Aux sources du Renseignement

Jean-Christophe Cloetens collabore au sein de l'Observatoire International pour la Paix, Section anti-terroriste.

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Le Renseignement est un sujet d’autant plus vaste que l’on découvre quotidiennement de nouvelles parutions d’articles et des publications sur ce sujet. Nous avons l’impression que tout a déjà été dit et écrit, et pourtant !

Le renseignement est un terme générique qui comprend différentes techniques et technologies spécifiques, tels que le renseignement d’origine électromagnétique, imagerie, cyber, humain.

La branche la plus "noble" et la plus ancienne de ces techniques est sans conteste le Renseignement Humain, également appelé ROHUM (Renseignement d’Origine Humaine) ou HUMINT (Human Intelligence). Ayant acquis ses lettres de noblesses depuis la nuit des temps (l’Ancien Testament de la Bible ne mentionne t'il pas les "espions hébreux" qui ont participé à la prise de Jéricho par Josué ?). Le Renseignement Humain fait aussi la part belle aux romans et films d’espionnage, participant ainsi à une approche "fantasque et fantasmée" de cette profession pour la majorité des citoyens.

Mais, finalement, loin de ces icônes stéréotypées à la "James Bond", les "armes" les plus efficaces d’un Officier Traitant (O.T) ne sont-elles pas la résilience et la psychologie ?

La résilience, car elle nécessite de s’adapter à tout type de situation, saisissant les opportunités qui se présentent ; la psychologie permettant, quand à elle, de discerner les motivations de son interlocuteur et d’influer ce dernier.

Il est important de préciser que l'effet psychologique est autant par l'O.T vers la Source, que l'inverse. D'ailleurs, "l'intellect" de l'O.T doit être puissant, pour réussir à manipuler/convaincre une Source, sans jamais perdre de vue l'objectif à atteindre, la recherche du Renseignement devant, bien entendu, toujours avoir un but (politique, stratégique, tactique, opératif...) pour une "autorité", un "commanditaire".

Certes, le métier d’Officier Traitant (responsable du traitement d’une Source Humaine "ciblée") demande des prédispositions et des facultés naturelles à l’exercice de "l’art de la manipulation". Cependant, n’allons pas imaginer que cette profession ne se base que sur les capacités naturelles de l’individu. Chaque Service de Renseignement possède son centre de formation, avec cours théoriques et pratiques, exercices et mise en situations réelles, avant de pouvoir recruter et/ou traiter sa première Source. Au cours de cette formation, le futur O.T apprend à chacune de ses erreurs, découvre la complexité de la nature humaine et les incertitudes qui en découlent. Il lui est également rappelé la nécessité de rester humble, l’orgueil ou la suffisance amenant inévitablement au manque de discernement nécessaire. Bref, cette formation permet de canaliser les facultés psychologiques et de résilience naturelles d’un futur O.T, mettant ainsi à sa disposition une sorte de "boite à outils" psychologique.

Mais comment résumer de manière pratique cette fameuse "boîte à outils" mise à la disposition des futurs Officiers Traitants, que ça soit dans la phase cruciale du recrutement (nous ne parlerons pas ici de la phase du ciblage et de l’environnement) et du traitement de la Source ?

Elle peut se résumer dans un simple acronyme qui est la base du Renseignement Humain : MICE (souris en français) et son pendant français VICE :

• MICE pour Money- Ideology-Coercition/Compromise-Ego/Émotionnel, et
• VICE pour Vénalité-Idéologie-Compromission/Contrainte-Ego/Émotionnel.

Ces deux acronymes (qui n’en forment qu’un) ne sont pas une nouveauté puisque le MICE était déjà utilisé lors de la Seconde guerre mondiale. Il regroupe l’essentiel des techniques de manipulation qui visent à inciter une personne à fournir des informations utiles au Service de Renseignement en identifiant les leviers psychologiques d’un individu.

• M (ou V) : le levier financier ou matériel. La Source reçoit une rémunération, une compensation financière ou matérielle en échange de sa "coopération".
• I : le levier idéologique. La Source partage les valeurs (politiques, culturelles, patriotiques, diaspora) ou les objectifs du Service de Renseignement et accepte de coopérer par conviction ou par engagement.
• C : le levier coercitif/contrainte/compromission. La Source est soumise à une pression ou à une menace qui met en danger sa sécurité ou celle de ses proches et accepte de coopérer par peur ou par contrainte.
• E : le levier de l’ego ou de l’émotionnel. La Source sera mise en valeur par son Officier Traitant. Ce dernier peut également agir sur le levier psychologique de l’amitié et/ou de l’amour.

Certes, ces principaux leviers psychologiques seront discernés à l’occasion d’un environnement discret de la "cible", mais il appartient à l’Officier Traitant de les utiliser dans l’objectif de recruter et de "conscientiser" la Source afin qu’elle collabore de son plein grès avec un Service de Renseignement.

La complexité de la nature humaine ne doit pas faire oublier divers aspects pouvant interférer dans ce traitement. Par exemple, il peut également se créer une forme de "complicité" entre l’O.T et sa Source, au point de faire perdre la lucidité de l’O.T sur la qualité des renseignements recueillis auprès d'elle. Quant à cette dernière, elle peut également s’avérer être un "agent double" en transmettant à son O.T des renseignements volontairement erronés.

Une Source peut également entrer dans une phase de "fabulation" et peut à ce titre exagérer ou inventer des éléments. Mais également mentir sciemment par "vengeance".

La phase de recrutement d'une Source est essentielle et peut se révéler risquée, voire dangereuse. Elle suppose une parfaite technicité de l'O.T, mais aussi une vigilance extrême et une attention de tous les instants avant, pendant et après les rencontres, ainsi que des vérifications par les Services, notamment par un suivi attentif qui passe par l’enregistrement "officiel" de la Source. D'ailleurs, Source et O.T sont sous la "surveillance" du Service initiateur, précaution sans laquelle la sécurité de la mission mais aussi de ses "acteurs" et surtout celle du Service ne sont pas assurées. 

L’Analyse, un autre volet et métier du Renseignement, est primordiale dans le cycle du Renseignement, et particulièrement en matière du ROHUM. Les analystes cherchent à confirmer ou infirmer les éléments recueillis auprès de la Source, permettant ainsi de réorienter l’O.T dans son traitement avec la Source.

En conclusion, le Renseignement est un métier qui doit demeurer très professionnel et contrôlé. Le Renseignement Humain fût pendant longtemps la principale activité des Services spécialisés. Ces dernières décennies, il fût "éclipsé" par le Renseignement Technique (qui comprend le ROEM : Renseignement d'Origine Électromagnétique et le ROIM : Renseignement d'Origine Image) jugé plus fiable. Mais les attentats du 11 septembre 2001, puis la série d'actes terroristes qui a frappé l’Europe et particulièrement la France, ont mis en lumière la nécessité du Renseignement Humain qui vient non pas en "compétition" avec le Renseignement Technique mais en complémentarité. 

Cette doctrine n’a cessé de se confirmer depuis deux décennies. Les techniques du ROHUM seront encore enseignées pendant de nombreuses années malgré la nouvelle ère de l’IA (Intelligence Artificielle) qui se profile !

Jean-Christophe Cloetens