Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Philippe Mourouga est VP International Partner Markets, Biogen Intercontinental Region.
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Comment le prix des médicaments est-il fixé ?
Brève description des mécanismes de fixation des prix des médicaments dans le monde
La fixation du prix des médicaments est toujours un équilibre entre un bénéfice accordé à l’industrie du médicament et l’équilibre budgétaire des systèmes de santé. Qu'un contrôle strict des prix au niveau gouvernemental soit en place, comme dans la plupart des pays européens, ou qu'un système de marché plus libre soit appliqué, comme aux États-Unis. Le contrôle du prix des médicaments reste un sujet brulant et conflictuel. Dans les pays en développement, où les médicaments peuvent représenter jusqu'à 60 % des dépenses de santé et où les ménages subissent souvent le coût direct de financement, la nécessité d'une fixation des prix des médicaments juste et adaptée aux ressources financières tant des ménages que des États est une question cruciale.
États-Unis : le prix élevé de l'innovation
Le système américain de remboursement des médicaments comporte de nombreuses facettes et est relativement opaque, ce qui se traduit souvent par des prix différents pour des acheteurs différents. Les États-Unis ne réglementent pas directement les prix des médicaments, ce qui signifie que les entreprises pharmaceutiques peuvent fixer le prix qu'elles jugent approprié, comme l'a fait Gilead en 2013 en fixant à 84 000 dollars le prix d'une cure de 12 semaines de son traitement révolutionnaire contre l'hépatite, le Sovaldi, ce qui a déclenché une polémique concernant la fixation du prix des médicaments, qui perdure encore aujourd'hui. Medicaid, le programme fédéral destiné à couvrir les frais médicaux des personnes à faible revenu, bénéficie d'une remise obligatoire, mais Medicare, qui fournit une assurance aux Américains de plus de 65 ans et qui est le plus gros client de l'industrie pharmaceutique, ayant dépensé 135 milliards de dollars en médicaments en 2015, pour un total de 317 milliards de dollars de dépense totale au niveau du pays, n'est pas autorisé à négocier au niveau fédéral de manière globale (mais cela est en train de changer avec les dernières mesures de l’administration Biden). Seules les compagnies d'assurance qui ont été chargées de gérer Medicare peuvent négocier au coup par coup, mais avec des restrictions comme l'obligation de couvrir tous les traitements de six grandes catégories de pathologies. Le système d'assurance privée, qui couvre de nombreux Américains ne bénéficiant pas de Medicare ou de Medicaid, est fragmenté en centaines d'employeurs et de prestataires d'assurance différents, ce qui limite leur capacité à négocier des rabais importants. Le débat actuel entre législateurs américains est le signe que l'industrie pharmaceutique doit repenser son business modèle, spécialement sur le marché américain qui continue de représenter 50% des revenus de l’industrie.
Chine : réforme en cours de la tarification des médicaments
Ces dernières années, les autorités chinoises se sont efforcées de poursuivre le double objectif de créer un système de tarification des médicaments moins centralisé et davantage axé sur le marché, ainsi que de lutter contre les monopoles et de veiller à ce que les nouveaux médicaments soient disponibles à des prix abordables. Le Comité national pour le développement et la réforme a toujours traditionnellement défini la politique de fixation des prix des médicaments et approuvé en dernier ressort la liste des prix des produits nationaux, laissant aux comités provinciaux le choix d’établir une liste des produits remboursables pour les différentes régions. La politique de prix des médicaments mise en œuvre par le gouvernement en juin 2015 vise à passer progressivement d'un système centralisé et doublement contrôlé par le gouvernement à un marché plus indirect. De nouveaux mécanismes ont été introduits comme les nouvelles normes de remboursement pour les médicaments inclus dans le formulaire de l'assurance maladie et une tendance à s'appuyer davantage sur des processus d'appel d'offres avec des acheteurs locaux. L'introduction de l'approvisionnement basé sur le volume (VBP) en Chine en 2015 permet de réaliser des économies importantes chaque année ; par exemple, en août 2020, le VBP couvrait un total de 55 produits avec une réduction de prix moyenne de 72 %, ce qui a permis d'économiser environ 15,2 milliards de yuans. Il est important de noter que le VBP se concentre sur les génériques et les biosimilaires plutôt que sur les médicaments innovants.
