Du public au privé : franchir le pas

18/12/2023 - 8 min. de lecture

Du public au privé : franchir le pas - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

Marc Carre est ancien Responsable sécurité chez Altran Technologies & Jean-Christophe Cloetens Directeur des relations publiques de Datagenese et Président d'Onyx International.

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Anciens acteurs du monde étatique, nous tenions à délivrer, en toute modestie mais sans ambages, quelques conseils à nos camarades qui envisagent une reconversion vers le privé après avoir servi dans les Armées ou l'Administration. Pour rendre ces messages plus pertinents et pragmatiques, nous nous sommes appuyés sur nos expériences personnelles, enrichies de notre observation de profils similaires.

 

Avant le départ : que faut-il faire ?

Avant de quitter la fonction publique, tout individu, quel que soit son niveau hiérarchique étatique, ne doit pas imaginer que le monde privé l’attend et qu’il fera la "révolution" en arrivant dans ce nouveau monde. En tout premier, il faut oublier immédiatement cette espérance ou cette croyance car le monde d’après ne sera pas le celui d’avant. Il est indispensable d’apprendre à "descendre l’échelle" pour envisager pouvoir la remonter, si possible, dans une seconde phase ! 

Personne ne doit croire que les salaires dans le privé sont aussi importants que ceux auxquels on rêve ! Sauf pour quelques profils bien particuliers, il faudra envisager une rémunération qui comblera le manque à gagner entre la pension de retraite et le dernier salaire étatique, incluant les indemnités. Un bilan comptable est indispensable afin de savoir avec quoi on quitte financièrement l’administration, sans oublier d’y intégrer tous les critères de calculs (états de services, bonifications, éligibilité à la retraite, primes de départ, etc.). 

La première réflexion, qui vient à l’esprit, est de savoir si on est capable de vivre dans un monde privé qui se caractérise par la recherche permanente du profit financier, l’existence des hiérarchies de management hyper floues et fluctuantes et la considération aléatoire de l’humain. 

Le plus délicat reste de choisir la voie à explorer pour trouver un job dans lequel on pourra s’épanouir pour une durée de carrière privée, allant de quelques années à plusieurs dizaines d’années. Cette carrière sera-t-elle une deuxième carrière ou une prolongation de la vie professionnelle sous une autre forme ?  

À qui ou vers quels organismes peut-on s’adresser ? À des amis anciens du public qui ont rejoint le monde du privé ? À des organismes spécialisés ? À des chasseurs de têtes ? À des sociétés avec lesquelles on a travaillé en tant fonctionnaire/militaire ? À des structures totalement inconnues mais qui font rêver ? L’obligation est de ne rien négliger car toutes les portes sont à exploiter !

Deux précautions de première importance sont de faire un bilan de carrière pour estimer les possibilités qui semblent ouvertes et aussi d’apprendre à rédiger un CV et une lettre de motivation en excluant tout sigle, tout acronyme et toute formation risquant de demeurer incompréhensibles pour des recruteurs du monde privé. L’humilité et la modestie sont des vertus cardinales de la longévité.

Quand on a identifié un emploi possible, la vigilance devient une préoccupation majeure pour ne pas s’engager dans une voie sans issue favorable. Le renseignement et l’information doivent être primordiales pour connaître la fiabilité et la solidité de la structure d’accueil, tant au niveau de ses dirigeants que sur sa santé financière et sa réputation. 

Avant de franchir la porte de cette nouvelle vie, toute nouvelle recrue doit s’assurer de la clarté et la précision dans le contrat de travail proposé. Une attention toute particulière doit être portée sur la date inscrite de début, les conditions de période d’essai, les conditions salariales avec les subtilités liées la rémunération brute (fixe, variable, intéressement, primes, etc.), les horaires (heures de travail ou forfait jour par exemple), les congés et RTT et les éventuels objectifs.

La promesse d’embauche constitue un pré-contrat de travail quand le contrat de travail ne peut pas être signé immédiatement. Une promesse d’embauche signée des deux parties est engageante pour les 2 parties. Elle peut être signée avant le départ effectif de l’institution et permet de laisser du temps au futur partant pour effectuer ses démarches de mise à la retraite.

Quand on veut quitter l’Administration, surtout lorsque l'on a des charges de famille, il est indispensable d’agir avec méthode : ne jamais confondre vitesse et précipitation !

 

Peu après le départ : à quoi penser ?

Ne jamais oublier qu’en arrivant dans une entreprise privée, rien n’est définitivement acquis car, durant les premiers mois, la période d’essai existe contractuellement. Contrairement à ce que nombreux nouveaux embauchés imaginent, cette plage de vie nouvelle demeure précaire car c’est une phase d’observation par le nouvel employeur qui n’hésitera pas à remercier sans coup férir et sans préavis. Une confusion, souvent passée sous les radars, concerne la définition exacte de CDI qui signifie "Contrat à Durée Indéterminée" et non "Illimitée". Par ailleurs, il faut utiliser la période d’essai pour s’assurer de la bonne santé/moralité de la structure avant de donner accès à ses idées/réseaux/ressources, à savoir se faire "aspirer son réseau". 

