L’anticipation et la prévention des risques seront plus que jamais une nécessité pour notre avenir
22/05/2020 - 4 min. de lecture
Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Diplômée de Fudan University et d'HEC Paris, Sophie Zhou Goulvestre est franco-chinoise et dirige le cabinet de conseil SR2C.
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Dans la langue chinoise, le mot crise est composé de deux idéogrammes « danger (危) » et « opportunité (机) ». Cela signifie qu’il faut toujours garder espoir même si l’on est devant une difficulté semblant insurmontable. En lien avec l’actualité, la période actuelle peut être aussi un moment privilégié pour prendre du recul, réfléchir sur nos lacunes, trouver une réponse au « comment faire pour ne plus jamais commettre les mêmes erreurs » et finalement préparer l’avenir. Pour moi, une chose est certaine, c’est qu’il est maintenant temps que toutes les parties prenantes de l’écosystème économique français (actionnaires, chefs d’entreprise, salariés, syndicats, clients, fournisseurs, institutions) soient davantage sensibilisées à l’anticipation et à la prévention des risques ainsi qu'aux éléments essentiels de l’intelligence économique, laquelle sera plus que jamais importante pour préserver la compétitivité et la souveraineté de notre pays à l’avenir. Elles doivent se consacrer pleinement à ce sujet sans plus tarder : face à une attaque-surprise, il vaut toujours mieux, en réponse, une prévention anticipée, sereine, méthodique (rigoureuse) et au fil de l’eau, qu’une défense précipitée, une victoire arrachée avec de lourdes pertes dans son propre camp et, pire, une défaite irréversible.
Le réveil est sans doute douloureux mais néanmoins utile pour que nous puissions réfléchir et tenter de répondre rapidement aux questions suivantes : pourquoi sommes-nous arrivés à ne plus maîtriser aisément notre autonomie stratégique et souveraine ? Que devons-nous faire pour être prêts lors d'un évènement extérieur aussi sévère quelle que soit la forme sous laquelle il se présentera ?
L’analyse et la formulation de ces réponses sont évidemment complexes et doivent se décliner en plusieurs dimensions : européenne, politique, économique, culturelle, sociétale, etc.
Cependant, concernant l’aspect économique, l’observation et les expériences existantes peuvent déjà nous donner quelques indices, même partiels, sur le « pourquoi sommes-nous arrivés à la situation d’aujourd’hui ». Les entreprises françaises auraient en effet un décalage généralisé en matière d’anticipation et de prévention des risques et plus globalement en matière d’intelligence économique[1] par rapport à leurs homologues des autres pays développés comme les États-Unis, l’Allemagne et le Japon, dans lesquels il est courant de faire appel à des spécialistes et à des processus stricts de veille et d’action afin de préserver les intérêts et la sécurité d’une société ou d’une filière économique à court et à long termes. Certaines firmes françaises, même de renom, ont connu par le passé des mésaventures dans leur expansion internationale. BNP[2] et Alstom[3] ont été trainées en justice aux États-Unis. Danone[4] a été fortement perturbée dans ses affaires en Chine par son partenaire local d’une joint-venture.
Tout en sachant raison garder, les notions de guerre et d’intelligence économiques semblent encore peu présentes dans l’esprit de beaucoup de dirigeants d’entreprise français, notamment de ceux des PME, au sein desquelles, on trouve rarement des experts dédiés à l’intelligence économique ou, dans une moindre mesure, à la sécurité de l'information et à la gestion des risques. Parfois, quelques postes similaires existent (responsable de la veille du marché, responsable du plan de continuité d’activité, responsable de la cyber-sécurité, etc.) mais ils se situent le plus souvent au niveau d’une direction opérationnelle, en mode îlot, et gagnent difficilement leurs lettres de noblesse en comparaison avec d’autres fonctions supports clés (finance, communication, marketing). Par conséquent, une entreprise française serait souvent moins armée et moins bien protégée, donc plus exposée à certains risques que ses concurrentes sur l’échiquier mondial.
Autour des activités sensibles, que faut-il concrètement faire ici et maintenant, en gardant toujours un esprit entrepreneurial ouvert et global ? Quelques idées d’engagements et d’actions rapides sont à partager et à échanger avec tous :
- qualification systématique des activités/données comme stratégiques ou non pour une organisation donnée, qu'il s'agisse d'une entreprise ou de l'Etat,
- renforcement général de la cyber-sécurité par des campagnes de sensibilisation, des formations, la mise en place d'un système expert, etc.,
- labellisation de la fiabilité stratégique des ressources humaines / fournisseurs avec un processus rigoureux de collecte et de vérification de l'information, d’analyse et d'enquête,
- approbation appropriée d’une décision de délocalisation,
- contrôle d’accès aux actifs d’une entreprise française par un investisseur étranger, aussi bien pour sa motivation que pour son volume.
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[1] L’intelligence économique est l’ensemble des activités coordonnées de collecte, de traitement et de diffusion de l’information utile aux acteurs économiques, en vue de son exploitation. On peut y ajouter les actions d’influence et de notoriété ainsi que celles liées à la protection de l’information.
[2] La banque est formellement condamnée à une amende record aux États-Unis en 2014, accusée par la justice américaine d’avoir contourné, entre 2000 et 2010, les embargos imposés par les États-Unis à Cuba, à l’Iran, au Soudan ou à la Libye. Elle aurait payé 8,9 milliards US$ d’amende.
[3] Accusé de corruption dans plusieurs pays par le département de la justice américain, Alstom avait plaidé coupable et passé un accord pour que soit close l’enquête. Le montant de l’amende a été officialisé en 772,29 millions de US$.
[4] En 2006, Danone a porté plusieurs accusations contre son partenaire JV chinois Wahaha pour la violation de contrat et de droits, le développement furtif de sociétés pour concurrencer avec la joint-venture, l’abus dans l’utilisation de la marque, et a exigé que Wahaha lui cède 51% des actions des sociétés établies furtivement au prix de 4 milliards RMB de l’actif net.
22/05/2020