Alors que le pays est en train de s'éloigner d'une réglementation centralisée des prix des médicaments, le gouvernement chinois a montré sa volonté de négocier agressivement avec les entreprises, en s'appuyant sur la taille des régimes d'assurance maladie de l'État et sur son marché pharmaceutique pour faire baisser les prix. Début 2018, la Chine a réduit de 44 % en moyenne le prix de 36 médicaments, principalement des médicaments de marque développés par des sociétés pharmaceutiques multinationales, pour qu'ils puissent être remboursés par l'assurance maladie. En 2021, la tendance était de combiner une partie de la couverture privée avec ce remboursement national, le "comment" reste encore à définir en 2023. L'accès aux traitements des maladies orphelines reste une question brûlante car peu d'entre eux ont été inclus dans la dernière liste de remboursement national (NRDL), mais cela change lentement avec le remboursement d'un des premiers médicaments indiqué pour une maladie orpheline introduit en 2021. Il est important de rappeler qu'un seuil de coût très strict est toujours appliqué de manière non formelle avant d'inclure tout médicament dans le cycle de négociation annuel.
Allemagne : une combinaison de prix libres et d'évaluation clinique
L'assurance maladie est obligatoire en Allemagne. La grande majorité de la population allemande (90 %) est couverte par l'assurance maladie légale (SHI). Les 10 % restants sont couverts par des assurances privées ou des régimes spéciaux. Le panier de biens et de services couverts par l'assurance maladie légale est défini au niveau national par la loi, en termes de principes généraux, et par le Comité fédéral mixte (Gemeinsamer Bundesausschuss - G-BA), par le biais de décisions sur les produits ou services individuels qui doivent être exclus ou inclus dans le panier. Les assureurs privés couvrent généralement un panier plus ou moins similaire, bien qu'ils soient autorisés à étendre ou à restreindre les prestations. Les patients sont généralement tenus de participer aux financement par le biais d'un taux de coassurance de 10 %. Les politiques de fixation des prix et de remboursement reposent sur les principes suivants : les médicaments délivrés sur ordonnance sont remboursés par l'assurance maladie, sauf s'ils figurent sur une liste négative tenue par la G-BA ; les fabricants sont libres de fixer leur prix au moment du lancement ; une évaluation systématique et formelle du "bénéfice thérapeutique ajouté" des nouveaux médicaments est effectuée dans les mois suivant leur mise sur le marché afin de négocier le prix en fonction de la valeur thérapeutique du médicament. Si un nouveau médicament présente un avantage thérapeutique supplémentaire par rapport aux normes de soins existantes, un prix de remboursement est négocié sur la base des prix des comparateurs appropriés (la norme de soins actuelle). Si aucun avantage thérapeutique supplémentaire n'est constaté, le nouveau médicament est inclus dans un groupe de prix de référence (Festbetrag) ou le prix est négocié pour être égal ou inférieur au prix du comparateur approprié inclus dans le panier de médicaments de référence.
France : efficacité clinique contrebalancée par la dynamique du marché
En France, le niveau d'amélioration du bénéfice médical, déterminé par la commission de la transparence, est un élément central de la démarche de fixation des prix des médicaments remboursables; en effet, il détermine d'une part le type de procédure qui s'appliquera à un médicament pour obtenir un prix, et d'autre part - et de manière connexe - le délai d'obtention du prix : plus l'évaluation est bonne, plus la négociation est rapide et plus l'accès au marché français est rapide. En effet, une échelle de 5 niveaux (à savoir l'échelle ASMR, de 1 : excellent à 5 : aucun bénéfice) définit la valeur thérapeutique relative d'un médicament. L'évaluation économique et/ou la valeur thérapeutique absolue sont marginalement utilisées. Les catégories 1, 2, 3 définissent les médicaments comme étant innovants. Dans ce cas, la procédure d'enregistrement des prix mise en place en 2003 a libéralisé la fixation des prix de ces produits pour lesquels la seule exigence est désormais la cohérence avec les prix pratiqués en Allemagne, en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni. Pour les médicaments non innovants (catégories 4 et 5), l'intervention du régulateur (en particulier pour certains médicaments présentant une très faible augmentation du bénéfice médical) est drastique, avec la nécessité de réduire le prix par rapport aux comparateurs. Le débat en cours en France se concentre sur la faible probabilité d'obtenir la note ASMR définissant le médicament comme innovant et empêchant ainsi de nombreux médicaments, évalués comme innovants dans le reste du monde, d'accéder au marché français. Cela introduit une inégalité d'accès pour les patients, car le marché français, géré essentiellement par l’Etat avec une influence majeure de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie, ne permet pas d'autres voies d'accès, telles que les assurances privées.
