Innovation sociale et QVCT : soyons concret et opérationnel !

01/02/2022 - 8 min. de lecture

Innovation sociale et QVCT : soyons concret et opérationnel ! - Cercle K2

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Suzanne Azmayesh est consultante en protection sociale et Kamel Adrouche est responsable juridique au sein de la RATP.

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En matière de prévention en santé au travail, il va bientôt falloir compter avec un nouvel acronyme, celui de "QVCT" ! En effet, si la qualité de vie au travail "QVT" était bien ancrée dans les pratiques comme dans le langage, il va désormais falloir parler de "QVCT", afin d’incorporer les conditions de vie au travail à la politique de prévention des entreprises. La loi n° 2021-2018 du 2 août 2021 transposant l’accord national interprofessionnel (ANI) du 10 décembre 2020 entre en effet bientôt en vigueur, le 31 mars 2022. Cette avancée manifeste le franchissement d’une nouvelle étape en matière de prévention au travail. Dorénavant, il ne s’agira plus de se contenter de quelques actions "ludiques", qui relèvent d’initiatives trop superficielles pour produire un impact sur le long terme. Avec l’entrée en vigueur de la loi du 2 août 2021, des ambitions d’une autre envergure ont vocation à se déployer pour faire évoluer les pratiques managériales de manière durable, à travers une stratégie organisationnelle systémique qui prenne véritablement en compte les parcours des salariés sur le temps long. L’innovation sociale et organisationnelle doivent être guidées par une approche de performance.

Cette évolution s’accompagne d’un renforcement du cadre juridique en vigueur. Ainsi, un nouvel article L. 4121-3-1 est introduit dans le Code du travail afin de définir légalement le contenu du document unique d’évaluation des risques (DUERP) et ses modalités d’application. Celui-ci devra recenser les risques professionnels auxquels sont exposés les travailleurs. Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, la consultation du CSE au moins une fois par an sera obligatoire. L’évaluation des risques mentionnée dans le DUERP doit ensuite déboucher sur un programme annuel d’actions de prévention à déployer par les entreprises. Ce programme devra identifier l’ensemble des mesures à prendre, les facteurs de risques possibles, les ressources à mobiliser et le calendrier de mise en œuvre. Parmi les obligations de ce programme, les entreprises devront notamment engager une négociation sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Autre nouveauté : il sera également nécessaire d’aboutir à la mise en place d’un "passeport de prévention" recensant les formations ayant été suivies par les salariés et certifiant leurs qualifications acquises, notamment les diplômes obtenus. 

La structuration juridique de cette nouvelle donne laisse toute la place à la souplesse. Cette flexibilité du cadre légal permet de fonder un terrain propice au bénéfice des créateurs et des bâtisseurs. En effet, si la loi est claire quant aux objectifs assignés aux employeurs sur la nécessité de déployer une politique sérieuse dans la prévention des risques professionnels, les leviers d’actions sont à définir au cas par cas. Chaque entreprise est ainsi libre de s’emparer du cadre juridique a minima défini par la loi pour établir ses propres accords, conçus pour refléter ses impératifs et ses besoins singuliers. L’esprit d’innovation et la créativité ont ainsi toute leur place pour amorcer cette conduite du changement. Les chantiers sont nombreux : évolution des pratiques managériales, stratégies de maintien dans l’emploi, suivi des trajectoires professionnelles, etc. Des actions sur-mesure peuvent parfaitement être mises en place au sein de chaque entreprise pour mener la conduite du changement. Quel que soit le moyen mobilisé, il s’agit avant tout d’inscrire l’impératif de la prévention comme un pilier du développement, dans le cadre d’une démarche de fond, sérieuse et continue. 

