[Groupe K2] Gérer les compétences dans un contexte de travail hybride - Hybridation du travail
04/12/2023 - 5 min. de lecture
Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Lina Lim est Co-fondatrice de ECLEVIA, organisme de formation en performance managériale.
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L’évolution vers un mode de travail hybride implique un nouveau rapport aux autres, au temps, au travail. Ces mutations appellent une adaptation dans la gestion des compétences et la formation professionnelle des salariés. En étendant les environnements et les situations de travail, l’hybridation du travail bouscule en effet les grilles de compétences d’une part et les modes d’apprentissage d’autre part.
De nouvelles compétences managériales
Les managers sont en première ligne et doivent eux-mêmes acquérir de nouvelles compétences pour animer l’organisation du travail hybride. Trouver un équilibre entre temps collectifs présentiels et préférences d’organisation individuelle demande une savante dose de vision, d’adaptabilité, d’organisation, d’animation, et de communication ! Les entreprises doivent donc accompagner en priorité les managers dans l’acquisition de méthodes et de techniques pour animer leur équipe dont le rapport au travail évolue.
L’autonomie et la responsabilisation des salariés revêtent en effet aujourd’hui une nouvelle dimension. L’organisation du travail hybride est autant une réponse à ce besoin de plus de liberté d’action des travailleurs, qu’un facteur déterminant dans le repositionnement managérial auquel on assiste. Les managers sont appelés à adopter des modes de management plus participatif, à l’égard de travailleurs plus indépendants dans leur manière de travailler. Dans le même temps, les managers doivent continuer à assurer la montée en compétences de leurs équipes, compétences dont les besoins pour l’entreprise ne cessent d’évoluer.
Les compétences transversales en tête
De manière pratique, la maîtrise des équipements, des logiciels métiers, des applications internes, des processus numériques, la connaissance des ressources numériques propres à son environnement de travail, sont des prérequis nécessaires à un travail à distance efficace. Ainsi les entreprises doivent continuellement investir dans les compétences numériques des salariés par des formations internes ou externes.
Pour autant, ces compétences techniques sont loin d’être suffisantes pour assurer la performance des travailleurs. L’organisation du travail hybride requière des compétences transversales (soft skills), liées aux aspects relationnels et organisationnels, dont tous, entreprises comme collaborateurs, ont mesuré l’importance. Parmi elles, on pourra citer la capacité d’adaptation, l’esprit critique ou encore la capacité à communiquer avec des personnes de statuts différents. Dans une étude menée par Jean Pralong[1], professeur à l’EM Normandie, les 6 compétences comportementales ayant le plus d’impact sur la performance des télétravailleurs étaient les suivantes :
- bien se connaître,
- résoudre des problèmes complexes,
- identifier des personnes-ressources,
- promouvoir,
- comprendre les besoins d’autrui,
- comprendre son organisation.
On notera que cette étude a été réalisée avant la crise du covid sur des télétravailleurs à temps complet. Elle témoigne toutefois de la nécessité pour les entreprises de prendre en compte, plus que jamais les compétences transversales dans le recrutement et l’apprentissage des salariés.
Maintenir l’apprentissage informel
La formation continue est une voie incontournable dans la gestion des compétences, mais la généralisation du travail hybride fait ressortir un autre enjeu fort pour les entreprises : la continuité de l’apprentissage informel. L’apprentissage informel repose sur l’ensemble des interactions sociales, échanges non structurés et observations au sein de l’environnement de travail qui permettent aux travailleurs d’acquérir les connaissances, expériences et compétences nécessaires à leur performance. Le réseau interne, la connaissance et la compréhension de l’organisation, la capacité à coopérer avec les bonnes personnes et à identifier les ressources utiles représentent des atouts précieux en entreprise.
Les outils permettant aux équipes de communiquer à distance (plateformes de communication collaborative, réseaux sociaux d’entreprise, mentorats à distance, conférences virtuelles) sont salutaires dans cette perspective de liens. Mais les entreprises doivent absolument veiller à conserver et créer les opportunités d’échanges physiques, les moments collectifs, qui permettent de manière spontanée, aux collaborateurs de comprendre l’organisation, d’apprendre à résoudre des problèmes en observant, en posant des questions, en s’inspirant.
