L’ingénieur est-il voué à disparaître dans un monde technologique ? L’IA est-elle le waterloo de l’ingénieur ?

09/05/2021 - 7 min. de lecture

L’ingénieur est-il voué à disparaître dans un monde technologique ? L’IA est-elle le waterloo de l’ingénieur ? - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

Depuis 20 ans, Aymar de La Mettrie déclenche des innovations disruptives en milieu industriel. Prospectiviste, il apporte aux analyses stratégiques la compréhension des grands enjeux avec un double regard, celui de l’évolution du jeu des acteurs et celui sur les technologies en devenir. 

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La prospective : deux yeux pour une réalité

Le prospectiviste est cet être particulier qui, de ses deux yeux, regarde l’avenir pour embrasser les différentes dimensions qui sous-entendent les actions humaines, c’est-à-dire la volonté et le moyen. Son premier regard portera sur la volonté, le pourquoi des actions, ce qui motive un comportement individuel ou collectif; son second se dirigera sur les moyens, les outils et technologies qui vont permettre la réalisation des intentions. Le prospectiviste embrasse de son regard un champ allant de la sociologie à la technologie.

Des bascules qui inversent certaines hiérarchies

L’observation attentive des sociétés et de l’état du monde permet de constater un phénomène très net d’accélération des évolutions et des changements. Certains parlent même de bascules ou encore de phénomènes d’inversions. Si l’on a pu parler dans un précédent post de l’inversion des modèles politiques, avec la prééminence croissante de l’émotionnel comme source d’intention et donc d’action pour des multitudes baignées d’empowerment, un aspect du futur reste à explorer, celui des technologies ou, plus précisément, la manière dont elles sont mises à disposition. La question n’est pas de savoir comment elles émergent, mais comment cette multitude se les approprie comme nouvel outil ou nouveau moyen pour réaliser ses ambitions.

Dans un premier temps, il n’a échappé à personne que la diffusion du savoir, que l’instantanéité des informations, ont déjà des inversé la relation maitre-élève ou medecin-patient, etc.. Notre avenir attend les promesses de la robotique, de l’hyperconnectivité, de l’hydrogéne,  de la voiture autonome etc…avec leur cortége de changements. Des phénoméne aujourd’hui encore peu visibles, auront des effets plus radicaux, c’est l’inversion de la conception des systémes et des objets permise par l’IA et l’impression 3D/4D et leur accessibilité à tous.

Traditionnellement, dans la conception et la mise à disposition des technologies, la part belle revient aux « sachants » de la science et de la technique. La R&D est le territoire de ceux qui connaissent et explorent la complexité des phénomènes physiques et des systèmes techniques, Ils produisent un savoir nécessaire à la création, au développement, à l’assemblage des technologies, qui seront exploitées ensuite par des clients qui pourront user de ces moyens.

Les nouvelles technologies digitales, comme l’IA ou l’impression 3D, ont la particularité d’être détenues par des communautés internationales, ce qui les rendent par nature accessibles à tous. L’IA automatise des fonctionnements digitalisés et l’impression 3D permet a chacun de passer du virtuel au réel.  Une des huit lois d’évolution de la théorie TRIZ, pousse à appréhender l’interconnexion des technologies entre elles. Un nouveau paradigme apparaît,  ses premiers effets se font déjà sentir. La pervasivité des technologies favorise les acteurs « hors marché » et les boucles de conceptions s’inversent en mettent le client à la source du produit.

L’industrie capitalistique attaquée par la pervasivité des nouvelles technologies

Disponibilité des technologies, IA, l’impression 3D sont deux  technologies qui mettent en lien des champs techniques et qui rendent accessible à tous la complexité physique et logique. La capacité à produire un système technique complexe ne dépend plus de la possession d’un asset capitalistique (usine, centre de R&D). Chaque individu doté de moyen d’impression 3D et de quelques composants du commerce peut ainsi monter de lui-même un robot, un drone, un prototype etc., L’industriel, disposant de capitaux lui permettant de financer les outils de fabrication de masse ou des centres de R&D couteux, se trouve donc dépossédé d’un avantage concurrentiel. Dans des marchés mondiaux friands de changement, les dynamiques de diffusion de l’innovation sont accélérées.

La compétition s’inverse, elle n’est plus dans la propriété d’un savoir, mais dans la vitesse de mise sur le marché. Par exemple les industriels traditionnels se voient défiés par des sociétés privées qui « disruptent » les approches et les régles dans le domaine du spatial, du médical, du transport, ou de l’automobile. Les grandes innovations sont portés par des acteurs « hors marché », l’iphone n’a pas été mis sur le marché par un acteur des télécom et Tesla est sorti presque de nulle part.

Ce premier impact a eu un premier effet de sidération pour les décideurs qui tentent alors de révolutionner la vitesse de réflexion  stratégique et la capacité à prendre des risques. Cet effort de création d’une capacité agile au travers d’écosystème de nouvelles technologie est nécessaire et louable. Concentré sur ce rattrapage, peu d’industriels perçoivent comment l’IA et l’impression 3D/4D inversent les métiers de la conception.