Une stratégie ambitieuse en termes de QVCT relève d’un avantage compétitif de taille, à intégrer dans le cadre d’une politique RSE. De plus en plus, la prise en compte par les entreprises des enjeux éthiques et sociaux de leurs activités devient nécessaire et incontournable. Les actions relatives à la qualité de vie et aux conditions de travail ne relèvent plus tant d’un bonus ou d’un atout supplémentaire, mais s’érigent comme des obligations sine qua non à la charge des employeurs. Plus que jamais, l’attente est forte envers ces initiatives, quand bien même elles peuvent être déconnectées des performances financières et des profits de l’entreprise. Les performances QVCT ont également toute leur place dans le contexte d’une stratégie de recrutement dynamique. En effet, les talents d’aujourd’hui ne sont plus seulement à la recherche de rémunérations avantageuses ou de postes prestigieux, mais cherchent également un accompagnement dans leur carrière et des conditions de travail favorables, en particulier depuis la crise sanitaire. De la même manière, les initiatives menées peuvent très intelligemment servir aux entreprises pour illustrer leur démarche de social selling sur les réseaux sociaux, de manière à valoriser l’activité de manière moderne et gratifiante. 

L’étude des thèmes majoritairement traités dans les accords QVCT permet de caractériser des mesures opérationnelles. Les dispositifs "classiques" de certaines structures témoignent de la volonté de respecter des engagements généraux tels que "l’écoute des personnels", le "renforcement des collectifs de travail" et "l’amélioration du cadre de vie et des équipements de travail". Dans le cadre de la thématique conciliation vie personnelle et vie professionnelle, on peut citer les dispositifs d’aide à la parentalité, la protection sociale, les accords à temps partiel, la vie associative. Concernant l’environnement de travail, on peut évoquer les cellules "ergonomie" et les campagnes de lutte contre les addictions organisées dans certaines entreprises. Dans le cadre de l’organisation du travail et les relations sociales, on peut enfin mentionner les réseaux métiers, les parcours d’intégration ou encore les dispositifs de prévention des conflits individuels et collectifs. Des pratiques inspirantes, axées sur les principes : "se sentir bien" dans son travail et son environnement professionnel, voire personnel, émergent. Les "challenges", dispositifs d’innovation participative et de valorisation des salariés (remise de trophées), sont mis en place et rencontrent un succès notable. Les évènements dédiés à des thématiques spécifiques (éco-challenge, challenge service, accessibilité, initiative QSE, etc.) constituent également des illustrations intéressantes. Enfin, on peut citer l’organisation de "repas du monde" qui véhiculent les valeurs de partage et de bien vivre ensemble : l’ensemble du personnel est invité à partager un repas festif, chacun ayant au préalable cuisiné et ramené "une spécialité". À chaque fois, le partage des expériences afin d’analyser la place des démarches QVCT dans des contextes de transformation est riche en enseignements [1].

Du fait notamment de la crise sanitaire, la santé mentale et le bien être des salariés sont devenus des attentes que les entreprises ne peuvent plus ignorer [2]. Les entreprises n’ont jamais été autant perçues comme des lieux de socialisation et d’inclusion. Mettre en place des ressources pour favoriser le bien-être, faire vivre le collectif, former les managers est devenu indispensable. Le communiqué du 29 juin 2021 de l’Observatoire de la qualité de vie au travail pour une sortie de crise réussie est d’une actualité brûlante et propose des axes de travail. Il recommande de "réinventer le contrat social en entreprise ; opter pour une organisation du travail hybride ; redéfinir le rôle du manager ; réguler le télétravail et renforcer les dispositifs d’inclusion professionnelle"». Certaines entreprises ont mis en place des lignes téléphoniques dites "d’urgence" ou "d’écoute", des formations de "secourisme en santé mentale", et facilité l’accès à un (ou des) psychologue(s) d’entreprise [3]. Certaines ont multiplié l’organisation d’ateliers ludiques "bien vivre, hygiène de vie, sport", sur le bien-être (massages, rameur par exemple) afin de sensibiliser sur la nutrition, la qualité de sommeil, l’hygiène de vie. Peuvent également être cités dans cette catégories toutes les initiations et démonstrations d’activités physiques douces (tai-chi, gym posturale, marche nordique notamment). Passer de la prévention des RPS à une culture QVCT intégrée est nécessaire. Le pilotage d’un accord qui s’inscrit dans la durée peut constituer une de ses fondations.

