[Groupe K2] La préparation mentale au judo

07/04/2022 - 7 min. de lecture

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Christophe Massina est Responsable Équipe de France féminine de Judo, Ministère des sports.

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Quelle définition donneriez-vous à la préparation mentale ?

Le mot "préparation mentale" ne me convient pas, car je considère que nous ne faisons pas vraiment de la préparation mentale. Notre objectif est d’essayer d’axer le mental d’un individu et de le mettre dans les meilleures dispositions pour pouvoir performer ou atteindre un objectif. 

C’est donc plutôt une dimension mentale à prendre en compte dans la performance, qu’elle soit sportive, artistique, en entreprise, etc. c’est l’accompagnement de l’individu à mettre les choses dans le bon ordre pour pouvoir être performant ou atteindre ses objectifs. 

 

Comment êtes-vous arrivé à la préparation mentale ?

Le point de départ remonte lorsque j’étais jeune athlète et prometteur. J’avais la sensation de ne pas organiser ma pensée ou mes objectifs de la bonne manière. À cette époque, j’ai aussi découvert un livre sur le training autogène de Schultz. 

J’avais trouvé cet ouvrage intéressant pour perfectionner l’entrainement de judo avec l’apport de la "semi-sophrologie". À la fin de la séance, il y avait toujours avec un professeur, un retour au calme, allongé, où l’on repensait à toute la séance réalisée. C’était donc déjà de l’accompagnement mental. On s’entraînait notamment à faire de l’imagerie mentale. Cet ouvrage m’a servi de déclic, me laissant penser qu’il y avait un réel travail à faire chez les athlètes français pour s’améliorer dans ce domaine. 

Par la suite, en tant qu’entraîneur, c’est aussi la confrontation avec des athlètes tous uniques dans leurs processus d’évolution, d’apprentissage ou de compétiteur. Ce qui m’a finalement amené à la dimension mentale a un lien avec, plus généralement, la dimension humaine, c’est-à-dire être en capacité de pouvoir trouver les bons mots aux bons moments pour les bons athlètes. Ce qui fonctionnera pour l’un ne fonctionnera absolument pas sur un autre athlète. Cela m’a incité à me former. 

 

Quelle place occupe aujourd’hui la dimension mentale dans le sport de haut niveau ?

La préparation mentale a, selon moi, pris une place qui, à ce jour, n’est encore pas naturelle, toujours avec cette idée que son recours se fait pour des athlètes qui ne seraient "pas assez fort mentalement". Cette vision existe tant du côté des entraîneurs que des athlètes.

Des avancées existent toutefois avec la prise en compte de plus en plus importante de la dimension mentale par l’Agence Nationale du Sport et la création de formations. Petit à petit, on s’aperçoit aussi qu’un accompagnement très simple et basique peut améliorer de manière significative la performance. Le cerveau peut, de la même manière que le physique, être amélioré dans sa manière de gérer les émotions, les objectifs, ses apprentissages, etc. 

 

Avez-vous constaté des difficultés de dialogue entre préparateurs mentaux et structures d’entraînement ? 

Il y a effectivement un manque de communication. Cela étant, celui-ci s’étiole au fur et à mesure que de nouveaux entraîneurs arrivent. Il y a un autre phénomène auquel j’ai été confronté aussi bien en tant qu’athlète que jeune entraîneur : rencontrer des personnes malintentionnées dont la volonté était davantage de prendre le pouvoir et de se faire briller eux-mêmes, plutôt que de chercher à faire progresser l’athlète. C’est l’une des raisons pour laquelle le terme "préparation mentale" peut être mal perçu du côté des entraîneurs, faisant référence à la notion de "gourou". 

Néanmoins, les entraîneurs sont de plus en plus sensibles à la préparation mentale, créant ainsi une forte demande. Pour répondre à celle-ci, de nombreuses formations sur la dimension mentale ont été créées. La réserve que je ferai concerne la perception de ces formations par les entraîneurs. Un certain flou plutôt néfaste existe sur la qualité réelle des enseignements en préparation mentale. Ce manque de lisibilité pourrait être dommageable si les entraîneurs venaient à redoubler de méfiance, comme il y a une vingtaine d’années.

 

En tant qu’entraîneur d’une équipe de judo, votre accompagnement est-il plus individuel ou collectif ? 

Il y a deux parties dans cet accompagnement mental : le collectif et l’individuel.

Premièrement, il y a l’aspect collectif avec la mise en forme des séances d’entraînement. Celles-ci permettent évidemment à l’athlète une amélioration vis-à-vis de la dimension mentale. On parle de rigueur, de dureté ou bien de prendre l’habitude de sortir de sa zone de confort. C’est aussi par son entraînement spécifique qu’il va pouvoir se poser les bonnes questions, prendre conscience de ce qu’il fait, d’où il veut aller et comment il peut y aller. 