L’inversion de la conception promise par le « design génératif » et le « no code »

L’intégration des outils de la chaîne numérique de conception fait interagir les différents logiciels nécessaires à la conception, accélère radicalement le temps. Le dernier prototype de l’US Air Force a été développé en un an[1], sans commune mesure avec les 15 ans du Rafale. Mais, surtout, ces environnements numériques couplés à de l’IA permettent d’inverser la manière de concevoir un objet en faisant apparaître la révolution du « design génératif » pour les objets physique et le « no code » pour les logiciels

Par le passé, un objet physique était conçu par des boucles qui prenaient en compte ; la forme, la tenue aux contraintes et à la fatigue, l’industrialisation. Cette approche faisait intervenir différents métiers techniques, ingénieurs et techniciens.

Dans les approches le design génératif ou de low code / no code, les étapes se font automatiquement en s’affranchissant de l’intervention humaine. C’est la machine qui interprète et optimise la réponse à un besoin initial exprimé par un utilisateur. Ces approches existent déjà à l’état de prototype comme en témoigne certains essais sur des cadres de vélo Décathlon[2], le MBSE ou encore le low code /no code dans le milieu logiciel.

Que deviennent les développeurs si chacun peut exprimer son besoin à une machine qui fournit une application ou un logiciel créé automatiquement ? Que devient l’ingénieur quand la machine calcule, optimise et dimensionne des composants mécaniques de manière autonomes ? celui qui connaît le besoin conçoit le produit, alors qu’avant il était conçu par un ingénieur qui connaissait la technologie.

Cette inversion dans la manière de concevoir un objet ou un système technique a de multiples conséquences. De nouvelles compétences qui ont trait à l’expression du besoin à une machine. De manière plus macro, de nouvelles chaînes de valeurs, de nouvelles formations, de nouvelles technologies émergent. La prospective utilise beaucoup les scenarii, une brève hsitoire qui rend tangible un futur possible pour faire émerger des questions, des opportunités ou des menaces.

Les nouveaux paradigmes

Imaginez un groupe de personnes habitant dans un hameau en Europe. Elles souhaitent déplacer un ensemble de vieilles statues par exemple. Le groupe exprime son besoin a une interface de réalité immersive qui analyse les mouvements, leurs voix et les émotions des visages. Un ordinateur formule des propositions sont visualisées en temps réel, et les réactions du groupe permet de les faire évoluer. La simulation permet de se rendre compte de l’usage, la taille des objets, leur cinématique, les moyens de contrôle. In fine, des logiciels de pilotage supervisés et des objets robotiques ou cobotiques autonomes sont alors créés par assemblage de blocs fonctionnels (rouler, porter, basculer) en quelques jours. Une fois utilisés par le groupe en question, les matériels et les logiciels, seront démontés et réutilisés ultérieurement.

Dans cette saynète volontairement extréme et vécue du point de vue de l’utilisateur, les questions de la chaîne de valeur apparaissent. Qui est l’acteur qui assemble ces technologies  disponibles pour proposer le service ? qui capte la valeur ? Un acteur  télécom ? Un acteur de la mobilité ? Un opérateur de service, un acteur du levage, etc. ?

Le pouvoir créateur pour tous : un rêve utopiste

Quand le savoir s’automatise, les besoins les plus fous semblent alors réalistes. La communauté grandissante des bidouilleurs et « makers » va croître pour créer des réponses spécifiques à des situations locales.

La nature de l’homme permet d’etre optimiste ou pessimiste, selon le point de vue adopté.

Sensible au monde de la défense, et inspiré par les travaux RED Team de l’AiD, je ne peux que m’interroger sur la confrontation violente entre des armées et des populations dotées de « design plus engagées sur l’évolution de la planète pourront, avec ou sans discernement, enclencher les comportements ou les changements que leur enthousiasme de groupe les poussera à mener. Que l’on soit jeune ou vieux, chaque situation individuelle pourra alors trouver une réponse partielle et évolutive.

La nouvelle rupture industrielle

Face aux formidables défis de ces bascules technologiques, si la voiture autonome remet en question l’école du permis de conduire, l’IA et l’impression 3D défient aussi les écoles d’ingénieurs. Que faudra-t-il apprendre dans le futur ? Ce n’est plus la digitalisation des métiers traditionnels, mais l’inversion de l’état d’esprit qu’il faut enseigner. L’ingénieur et le scientifique, forgés dans notre imaginaire, vont ils perdurer encore longtemps sous la forme qu’on leur connait ?

 

La valeur change de camp. L’industrie change d’âme. L’innovation en hurlant grandit comme une flamme.

 

Aymar de La Mettrie 

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[1] https://www.defensenews.com/breaking-news/2020/09/15/the-us-air-force-has-built-and-flown-a-mysterious-full-scale-prototype-of-its-future-fighter-jet/?utm_source=Sailthru&utm_medium=email&utm_campaign=Breaking%20News%2009.15.20&utm_term=Editorial%20-%20Breaking%20News

[2] https://www.3dnatives.com/decathlon-et-autodesk-conception-generative-11112020/

 

09/05/2021

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