Bienvenue dans l’ère du mensonge !

29/01/2021 - 5 min. de lecture

Bienvenue dans l’ère du mensonge ! - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

Emmanuel Bloch est Professeur Associé de l’Institut Français de Presse, Université Panthéon-Assas (Paris 2).

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Si le mensonge a existé de tout temps - n’est-il pas consubstantiel de la parole ? – néanmoins, ces dernières années, il est passé du statut de péché, de faute impardonnable, à celui de moyen d’action comme un autre. Il s’est en quelque sorte banalisé. Mais à quel prix ? Sous des prétextes "idéologiques", c’est la confiance que l’on détruit, le fondement même de nos sociétés. 

En janvier 2017, peu de temps après la cérémonie d’investiture de Donald Trump, la porte-parole du gouvernement américain, Kellyane Conway, invente en direct devant des journalistes médusés le concept de "faits alternatifs". En effet, alors que le journaliste de la chaîne NBC News l’interroge sur des affirmations ouvertement mensongères faites par la Maison Blanche sur la foule immense qui aurait été présente à cette investiture, Kellyane Conway déclare alors qu’il ne s’agit pas de mensonges mais de "faits alternatifs", c’est-à-dire qu’une vision différente de la situation vécue, mais qui aurait autant de valeur que celle affirmée par le journaliste aurait été présentée en toute bonne foi.   

Les années 2010 ont été également marquées par l’émergence des "fake news", parfois traduites par "manipulations informationnelles" en français. Là, le mensonge se trouve démultiplié dans sa portée et son efficacité par l’utilisation massive des réseaux sociaux. Cette nouvelle possibilité est massivement employée par des États pour en déstabiliser d’autres ou par des partis politiques pour faire basculer l’opinion en leur faveur. Tout le monde a bien évidemment en tête le scandale de Cambridge Analytica qui aurait détourné des millions de profils Facebook au profit de candidats politiques (aux États-Unis et en Jamaïque notamment) ou les interventions de pays étrangers documentées afin de changer des perceptions ou de modifier les résultats de processus électoraux (Russie aux États-Unis et au Royaume-Uni, Chine lors de la crise du Covid-19, mais également la France au Mali).

Si ces mensonges ont été unanimement dénoncés et parfois sanctionnés, en revanche, depuis peu, nous semblons être entrés dans une ère où le mensonge serait finalement "justifié" ou, en tout cas, c’est ce que ses promoteurs veulent croire.

Le cas le plus emblématique de ce "mensonge moralement acceptable" est sans nul doute l’affaire des masques qui a secoué la France en mars et avril 2020. Faute de masques en quantité nécessaire et dans l’impossibilité de s’en procurer rapidement, l’exécutif français n’a pas hésité à annoncer que cet équipement n’était que peu utile pour lutter contre le Covid-19... pour affirmer finalement avec force le contraire quelques semaines plus tard, dès que les stocks furent de nouveau disponibles. Si la justification de cette volte-face s’appuie parfois sur une acquisition progressive des connaissances scientifiques, les rapports des commissions d’enquête du Sénat et de l’Assemblée Nationale ainsi que certains médias n’hésitent pas à parler de mensonge d’État. Monsieur Baroin, cité dans le rapport du Sénat, va jusqu’à conclure que "[l’]on a habillé de mensonge une pénurie". 

Plus récemment, c’est au tour de l’ONG WWF de justifier à son tour le recours au mensonge. Ainsi, son rapport "Planète vivante", publié en septembre, affirma-t-il qu’en 50 ans, la population moyenne des vertébrés avait diminué de 68 %. Un titre repris tel quel par de nombreux médias alors que le rapport n’évoque cette diminution que pour les populations de vertébrés "suivies" par l’Association. Selon un article de la revue Nature publié en novembre 2020 et cité par Le Monde, cette vision catastrophiste est pour le moins discutable, le chiffre de 70 % intégrant des pourcentages portant sur des populations sans commune mesure. Selon les chercheurs de Nature, "si l’on supprime les 356 populations de vertébrés ayant connu une diminution particulièrement forte sur les 14 700 étudiées – soit seulement 2,4 % des populations –, la tendance moyenne n’est plus en forte baisse, mais en légère augmentation". Même si cet article a été quelque peu controversé par la suite, il met le doigt sur le fait que la tentation du mensonge n’est pas l’apanage des États, des multinationales ou des politiciens.  