Il n’est pas exceptionnel de voir des entreprises qui embauchent des anciens de l’Administration pour pouvoir accéder plus facilement à des acteurs importants de l’Administration et ces employeurs ont en tête de ne conserver les anciens étatiques que durant une plage limitée. Ces premiers pas dans le monde privé demeurent toujours délicats car ils constituent un sas de passage du statut "d’ancien étatique", qui sait tout, à "jeune privé" qui a tout à apprendre ! Il faut également oser aborder, avec discernement et habilité, les points demeurant confus, en positif et en négatif, afin de dissiper tout engagement sur une route pouvant être chaotique ! La pire erreur serait d’imaginer que votre nouveau chef, même ancien étatique, vous accueille pour vous et non pour lui ! Le monde du privé est dominé par des objectifs financiers et de profits, parfois mêlés à une éthique nuancée.

 

Conseils pour une vie apaisée dans le privé

Bien entendu, même si ces conseils peuvent paraître de prime abord "évidents" ou "logiques", ils sont issus de situations réelles. Comme les échecs sont souvent plus enrichissants que les succès, les conseils énoncés résultent d’un existant pouvant être rencontré dans de très nombreuses entreprises mais toute généralisation serait une erreur !  

Le premier conseil : l’anticipation. Il est louable de différencier le départ prévu, par la date obligatoire et figée de fin de la carrière étatique, avec un départ voulu, pour convenance personnelle à une date fluctuante. Il faudra maximiser la période entre la prise de décision de partir  et  le départ effectif afin d’engranger un maximum d’atouts et de connaissances utiles pour l’épanouissement professionnel et l’acquisition de la crédibilité dans l’entreprise privée. 

Le deuxième conseil : le comportement professionnel. Les promesses et autres arguments avancés pour le recrutement peuvent s'avérer vrais, ou partiellement, mais ils peuvent être erronés, tronqués voire ambigus, d’où la nécessité de vigilance de la conformité entre le travail fourni et ce qui était attendu. Bien entendu, l’adaptabilité est obligatoire et il faudra apprendre à répondre utilement  avec intelligence, à savoir ne pas dire «"je ne pourrai pas ou c’est impossible" mais préférer une réponse plus apaisante "je ferai le maximum pour répondre à cette demande".

Le troisième conseil : la connaissance professionnelle. Même si le travail demeure similaire avec celui qui a été fait durant de nombreuses années dans l’Administration, il ne faut pas faire une référence directe à ce qui a été vécu au sein de l’Administration car les contextes sont totalement différents. Dans le privé, l’objectif permanent est le profit dans une configuration flexible alors que dans l’Administration c’est souvent plus figé. La notion du temps est différente entre les deux mondes… 

Le quatrième conseil : le management. Dans le monde étatique, la progression de carrière est liée aux diplômes et à l’ancienneté, et le management en est directement dépendant. Dans le privé, rien n’est figé et la hiérarchie peut changer à tout instant, et le management en subit directement les conséquences. Dans le privé, les rivalités humaines, les proximités relationnelles et les opportunités business peuvent conduire à des configurations délicates et totalement imprévisibles.

Le cinquième conseil : le "carnet d’adresse". Il n’est pas rare dans le privé que vos supérieurs et/ou collaborateurs souhaitent s’immiscer dans votre réseau personnel afin de l’exploiter à leurs profits individuels. La crainte est de se voir déposséder de cette valeur ajoutée pour être mis progressivement sur la touche avec la baisse des implications sur des études/projets poussant ainsi vers la "porte de sortie". 

Le sixième conseil : le comportement dans l’entreprise. La "survie humaine" dans de nombreuses en entreprises est l’individualisme (valable aussi dans l’Administration). Le travail collectif pour la réussite communautaire est logique, mais tout engagement dans cette démarche doit être précédée par une analyse de l’objectif réel de la hiérarchie et d’une observation attentive de l’implication de certains acteurs du groupe. Il est très simple de perdre sa crédibilité au sein de l’entreprise, en se lançant dans une opération qui n’intéresse pas la hiérarchie ou qui risque de la mettre en situation d’inconfort face la décision.

Le septième conseil : la discrétion. Comme dans l’Administration, il faut rester extrêmement vigilant sur la discrétion au sein de l’entreprise et vis-à-vis des partenaires/clients et sur la confidentialité des informations traitées. La communication extérieure et/ou une représentation à l’extérieur ne peuvent être faites qu’avec l’aval de la direction. 

Le huitième conseil : les écrits. Sachant que les écrits restent et peuvent attester d’une bonne foi en cas de conflits, il est fortement souhaitable de conserver des écrits des actions importantes et/ou délicates. Le monde du privé travaille souvent avec l’oral car plus rapide mais la précaution conduit à laisser des traces écrites. Mais ne pas oublier que le smartphone et le PC professionnels sont des équipements sur lesquels l’entreprise a tous les droits, et elle peut les bloquer et les analyser à tout instant et sans préavis en cas de conflits graves avec un salarié, dans le respect de la politique de sécurité de l’info et de la RGPD. 

 

En conclusion, il ressort que la migration du monde étatique au monde privé est relativement facile à condition de respecter quelques précautions élémentaires, mais souvent oubliées. La faute professionnelle est facilement "identifiée" pour se séparer, simplement ou dans la "douleur"  d’un collaborateur, surtout quand on arrive dans le privé pour une deuxième carrière. Dans le privé, la confiance en autrui et la lisibilité des actions demeurent des principes à manier avec dextérité. "Dire ce qu’il faut et faire qui est demandé dans l’intérêt de l’entreprise, mais rarement plus, sauf dans des configurations exceptionnelles".

Marc Carre et Jean-Christophe Cloetens

18/12/2023

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