par conséquent, l’annulation du contrat de vente de sous-marins à propulsion diesel-électrique signé avec la France en 2016.

Après que cette crise diplomatique majeure ait entraîné une profonde rupture de confiance, les présidents français et américain se sont cependant engagés à « renforcer leur partenariat dans la région Indopacifique » lors de la première visite d’État sous l’administration Biden, fin 2022 [2]. Malgré cette volonté affichée de relancer la collaboration franco-américaine, celle-ci est restée absente des plus récents documents stratégiques publiés par les deux nations. En effet, les sections relatives à la zone Indopacifique de la Revue nationale stratégique française de 2022 place l’Inde, le Japon et l’Australie en tête de ses partenaires régionaux, sans mention faite des États-Unis [3]. La stratégie nationale de défense américaine[4] et sa stratégie nationale de sécurité, pour leur part, ne faisant pas mention de partenariat avec la France, l’Union européenne n’étant quant à elle mentionnée que de façon périphérique ("encouraging tighter linkages between like minded Indo-Pacific and European countries") [5].

Par ailleurs, si, à la suite de la crise AUKUS, la France fut associée plus directement aux initiatives américaines dans la région, celle-ci déclina l’invitation à rejoindre le Partenariat dans le Pacifique Bleu [6] en tant que membre, préférant un statut d’observateur. Seules puissances occidentales « résidentes » en Indopacifique, la France et les États-Unis ont pourtant de nombreux intérêts et défis en commun. Disposant des plus vastes domaines maritimes, il est vital pour les deux pays de préserver les voies de communication maritime et l'accès aux points d’appui stratégiques où sont prépositionnées leurs forces afin de pouvoir préserver leur rôle de garants d’un ordre international fondé sur le droit et du multilatéralisme.

Dans un contexte de tensions géopolitiques multiples, les États-Unis poussent l’OTAN à prendre en compte la menace chinoise et ainsi à développer une implication croissante de l’alliance dans l’Indopacifique. L’objectif de Washington étant de voir l’Europe engagée plus résolument sur la défense de son propre territoire et de sa périphérie permettant ainsi un transfert des ressources américaines vers l’Indopacifique. Opposée à cette logique, la France milite pour le développement de la stratégie européenne de coopération dans l’Indopacifique et d’un engagement plus concret de l’Union européenne[7] dans les domaines économiques et commerciaux, celle-ci reste encore faible d’un point de vue sécuritaire et de défense, bien que les membres de l’Union disposant de capacités maritimes militaire aient renforcé leur présence dans la région ces dernières années.

Compte tenu de l’ampleur et de l’urgence des défis à relever dans une région aux profondes évolutions stratégiques, et malgré les divergences, Washington n’a pas d’intérêt à se priver de son principal allié européen en Indopacifique. La France entretient en effet de solides relations avec ses partenaires locaux et conserve un véritable pouvoir d’influence régional. La marge de manœuvre est étroite mais c’est bien là que réside son rôle diplomatique et stratégique.

Sa politique étrangère non alignée doit lui permettre de s’affirmer comme puissance d’équilibre en Indopacifique en proposant une approche différente de la logique de "blocs contre blocs" sino-américaine [8]. Les revendications de souveraineté de Pékin et l’intensification de sa compétition avec Washington en font une zone d'instabilité croissante auxquelles s’ajoutent des défis persistants posés par la piraterie, le terrorisme, les trafics illicites et les conséquences du dérèglement climatique.

[1]  Rapport d'information sénatorial n° 546 (2021-2022) “Les outre-mer au cœur de la stratégie maritime nationale”, février 2022.

[2] Joint Statement Following the Meeting Between President Biden and President Macron, The White House, 1er décembre 2022.

[3] Revue nationale stratégique 2022, Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, novembre 2022, p. 44.

[4] The 2022 National Defense Strategy, US Department of Defense, octobre 2022, p.14.

[5] National Security Strategy, The White House, octobre 2022, p. 37.

[6] Statement by Australia, Japan, New Zealand, the United Kingdom, and the United States on the Establishment of the Partners in the Blue Pacific (PBP), The White House, 24 juin 2022.

[7] https://www.eeas.europa.eu/sites/default/files/eu-indo-pacific_factsheet_2022-02_0.pdf.

[8] Why France-US Relations Matter for the Pacific, The Diplomate, Guy C. Charlton et Xiang Gao, 23 décembre 2022.

27/04/2024

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