Derrière ces mensonges ou "faits alternatifs" pour reprendre les propos de Kyllian Conway se profile souvent une intention qui se veut "idéologique". On ment aux Français pour éviter un phénomène de panique, on ment aux journalistes pour mobiliser l’opinion sur la nécessité de mieux protéger la faune. Le mensonge perdrait alors son statut de faute pour devenir, de facto, un moyen comme un autre de sensibiliser l’opinion sur une cause "noble". 

Si cette démarche peut éventuellement fonctionner à court terme – très court terme –, elle s’avère cependant rapidement destructrice avec des impacts profonds et durables. 

À la limite, le mensonge peut fonctionner dans des sociétés fondées sur la peur (dictatures) ou la foi (théocraties). Même si le mensonge est connu, la remise en question de la parole de l’autorité politique ou religieuse est alors trop risquée à titre personnel ou moralement impossible. 

Mais, dans nos sociétés modernes démocratiques et ouvertes, le mensonge ne peut fonctionner. En effet, celles-ci sont fondées avant tout sur la collaboration volontaire et l’action collective ; deux éléments qui requièrent de la confiance. Si celle-ci disparaît, c’est la fin de la collaboration et du contrat social, avec à la clé un basculement risqué vers une société de prédation, du "chacun pour soi". Or, la principale efficacité du mensonge réside avant tout dans sa capacité à détruire ce lien de confiance entre l’émetteur et le récepteur. 

Au niveau de la crise du Covid-19, cette perte confiance ne se traduit pas que dans les sondages évaluant la confiance toujours décroissante des Français envers le gouvernement. Elle apparait également distinctement dans la faible adhésion de la population française au projet de vaccination prôné par l’État. Avec 44 % de Français prêts à se faire vacciner, nous serions l’un des pays européens – avec la Russie – les plus réfractaires à cette option.

Pour les associations environnementales, l’impact du mensonge est plus subtil mais pas moins destructeur : il invite tout simplement au mieux à l’inaction, au pire à la propagation du doute quant à la réalité des enjeux environnementaux. La multiplicité des messages catastrophistes, la surutilisation de la notion d’urgence, l’avalanche de chiffres parfois contradictoires, le recours fréquent à la dramatisation n’aura finalement abouti qu’à… démobiliser. Il ne s’est jamais autant vendu de SUV en France. On continue à changer de portable tous les 20 mois environ et, cinq ans après la COP21, aucun pays n’a tenu ses engagements.

Si le mensonge n’a jamais été efficace, désormais ce n’est plus le cas. Même l’impact des "fake news" tant décriées reste à démontrer. Peut-on réellement affirmer que Donald Trump n’aurait pas été élu ou que le Brexit n’aurait pas eu lieu sans ces manipulations informationnelles ?  Aujourd’hui, la multiplication des sources d’informations et surtout la facilité de validation d’une information rendent tout mensonge difficilement dissimulable, quelle que soit l’intention finale. La morale de l’histoire – de l’Histoire devrait-on écrire – pourrait être que le mensonge ne paie pas. 

Cependant, s’il ne permet pas de cacher longtemps les faits, son efficacité est redoutable pour détruire la confiance que peuvent avoir des citoyens entre eux ou vis-à-vis de leurs institutions. Or, cette confiance est plus que le ciment de nos sociétés, c’est surtout le fondement de notre humanité. 

Emmanuel Bloch

29/01/2021

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