La structuration du pilotage d’un projet d’accord QVCT doit s’inscrire dans une démarche globale, pluridisciplinaire et participative. Il ne s’agit pas de mettre en place de manière excessive des comités ou des groupes de travail dans l’incapacité de procéder à des arbitrages. L’objectif consiste à adopter une vision collective opérationnelle, en lien avec la santé au travail. Les structures d’animation du projet doivent intégrer cette philosophie. Il convient d’impliquer toutes les composantes de l’entreprise, mais toujours avec une exigence de performance. L’approche retenue doit être adaptée aux attentes et besoins du collectif, tout en prenant compte des spécificités des activités et des métiers concernés. Les stratégies traditionnelles de négociation permettant de conclure un accord ne doivent pas guider les travaux préparatoires à cette négociation. La QVCT reste une déclinaison matérielle de la prévention primaire des risques professionnels et doit être le fil conducteur du dispositif recherché.

En termes de méthodologie, il est recommandé de déterminer et rendre identifiable le rôle et les missions des parties prenantes. Concrètement, il convient de constituer en premier lieu une équipe "cœur", composée de personnes dites "ressources". Elle sera chargée de proposer les orientations du futur accord, d’animer les différents acteurs et d’assurer la cohérence des orientations avec les démarches "actuelles de l’entreprise". Des sponsors appartenant au COMEX et à la Direction des Ressources Humaines peuvent ensuite être sollicités. Ils valideront, orienteront la stratégie globale QVCT et assureront les synergies et les symétries entre projets d’entreprise. Des groupes de travail composés de managers, de représentants des filières RH et prévention seront également chargés de faire remonter les ressentis, challenger les process existants et à venir, et co-construire des actions et engagements concrets. Enfin, les représentants du personnel et les organisations syndicales représentatives pourront partager leur vision, remonter les besoins des salariés et confronter les dispositifs proposés avant respectivement de discuter et négocier l’accord. Telles sont les conditions qui permettront de disposer d’un support performant suscitant adhésion et attractivité.

Suzanne Azmayesh et Kamel Adrouche
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[1] Par exemple, la réunion en 2019 des responsables de projets Qualité de Vie au Travail (QVT) et acteurs RH issus de la fonction publique (ministères, établissements publics) qui ont constitué un groupe de travail pour réfléchir avec l’appui de l’Anact aux questions de qualité de vie au travail et d’innovation sociale et organisationnelle. Cf. Secteur public : partager des expériences pour développer la qualité de vie au travail | Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact).

[2] Notamment le sondage réalisé par Opinionway sur la question de "la santé mentale en entreprise" présenté par l’Association Psychodon présentée le vendredi 30 avril 2021. Cette association vise à sensibiliser le plus grand nombre autour des maladies psychiques, rassembler autour de cette cause et collecter des fonds pour financer des projets dans la recherche, l'accompagnement des 12 millions de Français touchés comme de leur entourage et le développement d'actions de prévention sur les territoires. Elle est soutenue par la Fondation Sisley-d'Ornano, le groupe Vivendi, et la Fondation Orpéa.

[3] Certaines entreprises ont une expérience notable en la matière. On peut citer par exemple la création, dès janvier 2000, à l’initiative de la RATP et de la GMF, de l’IAPR, Institut d’Accompagnement Psychologique et de Ressources. Les psychologues de l’IAPR ont notamment été mobilisés pour accompagner les salariés et les managers de la RATP et prendre en charge d’une manière spécifique le conseil et le soutien psychologique 7j/7 et 24h/24 de ce personnel.

01/02/2022

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