Antigone ou l’éthique à tout prix !

13/04/2025 - 5 min. de lecture

Antigone ou l’éthique à tout prix ! - Cercle K2

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Caroline Diard est Professeur associé chez TBS Education.

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Le mot éthique provient du grec « ethos » qui signifie « manière de vivre ». L'éthique est issue de la philosophie. L'éthique s’intéresse aux interactions entre l’individu, la nature et les autres hommes, à la notion de liberté, de responsabilité et de justice. Dans le monde de l’entreprise l’éthique correspond aux valeurs qui motivent les conduites et comportements professionnels et qui s’accordent avec des codes de déontologie (Diard, Dufour)[1].

Le mythe grec d’Antigone et l’éthique d’entreprise

Le mythe grec d’Antigone est le récit d’une jeune femme, qui brave l’autorité pour offrir une sépulture à son frère Polynice. Arrêtée, elle tient tête au roi, revendiquant son acte et réclamant la sanction encourue.

Ce mythe grec est repris par Sophocle puis par Anouilh avec deux prismes différents.
Pour Sophocle, le mythe représente l'affirmation du sacré contre les lois humaines et la raison d'État. Chez Anouilh, ce mythe devient l'histoire d'une jeune femme en quête d’un idéal d'absolu, rebelle et refusant toute forme de petitesses et compromissions.

Antigone porte la voix éthique des femmes et parvient à « nous rappeler que l’éthique réside dans l’agir. » (Doré et Lambert, 2015). Antigone est donc une figure de la lutte contre l’injustice. Trop orgueilleuse et jusqueboutiste, elle refuse de se soumettre et préfère être exécutée. Elle se pose ainsi en victime d’un système où la loi n’est pas forcément la morale[2].

Antigone, figure tragique de la mythologie grecque, offre ainsi une réflexion pertinente sur l’équilibre entre les règles, les valeurs humaines et l’autorité.

Dans le monde de l’entreprise, la question des valeurs et de l’éthique est souvent soulevée. Certains individus, font passer l’éthique avant tout, désireux de contribuer à un monde plus équitable et plus juste.
Certains s’érigent en lanceurs d’alerte, faisant passer leurs convictions et leur quête de justice avant tout, quand d’autres au contrainte se soumettent à des compromissions souvent par intérêt. C’est la loi du 9 décembre 2016, dite loi Sapin II[3]   sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique qui a posé les bases du statut du lanceur d’alerte. ((Article 6 de la loi Sapin 2, modifié par la loi Waserman de 2022).  Ensuite,  la loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte, dite "loi Waserman", transpose la directive européenne tout en conservant les garanties de la loi "Sapin II". En septembre 2024, la Défenseure des droits a d’ailleurs publié son premier rapport bisannuel sur le fonctionnement global de la protection des lanceurs d'alerte.[4]

A l’inverse, dans un but de pouvoir ou de rétribution, certains collaborateurs succombent à la tentation de la facilité et acceptent de se compromettre. La corruption et la fraude sont l’expression de cette soumission. Il peut être parfois très tentant de succomber à la tentation d’une rémunération substantielle. Victor Castagnet, auteur du livre « les fossoyeurs » qui aurait refusé une indemnité de 15 millions d’euros fait figure de héros, refusant la corruption et révélant un scandale (voir le lien).

Le mythe d’Antigone à travers le prisme de la justice organisationnelle

La question de la justice organisationnelle est  centrale dans les organisations. Ce concept se réfère à la perception des employés concernant l’équité des décisions prises au sein de l’entreprise, et comment ces décisions sont mises en œuvre. Dans l’entreprise et dans la société, certains collaborateurs luttent eux aussi contre l’arbitraire et l’injuste.

Le sentiment de justice perçue influence les réactions des collaborateurs. Les recherches relatives à la justice organisationnelle expliquent ainsi quels sont les éléments d’une situation de travail qui conduisent les salariés à percevoir la situation comme étant juste ou injuste et à connaitre les conséquences de ces jugements de justice (Levy-Leboyer, Louche, Rolland, 2006). 

Justice distributive : L’équité dans la répartition des récompenses

Dans le mythe d'Antigone, en lui interdisant d’enterrer son frère Polynice, Créon applique une règle stricte, mais perçue comme injuste par Antigone, qui agit selon des principes éthiques supérieurs.

Dans le monde de l'entreprise, ce dilemme se traduit par des enjeux de justice distributive, où les employés jugent l’équité de la répartition des récompenses, des promotions et des ressources. Si une entreprise ne distribue pas ses avantages de manière équitable ou perçoit des inégalités dans l'attribution des bénéfices, cela peut mener à des sentiments de frustration et d’injustice parmi les employés. Un management juste doit veiller à une répartition équitable des ressources, au risque de nuire à la motivation et à l’engagement.

Justice procédurale : L’importance des processus transparents

Le conflit entre Antigone et Créon soulève également la question de la justice procédurale. Antigone rejette l’ordre de Créon, non seulement pour son contenu, mais aussi pour son absence de légitimité et d'équité dans son application. Dans les organisations, les individus évaluent la justice organisationnelle non seulement en fonction des résultats, mais aussi en fonction de la manière dont les décisions sont prises. Des processus décisionnels opaques ou jugés arbitraires peuvent générer un sentiment de mécontentement et nuire à la cohésion du groupe.

Les managers doivent élaborer des processus transparents, cohérents et équitables pour que leurs employés se sentent respectés et comprennent les raisons sous-jacentes aux décisions prises. Une communication claire et une prise de décision collaborative renforcent la perception de la justice et l’engagement des employés.

Justice interpersonnelle et informationnelle : Respect et transparence dans les relations humaines

Un manager qui manque de respect envers ses employés ou adopte un comportement autoritaire peut créer un climat de méfiance et de frustration.

De plus, la justice informationnelle est essentielle : cela fait référence à la transparence des informations et à la communication sur les décisions prises. Comme dans le mythe, où les motivations de Créon restent floues et autoritaires, une entreprise qui ne fournit pas des explications claires et précises sur ses décisions risque de nuire à la confiance et à l’engagement de ses employés. (Diard et al., 2024)

Conflit de valeurs : Un dilemme éthique dans la gestion d’entreprise

Le mythe d'Antigone est également un affrontement entre deux systèmes de valeurs : la loi divine de la famille et la loi humaine de l'État. Les individus sont souvent confrontés à des décisions où des valeurs personnelles, éthiques et humaines s'opposent aux exigences organisationnelles. Ils sont parfois soumis à des injonctions paradoxales produisant des conflits de rôles.

Il n’est pas rare d’avoir à jongler entre ses convictions personnelles et les attentes de l’organisation. 

Conclusion : Une gestion éthique pour une entreprise juste

En définitive, le mythe d'Antigone nous rappelle que la justice ne se limite pas à l’application stricte des règles. Les dirigeants doivent aller au-delà de la simple conformité aux procédures et prendre en compte les valeurs humaines et éthiques dans leur gestion. En conciliant les exigences organisationnelles avec un leadership respectueux et éthique, les entreprises peuvent créer un environnement où les employés se sentent valorisés, entendus et traités équitablement.

Alors que beaucoup trop d’entreprises cautionnent tacitement des comportements non éthiques, il est impératif de mettre en place des process d’information et de formation et de sensibiliser les parties prenantes.

Caroline Diard

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[1] lien

[2] lien

[3] lien

[4] lien

13/04/2025

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