Hommage à mon camarade Jean-Louis Georgelin
22/08/2023 - 4 min. de lecture
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Hommage à mon camarade Jean-Louis Georgelin
Mon camarade, mon ami,
As-tu entendu, à ton nouveau poste, les honneurs qui t’ont été rendus depuis l’annonce de ton départ soudain ?
J’aimerais pouvoir te demander si ces hommages publics, généralement réservés aux artistes, t’ont ému. À nous, tes amis, tes compagnons d’armes, ils nous ont touchés. Ils sont la salutation que la Nation t’adresse, le témoignage de gratitude que ton parcours exceptionnel et ton entier dévouement au pays ont inspiré, par-delà les plus hautes autorités du pays, jusqu’au cœur des Français. Car ils t’avaient confié leurs espoirs de reconstruction du monument historique auquel ils sont le plus attachés et qui est, selon tes propres mots, "l’âme de la France".
Tu n’assisteras pas au Te Deum qui sonnera à Notre-Dame de Paris lors de sa réouverture. Tu y tenais tant, c’était ta dernière grande œuvre. Tu as été appelé avant l’heure, sans doute pour une ultime mission, qui requérait ton sens du service. Alors va, toi qui répétais toujours : " Je suis un soldat, quand on me dit, va, je vais !" Tu n’as pas chuté, tu t’es envolé.
Ce que j’ai le plus admiré chez toi, c’est ta capacité à allier prose et poésie. À un sens inné de l’organisation et de la planification, tu conjuguais une passion pour l’Histoire, avec une aspiration plus secrète pour l’absolu : le politique ne pouvait mieux choisir en te nommant pour diriger ce chantier Ô combien sacré.
Tu représentais l’officier français dans sa figure la plus symbolique, féru de lettres et d’histoire, enraciné dans un territoire et admirateur de la grandeur de la France, mais avant tout homme d’action, restant aux prises avec les réalités et privilégiant à toute autre chose les réalisations. Si l’un de tes modèles était Cyrano, auquel tu ressemblais à bien des égards, toi le fort en gueule, c’est une autre image que tu me rappelles, celle de l’homme qui marche qui a inspiré des artistes que tu aimais tant, de Rodin à Richier, en passant par Giacometti : ce n’est pas hasard – y a-t-il jamais de hasard ? – si tu as quitté ce court séjour terrestre en marchant…
Tu as toujours été en mouvement, et ta carrière qui t’a permise, depuis Saint-Cyr, où nous avons été réunis dans la même promotion "Lieutenant-colonel Brunet de Sairigné", d’atteindre jusqu’aux plus hautes cimes du pouvoir en est l’éclatante démonstration.
Tout avait de l’importance pour toi, aussi bien pour les grandes actions que les petites, dès lors qu’elles concourraient à l’accomplissement de la mission.
Je me souviens, par exemple, à Hanoï, à l’occasion de notre voyage du CHEM-IHEDN, tu as étonné une partie de la population vietnamienne et des auditeurs français qui nous accompagnaient en intervenant, en tenue militaire française et avec le képi de colonel à la main, pour faire arrêter la circulation des voitures et des vélos et vélomoteurs, afin de permettre à notre autobus, qui s’était égaré, d’opérer un demi-tour. Cette anecdote, aussi simple soit-elle, est pour moi significative de ton caractère : à chaque fois que tu avais le sentiment de pouvoir être utile pour résoudre une difficulté, tu agissais, quelle qu'était la tâche à réaliser.
Tu te comportais également ainsi dans tes relations de commandement, traitant tout le monde de la même façon, sans accorder de privilège à qui que ce soit, quel qu'était le nombre d’étoiles qu’il pouvait arborer sur son uniforme. Les généraux conviés au point de situation matinal du CPCO et qui avaient le malheur de se présenter après l’heure officielle de début de la réunion se souviennent encore de s’en être vus refuser l’accès par le garde de service à qui tu en avais transmis l’ordre.
Pour un soldat, l’ego ne peut avoir de place et tu croyais à la valeur de l’exemple, qui était pour toi la base la plus solide de l’autorité, la seule susceptible de susciter une adhésion durable autour d’un chef, non l’habileté à manier les belles paroles dont les livres regorgent mais qui résonnent creux quand elles n’ont pas été confirmées par le sceau de l’action. Tu as transporté cette rigueur dans toutes tes missions, sur tous les terrains, tant tu étais dévoué au résultat.
À Sarajevo, où tu as été envoyé en qualité de général "zingué" pour occuper le poste de Chef de la planification opérationnelle, et où j’ai eu la chance de servir à tes côtés, tu t’es fait un devoir de te renseigner précisément sur la culture du pays, l’histoire du conflit, celle de ses acteurs, leur psychologie. Ta connaissance des dossiers impressionnait nos amis étrangers de l’OTAN et tes propositions qui tenaient compte des préoccupations immédiates du terrain rencontraient très souvent un accueil favorable. Il n’y avait peut-être que le Quai d’Orsay qui y trouvait parfois à redire…
Mais cette rigueur, qui t’était attachée comme une seconde peau, tu es parvenu à la sublimer, grâce à la haute idée que tu portais du métier de soldat, à laquelle tu as toujours été fidèle. Si tu as touché autant les cœurs, toi le militaire, c’est que tu as représenté un certain idéal de la France.
Ton héritage restera.
Merci, mon Général, mon cher Jean-Louis, pour ton engagement, ton action, ton exemple, et pour ton amitié.
Général Jean-Pierre Meyer
22/08/2023