Royaume-Uni : analyse stricte du rapport coût-efficacité
Un système volontaire appelé Pharmaceutical Price Regulation Scheme (PPRS) est la principale pierre de touche pour la fixation des prix des médicaments au Royaume-Uni. Le PPRS est un accord non contractuel entre le ministère britannique de la santé et les membres de l'Association of the British Pharmaceutical Industry (ABPI), qui est généralement révisé tous les cinq ans. L'itération actuelle utilise un mécanisme de tarification basé sur la valeur et limite les bénéfices que les entreprises pharmaceutiques peuvent tirer de la vente de médicaments au National Health System (NHS), plutôt que les prix eux-mêmes. Le principal organisme chargé de déterminer la valeur des nouveaux médicaments de marque au Royaume-Uni est le National Institute of Health and Care Excellence (NICE). Cet organisme, lié au ministère de la santé sans lui être directement rattaché, évalue le rapport coût-efficacité des médicaments sur la base des années de vie gagnée corrigées par la qualité de vie (QALY), qui mesurent la capacité d'un traitement à prolonger et à améliorer la vie d'un patient. En règle générale, le NICE n'approuve pas la vente au NHS d'un médicament dont le coût est supérieur à 30 000 £ par QALY, bien qu'il y ait eu des exceptions. Le gouvernement britannique a également mis en place un test d'impact budgétaire, qui stipule que tout traitement qui coûterait au NHS plus de 20 millions de livres au cours des trois premières années d'utilisation déclencherait des négociations supplémentaires avec le service de santé afin d'atténuer la charge financière qui pèse sur le système de santé publique. L'un des aspects les plus critiqués de l'approche strictement fondée sur la valeur adoptée par le Royaume-Uni pour la fixation du prix des médicaments tient dans un manque de soutien à l'innovation ainsi que dans des délais importants dans la mise à disposition des traitements innovants; en effet, il n'est pas rare de voir des médicaments déjà disponibles pour les patients aux États-Unis atteindrent le Royaume-Uni avec un délai de deux ans ou plus.
Japon : limitation stricte de l'impact budgétaire grâce à un ensemble complexe de règles de tarification
Au Japon, un organisme de fixation des prix des médicaments, au sein du ministère de la santé, se charge de l'évaluation scientifique des nouveaux médicaments. Cet organisme est notamment chargé de la publication de la liste des prix de l'assurance maladie nationale (NHI) : tous les médicaments disponibles sur le marché japonais sont répertoriés dans cette liste.
Des règles complexes de fixation et de révision des prix sont appliquées dès le lancement et tout au long du cycle de vie du médicament sur le marché japonais :
- Deux systèmes coexistent en fonction de l'existence de médicaments similaires disponibles sur le marché : une "méthode de prix de comparaison" ou une "méthode de calcul des coûts".
- Le statut d'"innovateur" est récompensé par une prime, quelle que soit la méthode utilisée.
- Le prix est adapté à la situation "outre-mer", c'est-à-dire qu'il est comparé à celui des États-Unis et à une liste de pays européens.
- Un seuil budgétaire de 1 milliard de dollars est appliqué, déclenchant une baisse de prix de 25 % à tout moment après l'entrée sur le marché : chaque fois que ce seuil est atteint, la baisse de prix a lieu.
- Selon la même logique, si l'impact budgétaire dépasse de 1,5 les prévisions fournies par l'entreprise au moment de l'entrée sur le marché, une baisse de prix de 25 % est appliquée.
Depuis 2015, une série de nouvelles règles ont été introduites pour :
- permettre une sélection stricte des médicaments innovants et utiles avec une prime définie en fonction du niveau d'innovation et d'utilité. Un mécanisme clinique clair, une supériorité et une plus grande efficacité par rapport à la norme de soins et une amélioration objective du traitement de la maladie guideront la qualification d'un médicament comme innovant déclenchant l'attribution d'une prime,
- développer une approche coût-efficacité,
- harmoniser les prix des médicaments génériques et des médicaments d'origine.
