Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Bruno de Laigue est Directeur administratif & financier de la Société Business Partners.
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Qui paye ses dettes, s’enrichit… Un concept de bon sens !
L’explosion de la dette mondiale en 2020 (+ 233 000 milliards d’€[1] ou M€) donne le tournis et prouve notre impréparation face à La pandémie qui en est la cause[2]. Malheureusement, les remèdes mis en place sont identiques à ceux utilisés face à la crise de 2008 : créer de la dette en augmentant la masse monétaire…
"[…] Point d’emprunts, parce que tout emprunt diminuant toujours le revenu libre, il nécessite au bout de quelque temps ou la banqueroute ou l’augmentation d’imposition […]". Voilà ce qu’écrivit Turgot le 24 août 1774, tout juste nommé Contrôleur général des finances, au Roi Louis XVI. Un propos d’une étonnante actualité, près de 250 ans plus tard…
La dette n’est pas un concept nouveau.
Hérodote, historien grec de 480 avant notre ère, explique que la construction des pyramides obéra tellement les finances publiques que les pharaons ne purent rembourser leurs dettes… à tel point que l’un d’eux, pour générer de nouvelles recettes, fit appel à un procédé aujourd’hui condamnable...
La dette est nécessaire aux projets d’envergure : qu’ils soient étatiques, entrepreneuriaux ou, plus simplement, d’ordre privé.
Une dette nécessite confiance entre prêteur et débiteur et donne lieu à rémunération grâce au taux d’intérêts – fonction du risque couru et du temps de remboursement effectif.
Certaines règles strictes régissent la dette, ainsi des prêts bancaires accordés aux particuliers et aux entreprises : il ne doit pas représenter plus d’un tiers du revenu disponible pour les premiers et pas plus de la moitié des capitaux propres pour les seconds. Ces critères prudentiels évitent surendettement et défaut de remboursement.
La croissance crée la dette, et donc la monnaie : cercle vertueux s’il en est.
Aujourd’hui, le phénomène s’est inversé : la monnaie crée la dette pour permettre la croissance. Conception de la monnaie qui n’a plus de sens[3] et qui entraîne une fuite en avant dangereuse pour l’Occident. Pour preuve : nous subissons de plein fouet la pandémie car la dette nationale d’avant crise, publique et privée réunies, était déjà pléthorique[4]…
La France a emprunté 1 M€ par jour en 2020[5]… pour faire face à l’arrêt quasi-total de l’économie hexagonale. Certes, cette injection d’argent a permis de soutenir l’économie, à commencer par celles qui en sont le cœur : les entreprises. Financement du chômage partiel, report des échéances sociales et fiscales, Prêt Garanti par l’Etat (PGE)…
Ces mesures, destinées à soutenir la croissance, sont uniques mais inquiétantes.
Uniques car jamais la "planche à billets" n’a autant fonctionné : même l’Europe s’y est mise en créant un plan de relance de 750 000 M€[6] pour ses États membres. Ces actions sans précédent sont parfois menées à fonds perdus : à titre d’exemple, sur les 132 000 M€ de PGE consentis par l’État français aux entreprises, le risque d’un non-remboursement de ces PGE avoisine les 6 %, soit près de 8 000 M€ à la charge de l’État[7] - donc du citoyen…
Inquiétantes car l’Occident fonctionne en "roues libres" : les dettes étatiques deviennent abyssales, sans générer une véritable croissance, avec des taux proches de zéro, voir même négatifs… De ce fait, le coût de la dette diminue, engendrant des économies sur les dettes existantes – économies rarement investies dans des projets d’avenir… En revanche, la dette en elle-même ne cesse d’augmenter.
Alors, que faire ?
Dans un ouvrage récent[8], produit par le Cercle Turgot et piloté par Philippe Dessertine, plusieurs économistes de renom ont mené une réflexion approfondie sur le sujet. Les analyses divergent et se complètent mais tous sont unanimes : la croissance occidentale est en forte baisse, obérant les dépenses d’investissement (donc d’avenir). Les profonds changements de paradigmes que nous vivons, aussi bien en termes sociétaux, financiers que technologiques, en sont certainement la cause. Et il faut bien reconnaître que nos dirigeants politiques ont une fâcheuse tendance à raisonner sur le court terme, alors que toutes ces questions sont à traiter sur un temps long.
Certains sont favorables à la création de "monnaie hélicoptère" (Milton Friedman) alors que d’autres sont pour l’effacement de la dette[9], sans pour autant supprimer la création monétaire correspondante, permettant ainsi de revenir au cercle vertueux de la dette publique.
Le rôle de cette dernière est bien d’amplifier la croissance par le financement des investissements dits d’avenir (économie numérique, transition écologique, enseignement, militaires, etc.). Il n’y a pas de bonnes dettes publiques sans une dépense publique maîtrisée. Or, aujourd’hui, celle-ci atteindrait plus de 60 % de notre PIB selon l’iFRAP5. De quoi être inquiet…
Et ce n’est pas un cadeau fait aux générations futures, car nous leur demandons, de facto, de supporter financièrement notre incapacité à anticiper des crises endogènes ("subprime" de 2008) et exogènes (Covid-19).
Turgot, encore lui, continua ainsi sa réflexion dans le courrier déjà cité : "[…] pour remplir ces trois points[10], il n’y a qu’un moyen. C’est de réduire la dépense au-dessous de la recette, et assez au-dessous pour pouvoir économiser chaque année une vingtaine de millions, afin de rembourser les dettes anciennes. Sans cela, le premier coup de canon forcerait l’État à la banqueroute. […]".
À bon entendeur…
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[1] Source : Institute of International Finance.
[2] Propos de Jacques de Larosière, ancien Président du FMI et ancien Gouverneur de la Banque de France, Les Echos, 22 janvier 2021, page 15.
[3] Sur le sujet, voir ouvrage de Paul Clavier, Normalien et Philosophe, Par ici la monnaie !, Éditions du Cerf.
[4] Jean-Claude Trichet, ancien Président de la BCE et Membre de l’Institut, La dette, potion magique ou poison mortel ?, Édition Télémaque, p. 9.
[5] Source : Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP).
[6] Source : France diplomatie (diplomatie.gouv.fr/fr/).
[7] Source : François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, in "La lettre de l’Expansion", 1er février 2021, p. 8.
[8] La dette, potion magique ou poison mortel ?, Éditions Télémaque.
[9] Hubert Rodarie, Effacer les dettes publiques, MA Éditions ESKA.
[10] Pas de banqueroute, pas d’augmentation d’impôt, pas d’emprunts.
12/05/2021