Bataille navale au Moyen-Orient

27/03/2021 - 4 min. de lecture

Bataille navale au Moyen-Orient - Cercle K2

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L'Amiral (2s) Alain de Dainville est ancien Chef d'État-major de la Marine et membre de l'Académie de marine.

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En 2017 une frégate saoudienne, la Madina, qui participait au blocus du Yémen est endommagée dans le Bab El Mandeb. Depuis 2019 les attaques de navires marchands se succèdent dans l’espace maritime qui ceinture la péninsule arabique, 3 en 2019, 6 en 2020. Depuis 2021 ils sont traqués jusqu’en Méditerranée, victimes d’attaques, comme lors de la « tanker war » dans le golfe Persique en 1987, où les missiles et les mines  irakiens et iraniens frappaient les pétroliers servant les intérêts des deux pays. Si au début le flou entourait certaines actions, il est maintenant plus facile d’en déterminer les auteurs. 

Les cibles ont été émiriennes, japonaise et norvégienne, trois pays qui tentaient de défendre la cause de l’Iran, mais aussi iraniennes, saoudiennes, britannique, et maintenant israélienne. Elles arborent soit un pavillon national, soit de complaisance, registre fermé à l’Iran n’a pratiquement plus accès sous la pression de l’Amérique de Trump. 

Ces incidents ont eu au début une légère influence sur les cours du pétrole, qui s’atténue avec le temps faute de lien direct, et de conséquence majeure sur les flux. Dès 2019 des coalitions sont  constituées pour protéger le golfe Persique, l’une baptisée « Sentinel » sous commandement américain, l’autre, « Agenor », de l’Union européenne. Le golfe ainsi pacifié, les attaques se sont déplacées dans le nord de l’océan Indien, en mer Rouge et en Méditerranée, alors qu’en même temps continuaient les tirs de missiles et de drones sur les installations pétrolières saoudiennes, attribués aux rebelles Houthis. L’insécurité croit dans les théâtres maritimes.

En octobre  2020, un pétrolier grec heurte une mine dérivante dans le golfe d’Aden. Un mois après un autre subit des dégâts causés par des mines ventouses dans un port saoudien au sud de la mer Rouge. En décembre l’attaque à l‘ouvert de la principale base navale saoudienne, Djeddah, est menée par un drone naval. Elle visait un pétrolier, que les communiqués ont baptisé Rhine, mais quelques jours plus tard, la présumée cible naviguait en bon état de l’autre côté de la péninsule près de Dubaï. 

L’année 2021 marque un virage, car, en février, pour la première fois une cible israélienne est touchée dans le golfe d’Oman, le transporteur de voiture MV Helios Ray, propriété d’un Israélien, sous pavillon des Bahamas. Le 10 mars, le porte-conteneurs sous pavillon iranien Shahr-e-Kord est atteint à son tour par un "un engin explosif" en Méditerranée orientale. Le 26 mars c’est au tour d’un porte-conteneurs d’un armateur israélien, sous pavillon libérien, le Lori d’ être atteint en mer d’Oman. 

La tension a gagné une zone sensible, où l’OTAN a lancé une opération de sûreté maritime, « Sea Guardian », et l'Union européenne l’opération « Irini » pour faire respecter l'embargo sur les armes, imposé par les Nations unies à la Libye. La Turquie, qui revendique une ZEE dans la zone, remet en cause l’impartialité d’« Irini », en provoquant en juin 2020 un incident avec la frégate française Courbet, qui voulait inspecter un porte-conteneurs turc au comportement suspect répété.

Ces incidents maritimes qui n’ont pas de frontières trouvent leur origine dans les conflits régionaux déclarés ou en suspens, hostilité envers l’Iran, guerre au Yémen, guerre en Libye et guerre en Syrie, partage des gisements sous-marins de gaz méditerranéens, rivalités avec la Turquie. Les coalitions pacificatrices agissent au milieu des marines, turques, israéliennes et iraniennes, capables d’actions tactiquement élaborées. 

L’attitude israélienne marque cependant un tournant. Le Wall Street journal dans son édition du 11 mars 2021 révèle qu’Israël a ciblé une douzaine de navires iraniens, susceptibles de ravitailler les factions affiliées agissant en Syrie. Depuis 2019, les Israéliens les attaquent par mines ou autres armes, très probablement avec le soutien des Etats-Unis qui justifie la prudente réserve et la discrétion dont ils font preuve en cas d’événement. La marine israélienne participe à ce virage. Elle se redéploie après avoir reçu l’autorisation de l’Egypte le 20 décembre 2020 pour faire transiter dans le canal de Suez un sous-marin. Elle le base à  Eilat. Ainsi Israël qui jusque là se contentait d’une stratégie de supériorité militaire avec le soutien américain, la « Quality military edge », s’expose en s’immisçant maintenant dans la rivalité entre les puissances régionales, perse, arabe et ottomane.

En mer chacun se prépare. Le grandes puissances sont installées, à Bahreïn, Djibouti, Abu Dhabi. Les nouveaux venus cherchent une place, sur la mer rouge au Soudan pour les Turcs et les Russes, sur le golfe d’Aden dans l’île de Socotra pour les Israéliens grâce aux accords d’Abraham avec les Emirats Arabes Unis. Tout se met en place pour placer discrètement les mines au bon endroit, téléguider les drones sur les bonnes cibles, en toute discrétion, 

Il ne fait pas bon naviguer dans ces mers et océans, pour ceux qui sont liés aux belligérants. Seuls échappent momentanément à cette instabilité le canal de Suez et les détroits, car Ormuz ne peut pas fermer, tous les pays riverains ayant intérêt à le maintenir ouvert, et car le Bab El Mandeb restera calme tant que sa rive orientale yéménite sera contrôlée par le Conseil de transition du sud avec le soutien des Emirats. Ailleurs les mers qui permettent d’y accéder sont des zones à risque pour le quart du trafic mondial de conteneurs et les 5 millions de barils qui les empruntent chaque jour. Si les coalitions stabilisent le golfe Persique, les marines des pays riverains de la mer Rouge ne sont pas en mesure d’en faire autant, et laissent la voie libre aux grandes puissances maritimes, qui s’en disputeraient la surveillance si la tension montait d’un cran. Le danger est grand d’une contagion entre les différents conflits, qui risque d’entraîner la confusion et de déclencher des actions navales incontrôlées, dans toute cette zone où les cartes sont cesse rebattues, comme l’a encore montré le déploiement mi-mars d’avions F 15 saoudiens en Crète, au beau milieu de la tension gréco-turque.

Amiral (2s) Alain de Dainville

27/03/2021

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