Le système a pour vocation d'être transparent avec tous les prix publiés dans la liste et une qualification claire de tous les prix d'achat par les prestataires de soins de santé. Deux grands principes guident ce système de tarification : la transparence et la maîtrise des coûts. Ces principes sont combinés avec "l'accès pour tous" sans délai.
Atténuer les coûts des médicaments pour les systèmes de santé : quels sont les leviers actuellement utilisés par les autorités sanitaires ?
Impact des génériques
Un médicament générique est identique, ou bioéquivalent, à un médicament de marque en ce qui concerne la forme, la sécurité, le dosage, la voie d'administration, la qualité, les caractéristiques de performance et l'utilisation prévue. Depuis les années 90, il est largement admis que la substitution de médicaments génériques aux versions de marque plus coûteuses est une intervention cliniquement acceptable et probablement l'une des plus rentables pour préserver l’équilibre économique des systèmes de soins de santé. À l'origine, cette approche était considérée comme essentielle pour favoriser l'accès aux médicaments dans les pays émergents. Puis entre 2008 et 2015, dans le sillage de la récession économique mondiale, plusieurs gouvernements européens ont mis en œuvre des politiques relatives aux médicaments génériques pour aider à contrôler les coûts. Diverses approches ont été mises en œuvre, telles que la prescription volontaire ou obligatoire de médicaments génériques ou la fixation de prix de référence internes. Cependant, il subsiste de grandes différences dans l'utilisation et les prix des médicaments génériques dans le monde, en raison d’obstacles à l'entrée sur le marché variant d'un pays à l'autre, tout comme les politiques de fixation des prix et de remboursement. Il existe des exemples intéressants dans certains pays européens comme le Danemark, la Norvège et la Suède, qui sont parvenus à pratiquer des prix bas pour les médicaments génériques et à tirer très efficacement parti de l'entrée des génériques sur le marché pour réduire l'impact du coût des médicaments sur le système de santé. Il n'y a cependant pas de solution unique, et il existe différentes manières d'obtenir des résultats similaires. Une charge financière inacceptable pour les systèmes de santé et des retards d’accès aux médicaments, ont été deux des facteurs clefs d'une plus grande utilisation des génériques. Toutefois, la réglementation est très varie fortement entre pays et dépend de la manière dont les soins de santé sont considérés : droit humain fondamental ou besoin des consommateurs. Des facteurs politiques et culturels contribuent à expliquer les différences de politiques en matière de médicaments génériques entre les pays. Malgré des politiques efficaces visant à réduire les délais de mise à disposition des médicaments génériques, à stimuler la concurrence par les prix et à accroître l'utilisation des médicaments génériques, il n'existe pas encore de modèle de tarification durable permettant à la fois d'accéder aux médicaments innovants et d'utiliser les médicaments génériques pour optimiser l'impact économique sur le système de santé. En effet, ces dernières années, de nombreuses sociétés pharmaceutiques ont eu tendance à retarder l'entrée des génériques sur le marché en créant artificiellement de nouveaux médicaments. Toutefois, les brevets sont des outils politiques prospectifs destinés à signaler aux entreprises que le rendement potentiel de l'innovation sera proportionnel à la valeur sociale de la découverte, mais jamais supérieur à cette valeur. Au contraire, les génériques sont un moyen d'accroître la valeur du médicament pour les systèmes de santé en optimisant le rendement économique du système. La fixation des prix en fonction des coûts, avec un rendement équitable pour le fabricant de génériques, est le moyen le plus efficace d'optimiser ce rendement. Ce concept de valeur maximale d'un médicament pour un système de santé devrait être au cœur de tout futur système de tarification des médicaments. Toutefois, ce n'est pas le cas actuellement, car la croissance des prix des produits pharmaceutiques hors brevet a été démontrée dans des travaux récents où l'on a constaté que certains médicaments essentiels de l'OMS étaient vendus à des prix nettement plus élevés que ceux estimés à partir des coûts de production. De tels prix suggèrent que le marché exerce un pouvoir incompatible avec le concept de produits pharmaceutiques hors brevet disponibles à des prix proches du coût de production.