L’entraînement spécifique se fait beaucoup en collectif chez nous car, même si c’est un sport individuel, on s’entraîne 80 % du temps en collectif, avec des partenaires d’entraînement, avec des adversaires d’entraînement aussi. Tout cela favorise donc l’apprentissage mental afin de pouvoir se mettre dans le bon ordre de marche pour faire une carrière de haut niveau. 

Deuxièmement, il y a la possibilité pour chaque athlète d’être accompagné individuellement. Je le fais avec des athlètes aussi bien féminin que masculin. Ce sont eux la plupart du temps qui viennent me voir car ils savent que je suis formé sur cet aspect. 

 

Quelle est la place du mental aujourd’hui dans la recherche de la performance ? 

C’est vraiment très difficile à estimer. Ce qui me parait de plus en plus flagrant, c’est que dans les débriefings, on parle 80 % du temps des aspects mentaux plutôt que des aspects techniques physiques. 

Le reste, c’est un ressenti individuel. Certains athlètes vont avoir besoin de se sentir au point techniquement pour se mettre dans les bonnes dispositions mentalement. D’autres vont, au contraire, avoir besoin de se sentir physiquement en forme pour être mentalement bien. 

 

Vous êtes aussi praticien en hypnose ericksonienne. Pouvez-vous expliquer le principe de l’hypnose ?

Il s’agit de reprendre le contrôle sur soi et sur ses émotions et de ne pas se laisser envahir par des choses qui peuvent "gêner la performance". On dit souvent que l’hypnose a le contrôle sur l’individu. Pour moi, la personne qui est hypnotisée est là pour reprendre le contrôle sur des choses qui se gèrent de manière complètement inconsciente, à la manière de notre respiration, de notre rythme cardiaque, etc. L’hypnose va justement permettre d’aller à ce niveau-là de conscience, pour travailler sur les émotions qui arrivent de manière inconsciente, ou même sur les conséquences physiques. 

 

Dans quels cas l’utilisez-vous ?

On l’utilise principalement concernant ce que les athlètes ont le plus souvent l’habitude de vouloir gérer : leurs émotions. L’hypnose va justement permettre d’observer, dans un moment de conscience modifiée. Contrairement à l’idée reçue, l’hypnose n’endort pas mais permet, au contraire, d’être plus éveillé, les yeux fermés. 

L’objectif est d’être dans un état de conscience modifié afin d’avoir accès à d’autres sortes de soi. 

À titre d’illustration, on dit parfois que "c’était plus fort que moi" en parlant d’une sucrerie que l’on vient de manger. C’est comme s’il y avait quelqu’un d’autre qui nous avait obligés à la déguster. En fin de compte, dans les états de conscience modifiés, nous pouvons accéder à des parts de nous-mêmes qui gèrent des choses que nous n’avons pas forcément prévues, ou alors qui étaient bonnes à un certain moment de notre vie, et ne le sont plus actuellement. L’hypnose permet d’accéder à ces différentes parties de nous. C’est comme cela que je vois les choses. Notons que s’il est possible de modifier ces façons d’agir, il faut garder à l’esprit que, si elles ont été là à un moment donné, c’est qu’elles avaient leur utilité. 

 

As-tu des exemples de cas d’hypnose avec des sportifs ? 

On peut citer l’exemple des sportifs de retour de blessure. Ils doivent reprendre confiance dans le membre ou la partie blessée. Dans un état modifié de conscience, nous allons voir comment est représentée par l’athlète la partie lorsqu’elle n’est plus blessée. Y a-t-il encore la représentation d’un manque ou d’une faiblesse ? Si c’est le cas, nous pouvons agir avec l’hypnose.

Un autre exemple d’application, la gestion de l’incertitude par rapport à l’adversaire. En judo, un adversaire direct peut générer un sentiment chez nous : peur, stress, etc. J’ai remarqué que, dans un état de conscience modifié, nous pouvions, en prenant un angle de vue différent, nous rendre compte que l’adversaire était encore plus en difficulté. Dans la gestion de l’adversaire, les athlètes sont parfois tellement centrés sur eux-mêmes et leur performance, qu’il en perde de leur lucidité. 

 

Est-il possible de pratiquer l’hypnose seul ? 

Oui, tout à fait. Le but c’est qu’on puisse donner les clefs à la personne pour qu’elle devienne autonome. Il y a de nombreux exercices à faire seul qui sont assez simples d’utilisation. Je dirai même que la clé de développement de pratique passera par l’autohypnose. Si le mot hypnose peut faire peur, parler d’autohypnose semble pour beaucoup plus rassurant. Cela demande un certain apprentissage, qui peut être assez rapide, notamment avec des sportifs, qui ont l’habitude de repousser leurs limites et qui possèdent souvent des facultés hypnotiques très fortes. 

Christophe Massina

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07/04/2022

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