Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Serge Delwasse est PDG de CetraC.io.
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Voici quelques semaines, je publiais une tribune intitulée Qui Sauvera le Monténégro ? Au moyen du récit de trois voyages, je tentais d'attirer l'attention du public sur la stratégie de la Russie sur sa frontière occidentale. Je ne me faisais pas beaucoup d'illusions bien sûr, mais, à l'époque, même si j'étais encore jeune et naïf. En tout cas, personne ne s'est à ce jour engagé pour sauver ledit Monténégro. Mais, l'Histoire n'est pas finie, sait-on jamais ?
Aujourd'hui, je me propose de vous emmener faire cinq voyages. tous dans d'anciennes Républiques de l'Union soviétique. Le premier, dans les pays Baltes (Lituanie, Lettonie, Estonie) : la Lituanie d'influence nettement polonaise, la Lettonie plutôt russe et l'Estonie qui porte pas mal de signes de l'influence prussienne (cela va jusqu'à l'accent des estoniens lorsqu'ils parlent anglais). Trois petits pays, membres de l'Union Européenne, dont on fait le tour en deux jours grâce aux très belles routes financées - à raison - par nos impôts. Puis, je vous emmène en Ukraine. Kiev, berceau de l'Empire russe. Odessa, un des centres majeurs du cosmopolitisme du début du XXème siècle. Et le reste du pays, relativement vide. Puis, nous irons en Géorgie. On y mange bien, paraît-il (je démontrerai un jour, que ce n'est pas si vrai que ça, mais c'est une autre histoire). Et puis, outre Tbilissi, Gori et son incroyable musée Staline - qui vaut réellement le voyage - il y a les casinos de Batumi... J'emmènerai ensuite mon lecteur en Biélorussie - là, je triche, je le reconnais, c'est le même voyage que celui du mois de novembre, mais le poète n'a-t-il pas le droit de tricher ? Après tout, j'ai bien réussi à leurrer mon lecteur en lui laissant penser que les trois pays baltes ne constituaient qu'un voyage... Nous achèverons ce périple en Arménie. L'Arménie qui sort d'une guerre meurtrière. Très meurtrière. Près de 7000 morts. Il y a probablement 3 millions d'habitants en Arménie. Ramené à la population française, ça ferait plus de 150 000 morts. Imagine-t-on dans quel état serait la société si nous perdions 150 000 soldats en quelques semaines ? Je rappelle ici que le Covid-19, chez nous, ce n'est "que" 100 000 morts en un an...
De ces voyages, j'ai tiré trois enseignements.
Les dictateurs construisent tous des horreurs
Une fois de plus, je triche un peu. Pour être aussi définitif, il a fallu que je voyageasse en dehors de l'Union soviétique. C'est d'ailleurs au Portugal que j'ai élaboré cette théorie. Théorie qui se vérifie dans l'Espagne de Franco, l'Italie de Mussolini, et qui se serait également vérifiée en Allemagne si la seconde guerre mondiale n'avait contribué à détruire la grande majorité du pays. L'explication me paraît en soi relativement simple : les dictateurs veulent la paix sociale. Pour cela, panem et circenses n'est pas suffisant. Encore faut-il que le peuple ait de quoi se loger. Comme en général le dictateur est arrivé au pouvoir au milieu d'une crise économique forte - car, si tout allait bien, point ne serait besoin de porter au pouvoir un dictateur - construire des logements en banlieue permet de donner du travail aux chômeurs. Et, comme c'est la crise, on construit à l'économie. Donc on fait du moche. Ce n'est pas nouveau, les insulae des empereurs romains ne devaient pas être radicalement différentes. C'est donc ainsi que les banlieues de toutes les villes de l'ancienne Union soviétique sont littéralement ignobles. Et, comme pour détruire, il faut avoir les moyens de reconstruire derrière, on ne détruit pas...
Trois remarques franco-françaises :
- La France du Général de Gaulle a également construit pas mal de trucs moches.
- Les banlieues de la plupart de nos villes sont maintenant défigurées par des zones d'activité et des centres commerciaux.
- Le seul dictateur qui, à ma connaissance, ait construit de belles choses, c'est Napoléon III. Mais il avait le Baron Haussmann. Et puis, paraît-il, on peut contester le titre de dictateur à Napoléon III...
L'Union soviétique a durablement nuit - avec un t à nui, c'est mieux ça fait obscurantiste - aux pays qu'elle a dirigés
En effet, elle ne s'est pas contentée de construire des immeubles en banlieue. Elle a profondément détruit les structures mêmes de la société, la famille en particulier : cela a été maintes fois documenté. Elle a pollué. Cela aussi a été amplement documenté.