Au cours des dix dernières années, tous les pays développés ont mis en œuvre des mesures sévères de maîtrise des coûts en combinant plusieurs moyens :
- évaluation médicale évaluant le niveau d'innovation du médicament avec des critères plus stricts que par le passé,
- mesures du rapport coût-efficacité utilisant des méthodologies variées,
- réductions de prix obligatoires en fonction de l'entrée de la concurrence ou de la durée de présence sur le marché,
- plafond budgétaire obligatoire pour les nouveaux médicaments.
La combinaison de ces mesures varie d'un pays à l'autre, avec toujours le même objectif : gérer le poids croissant du budget des médicaments sur le budget de santé.
Prix de référence international : est-ce l’approche optimale ?
Un principe est au cœur du système actuel de fixation des prix des médicaments : le secret des prix et la discrimination entre les pays. La différence entre les prix « de liste », c'est-à-dire les prix visibles par le public, et les remises confidentielles négociées avec les gouvernements est l'élément clé de cette discrimination. En théorie, le prix final négocié confidentiellement reflète la capacité de paiement de chaque système de santé ; cependant, en raison de la nature secrète des négociations et de l'absence de références externes (les prix sont toujours comparés entre comparateurs et à l'intérieur d'un même pays), le prix final est tout aussi susceptible de refléter le pouvoir de négociation de l'autorité sanitaire d'un pays donné. Il en résulte des inégalités, certains pays à revenu faible ou moyen ayant des prix plus élevés que les pays à revenu élevé. Le secret entourant ces négociations rend difficile de s’assurer de l’équité économique de la fixation du prix final. Le mécanisme de prix de référence international a été introduit pour minimiser ces différences; toutefois, seuls les prix visibles sont concernés.
Définition
Le prix de référence international (IRP), également appelé comparaison des prix internationaux, prix de référence externe (ERP) ou prix de référence croisée, est défini comme "la pratique consistant à utiliser le(s) prix d'un médicament dans un ou plusieurs pays afin d'obtenir un prix de référence pour fixer ou négocier le prix du produit dans un pays donné".
L'IRP est largement utilisé dans le monde depuis les années 1990, et se concentre sur la gestion des prix individuels des médicaments, plutôt que sur le niveau de prix moyen des médicaments. Cette approche visait à réduire les différences de prix dans le but d'aider les pays ayant un pouvoir de négociation plus faible à obtenir des prix équitables de la part des entreprises pharmaceutiques.
Limites liées à l'IRP
Même si l'IRP est un outil de maîtrise des coûts largement accepté et utilisé, plusieurs limites à sa méthodologie ont été signalées dans la littérature:
- Premièrement, il se caractérise par une "dépendance à la méthode", ce qui signifie que les niveaux de prix observés sont influencés par les règles du système lui-même (par exemple, la sélection du pays, le prix du panier et les dates de révision) et que d'autres aspects du marché, tels que les besoins en matière de santé, les revenus et les coûts des soins de santé, ainsi que leurs fluctuations d'un pays à l'autre, sont ignorés.
- L'hétérogénéité des prix (par exemple, les prix usine, les PPA, les PRP) rend la comparaison des prix difficile (prix dérivé d'un calcul, approximation du prix réel).
- Les prix accessibles au public sont souvent des prix faciaux qui ne tiennent pas compte des accords lié aux volumes utilisés, car ces accords sont souvent confidentiels.
- L'absence de bases de données transparentes sur les prix peut entraîner des erreurs dans les prix publiés et donc fausser les systèmes basés sur l'IRP (comme on l'a vu récemment en Grèce où les prix publiés ont été mal calculés).
- Les révisions de prix basées sur l'IRP se produisant de manière irrégulière après la fixation du prix initial, les réductions de prix dans les pays de référence ne se traduisent pas automatiquement par des baisses de prix dans les pays utilisant un panier de référence les incluant.
- La volatilité des taux de change affectant les prix libellés en devises locales. En raison de ces limitations, l'utilisation de l'IRP peut avoir des conséquences potentielles telles que :
- un effet d'entraînement et une convergence des prix qui ne reflètent pas véritablement la capacité de paiement des systèmes de santé ou des patients.
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La possibilité d'utiliser des prix de liste inadéquats si l'industrie pharmaceutique cherche à maximiser ses revenus en augmentant artificiellement les prix de liste dans les économies développées et en utilisant ces prix comme point d'ancrage pour les négociations futures.