Les vertus de l’apprentissage informel ne manquent pas : les informations glanées au détour d’une pause-café ou encore l’observation des interactions précédant un rendez-vous client, accélèrent l’intégration des codes et permettent de mieux comprendre l’environnement. Animateurs du travail hybride, les managers doivent ainsi jouer le rôle d’intermédiation pour encourager les apprentissages informels, notamment pour les nouvelles recrues.
Former en situation de travail, une solution ?
Comment compléter les apprentissages en s’adaptant à l’hybridation du travail ? A la croisée de la formation traditionnelle et de l’apprentissage informel, les actions de formation en situation de travail (AFEST) consacrés dans la réforme de 2018, peuvent répondre à certains enjeux de montée en compétences.
Il s’agit d’une formation structurée, répondant à des objectifs pédagogiques précis, et dont l’essence réside dans le travail lui-même. L’apprenant est appelé à agir en situation de travail dans un cadre déterminé à des fins pédagogiques, puis à conceptualiser son action lors d’une phase dite réflexive. Il pourra de manière encadrée par un formateur confronter ce qu’il a appris avec les attendus. Prenons l’exemple d’un chef de projet chargé de mettre en place un logiciel métier au sein de son entreprise. L’action de formation vise à lui faire acquérir des compétences d’accompagnement au changement. En amont le référent formateur (interne à l’entreprise, ou externe) aura informé et préparé les interlocuteurs de l’apprenant de l’organisation de l’AFEST. Les situations de travail propices à l’apprentissage pourraient être des entretiens destinés à présenter le logiciel à des collaborateurs. Le formateur crée les conditions de l’apprentissage et accompagne l’apprenant dans sa posture relationnelle. Dans un second temps, une phase de consolidation, d’explicitation des apprentissages est organisée.
Encore peu mises en place, les AFEST permettent pourtant la prise en compte concrète et pratique des situations de travail des apprenants et des intérêts opérationnels de l’entreprise. La proactivité du salarié et la personnalisation du parcours sont facilitées. La formation en situation de travail peut constituer une réponse intéressante.
Les entreprises qui tireront leur épingle du jeu, seront celles qui mettront en œuvre les expériences pédagogiques les plus pertinentes en fonction d’une identification structurée des besoins en compétences et des objectifs d’apprentissages.
Lina Lim
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Cette Tribune s'inscrit dans le cadre du Groupe K2 "Télétravail et Hybridation du travail : une expérience collaborateur réinventée ?" composé de :
Caroline Diard est Professeur associé, TBS Business School Département droit des affaires et Management des Ressources Humaines et co-pilote du Groupe - Farid El Arji est Membre, Comité de Direction DRH, SNCF TGV-Intercités et co-pilote du Groupe - Karine Babule est Chargée de mission ANACT - Agence Nationale pour l'Amélioration des Conditions de Travail - Pauline de Becdelievre est Maitre de conférences, Institutions et dynamiques historiques de l'économie et de la société, ENS Paris Saclay - Abdel Bencheikh est Chief Risk & Sustainability Officer - Marie Benedetto-Meyer est Maitresse de conférences en Sociologie & Membre associée, Laboratoire Printemps - Marc Bertier est Expert workplace, Kardham - Olivier Bouteille est HR Manager, IKEA - Gaëlle Cachat-Rosset est Professeure adjointe, Faculté des Sciences de l’Administration, Université Laval - Nicolas Cochard est Directeur R&D, Kardham - Nicolas Dufour est DR en gestion, Professeur affilié, Cnam (Laboratoire Lirsa) - Nadr El Hana est Maitre de conférences, IAE Paris Sorbonne Business School - Sébastien Foy est Dirigeant, Cabinet Leonard Conseil - Virginie Hachard est Doyenne Adjointe, EM Normandie - Christelle Havard est Professeur associé, Burgundy School of Business (BSB) - Sana Henda est Enseignant-chercheur, ESC Amiens - Alain Klarsfeld est Professeur en Gestion des Ressources Humaines, TBS Business School - Lina Lim est Co-fondatrice, ECLEVIA, organisme de formation en performance managériale - Audrey Morgand est Enseignant-chercheur, ESC Amiens - Thibault Paternoster est CEO, Woby - Tania Saba est Professeure titulaire, Faculté des arts et des sciences, Université de Montréal - Frédéricke Sauvageot est Directrice de la QVT du Domaine Immobilier et des Espaces de Travail, Orange.
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[1] - PRALANG., J (2020), Quelles compétences pour être un télétravailleur performant ? HR Insights, chaire compétences, employabilité, et décision RH, EM Normandie
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