J'ai trouvé pour ma part deux autres catastrophes :
- Elle a enlaidi le pays, en bétonnant un peu partout, avec des choses utiles (des ponts, des routes) ou moins utiles (de vieilles usines dont plus personne ne veut). Tout le monde le sait, ça coûte très cher de casser le béton lorsque ça a été bien fait (demandez-vous pourquoi la base de Kéroman est encore debout).
- Elle a vidé les campagnes :
- construisant une société collectiviste, le pouvoir soviétique a construit un habitat collectif. Les maisons individuelles, c'est bourgeois. Et les immeubles collectifs, on ne les construit pas dans les villages... ;
- la course à la production a été menée en créant du gigantisme : dans les usines, les kolkhozes... Pas hyper compatible avec les petits villages ;
- enfin, la collectivisation a, par définition, tué les petits entrepreneurs, ce qu'on appellerait de nos jours les TPE, et qui étaient autrefois des artisans : le boulanger, le garagiste, le peintre... Et qui dit pas d'artisans, dit la mort du village.
Petit à petit, Vladimir Poutine récupère les marches de l'Empire...
Il suffit de regarder une carte. Je le dis souvent. On ne regarde jamais assez les cartes. Qui sont les voisins de l'Arménie, petit pays enclavé : la Turquie, l'Iran, l'Azerbaïdjan et la Géorgie. Si l'on considère que le poids de la Géorgie est nul - les Géorgiens ne se vexeront pas, j'espère... -, Entourée de pays l'un musulman, l'autre objectivement politiquement islamisés, le dernier islamiste, dirigés par des hommes tout puissants et ne subissant qu'extrêmement peu de contre-pouvoirs, l'Arménie a donc été contrainte de chercher un ou plusieurs alliés puissants. Qui étaient les alliés puissants potentiels ? Les États-Unis, les pays de l'Union Européenne (Royaume-Uni, France, Allemagne) et... la Russie ! En général, la réponse est dans la question ; c'est ainsi que, à la faveur d'un conflit territorial qu'elle a créé (comme d'ailleurs en Crimée, dans le Dombass, en Trans-Sinistrie..., merci Staline), la Russie est venue voler au secours de l'Arménie qui n'avait personne d'autre vers qui se tourner. Aujourd'hui, l'Arménie est (re)devenue un protectorat russe :-(
Un twittos dont j'ai oublié le nom - un homme politique peut-être - écrivait récemment que la France était le seul des pays membres permanents du Conseil de Sécurité à ne pas avoir développé de vaccin contre le Covid-19. On est, en effet, en droit de se demander si, et comment, notre pays pourra conserver ce siège. Il y a plusieurs moyens d'avoir de l'influence : la puissance, la sagesse, la crédibilité.
- La puissance : il y 55 ans, la France était plus ou moins la cinquième puissance mondiale. Elle est aujourd'hui la dixième.
- La sagesse : avoir à sa tête un chef d'État écouté et respecté, un "vieux sage". On peut considérer que François Mitterrand jouait ce rôle ainsi que, dans une moindre mesure, Jacques Chirac.
- La fidélité : si vous avez la réputation que l'on peut compter sur vous en cas de coup dur, c'est un bon moyen d'avoir des amis. Même si vous n'êtes ni très sage, ni très puissant. Quand on est "dans la merde", on est content d'avoir des amis fidèles. Chacun de mes lecteurs a éprouvé, au moins une fois mais probablement à plusieurs reprises, ce constat.
Exeunt la puissance et la sagesse. Reste la fidélité ! Les liens qui unissent la France à l'Arménie sont anciens et profonds. Je ne donnerai qu'un exemple : une photo de Charles Aznavour trône à l'entrée du musée à l'intérieur du Monument de la Mère Arménie. Certes la France reconnaît depuis longtemps le génocide arménien. Certes, il est devenu illégal de contester ce fait. Mais ce soutien moral n'est qu'un soutien moral. Ce ne sont pas des chars ni des drones. Et puis les Etats-Unis viennent de le reconnaître également...
Hélas, la France n'a pas souhaité voler au secours de l'Arménie, ajoutant ainsi à la longue liste des peuples ou des groupes que nous avons trahis, des indiens Hurons aux Monténégrins, en passant par les Chrétiens de l'Indochine, les Harkis, les Cambodgiens, les Libanais,... Il me revient à l'esprist cet échange avec un Général (peu importe lequel) à la tête des forces françaises dans un pays d'Afrique, auquel je tentais de rappeler que nous avions une dette envers le pays en question, tout simplement parce que c'était nous qui avions tracé des frontières, origines de la majeure partie des conflits internes. Sa réponse fut cinglante : "nous ne leur devons rien !"
Eh bien, si, on doit à ses amis, tout simplement parce que ce sont nos amis.
25/05/2021