- L'absence d'une véritable reconnaissance de l'innovation lorsque le panier de prix est déséquilibré ou lorsque les prix (après le processus IRP) dans les économies développées ne tiennent pas compte de la nécessité de maintenir un certain niveau de dépenses pour financer l'innovation.
Ces limites imposent d'envisager à l'avenir des mécanismes de tarification différents, tels que la tarification différenciée, la tarification échelonnée ou les accords de partage des risques. Ces nouvelles approches ont leurs propres inconvénients, car il n'existe pas de moyen direct et équitable de fixer des prix différenciés pour permettre une meilleure équité budgétaire. Le présent travail plaide en faveur d'une approche plus radicale, considérant entre une distinction claire entre les médicaments innovants et les médicaments génériques : les premiers étant tarifés selon une approche de tarification basée sur la valeur, les seconds étant considérés comme un "bien commun". En effet, le but ultime de tout système de tarification est d'évaluer la valeur maximale d'un médicament pour un système de santé tout en ajustant la charge économique pour ce système. L'IRP ne permet pas cette approche équilibrée et est intrinsèquement biaisé par le marché.
Évaluation scientifique et économique : existe-t-il un compromis optimal ?
L'équilibre entre le prix et l'impact budgétaire est le sujet brûlant entre les entreprises pharmaceutiques et les autorités chargées de la fixation des prix : les systèmes actuels de fixation des prix placent le prix au centre de toute discussion et ignorent l'impact de l'organisation des soins ou des interventions non liées aux médicaments sur le coût global de la maladie. Cette évaluation en silos rend difficile l'évaluation du poids économique réel de l'introduction de médicaments innovants et introduit très souvent des biais d'évaluation conduisant à un retard d'accès lorsque les entreprises pharmaceutiques et les payeurs ne peuvent pas trouver un terrain d'entente sur l'impact réel du nouveau médicament sur la maladie ou sur son coût pour le système de santé. Ces deux dimensions sont étroitement liées (comme le montre la description de certains systèmes de tarification des médicaments). L'introduction de mesures économiques de la santé telles que le rapport coût-efficacité différentiel (ICER) est un moyen très efficace de maintenir l'impact du budget des médicaments à un niveau gérable tout en utilisant une mesure plus large qu'une simple comparaison avec un comparateur ; toutefois, il est nécessaire d'évaluer la valeur des médicaments qui ne peut être exprimée numériquement, telle que la valeur éthique et sociale. Certains médicaments orphelins, médicaments anticancéreux ou même certains médicaments innovants développés pour des maladies prévalentes telles que la maladie d'Alzheimer passeront rarement le test de l'ICER. Deux raisons principales peuvent expliquer cet effet : l'impossibilité d'inclure tous les coûts indirects dans le calcul du rapport coût-efficacité et la nécessité d'évaluer ces médicaments sur une période plus longue que celle habituellement considérée par les organismes d'évaluation (tels que HAS, NICE, FDA,..) en charge de l'évaluation scientifique et les payeurs qui gèrent les prix.
Cependant, dans la pratique, l'absence de lien entre le prix et la valeur au début de la discussion sur les prix entraîne de longs retards, principalement liés à un écart important entre le prix conçu par les entreprises pour atteindre leurs objectifs financiers et remplir leurs obligations envers les actionnaires et le prix acceptable pour les payeurs, c'est-à-dire le maintien d’un impact budgétaire supportable par le système de santé. L'absence de définition d'un "prix d'ancrage" fortement lié à l’évaluation médicale et scientifique est un problème majeur. La plupart des organismes d'évaluation émettront une recommandation sur la valeur relative du produit par rapport à la norme de soins (ASMR en France, coût par qualité au Royaume-Uni, etc.) mais ne définiront que très rarement une véritable valeur absolue qui pourrait être traduite en un "prix d'ancrage" ou un "prix de référence".
Débat actuel sur la manière de développer une approche de tarification durable
Peter Kolchinsky a défini le contrat social des entreprises de biotechnologie comme suit :"l'engagement de l'industrie pharmaceutique à développer de nouveaux médicaments (et d'autres technologies) qui deviendront génériques sans délai excessif est réciproque à l'engagement de la société à fournir une assurance maladie universelle avec des frais à la charge du patient faibles ou nuls, afin que les patients puissent se payer ce que leur prescrivent leurs médecins".
Ce concept de contrat social entre les entreprises pharmaceutiques et la société a été la pierre angulaire du développement de l'industrie pharmaceutique. Les brevets ont été, dès le début, le symbole visible de ce contrat permettant un retour sur investissement équitable avec la possibilité de soutenir la recherche par la suite. Ce contrat était fondé sur l'idée que derrière chaque médicament se cache une histoire d'innovation risquée et coûteuse, mais couplée à la possibilité, après une période définie permettant de récompenser cette innovation, de rendre ce médicament moins coûteux au fil du temps. Cette caractéristique unique n'est pas partagée par les autres services de santé, car la plupart des autres coûts restent stables ou augmentent. Il faut également rappeler qu'un médicament est un bien propre, en ce sens qu'il fait l'objet de droits exclusifs. Il est vendu sur un marché et doit être rentable. Les entreprises pharmaceutiques ne sont pas des organisations humanitaires et ne poursuivent pas les mêmes objectifs que ces dernières. Elles comptent sur la rentabilité des brevets qu'elles détiennent sur les principes actifs - les molécules - des médicaments qu'elles ont inventés.
Lorsqu'il faut près de dix ans pour mettre sur le marché une nouvelle molécule, et qu'une vingtaine de "candidats médicaments" doivent être testés avant que l'un d'entre eux ne soit finalement approuvé pour la commercialisation, il est crucial d'assurer une rentabilité maximale à ce "gagnant". Mais le principe actif médicamenteux peut aussi être considéré comme un bien commun, ou un bien public, dans le sens où chaque individu dispose d'un droit d'accès virtuel, fondé sur le droit d'être soigné, lui-même non commercial ou inaliénable. Le concept de "juste prix" pour un tel bien pourrait être de combiner une rétribution de l'innovation pendant la période couverte par le brevet et de faire du principe actif un bien non commercial à la fin de la période couverte par le brevet.
Expliquer le prix d'un médicament est un exercice complexe qui implique la prise en compte de nombreuses dimensions : temps de développement, échecs répétés, investissements multiples et de plus en plus coûteux tout au long de la chaîne de développement. Mais au-delà de cette explication, la question demeure : à qui profite le plus cette commercialisation ? L'entreprise pharmaceutique ? La société civile ? Les actionnaires ? Cette dernière catégorie (les actionnaires) semble être la moins légitime à bénéficier d'un gain lié au médicament. C'est oublier un peu vite le risque lié au financement d'une industrie à haut risque et la nécessité de donner un retour proportionnel à ce risque. Le problème se pose lorsqu'une entreprise pharmaceutique ne prend plus de risques, n'est plus innovante, mais constitue toujours une dépense élevée pour la collectivité tout en rémunérant grassement les investisseurs qui l'ont soutenue. Notre analyse du compte de résultat de plusieurs entreprises pharmaceutiques a montré la nécessité d'isoler l'investissement marketing, l'investissement de recherche et le juste retour aux investisseurs. Le marché a le pouvoir de s'autoréguler (de manière socialement responsable) en adoptant des indicateurs ESR qui permettent un équilibre entre une juste évaluation du risque et un juste retour sur investissement pour la société.
Cette vision s'inscrira dans une approche de responsabilité sociale de l'entreprise pharmaceutique en parvenant à produire de la valeur pour toutes les parties prenantes associées tout au long de la chaîne de création de valeur, avec pour résultat des gains de performance plus importants au fil du temps : au cours de la période de brevet, les investisseurs et les entreprises pharmaceutiques obtiendront le rendement le plus élevé ; après cette période, la société et toutes les parties prenantes auront accès aux médicaments définis alors comme un bien commun. Un tel accord institutionnel entre les utilisateurs peut conduire à une gestion rationnelle des médicaments considérés comme une ressource commune. Le débat actuel autour de l'industrie pharmaceutique et de la commercialisation des médicaments s'oriente vers un équilibre de Nash (comme l'illustre l'exemple du dilemme du prisonnier) qui est un jeu à somme non nulle sous la forme d'un jeu non coopératif, c'est-à-dire sans possibilité de communication entre les joueurs. Cette approche non coopérative positionne l'industrie pharmaceutique dans cet équilibre de Nash, ce qui rend le modèle commercial pharmaceutique de moins en moins viable. Au contraire, si chaque partie prenante choisissait la stratégie coopérative, les gains seraient plus importants que ceux obtenus dans cet équilibre de Nash.
17/01/2024