Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Diplômé de l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr, ancien Officier parachutiste à la Légion Étrangère, François Bert est Fondateur d’Edelweiss RH et de l’École du Discernement.
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Après un magnifique tournoi en coupe du monde de football et une finale épique, la France s’incline face à l’Argentine aux tirs aux buts, passant en quelques secondes d’un fol espoir à une amère déconvenue. Quelle est donc cette fièvre qui unit si puissamment dans l’allégresse comme dans les larmes des populations entières ?
Le sport a la vertu de cristalliser par son émotion concentrée le non-dit des Nations. Au cœur d’une mondialisation battue en brèche par les épidémies et les conflits, une soif d’unité visible, intime presque, semble se faire sentir. Elle jaillit avec une étonnante intensité, permettant des moments de grâce, malgré la défiance habituelle de beaucoup vis-à-vis des supporters, quand, notamment, des regards, des poignées de mains ou des acclamations s’échangent entre inconnus dans les bars ou dans la rue.
Il y a aussi ceux qui en profitent pour casser, dégrader, salir. Ces "enfants perdus de la République" sont surtout ceux de la patrie, ni associés à sa grandeur, ni contraints dans leurs erreurs. Il y a pire : les poussées patriotiques s’effacent et ralentissent — et les Nations sont inégales sur le sujet — si elles ne sont transformées par les pouvoirs en élan durable. C’est en cela que le sport n’est pas pour le politique une occasion de briller à l’unisson de l’équipe nationale mais bien celle d’écouter un signal, tout particulièrement quand la défaite, soudaine, apparaît : comment faire vivre l’esprit de victoire ?
Le marécage de l’image
La politique confond performance et victoire, émotion et action. Elle se greffe assez naturellement sur tout ce qui pourra redorer son blason, sans s’apercevoir une seconde que vouloir glaner de la gloire visible plutôt que d’en prolonger dans le calme ses effets, c’est souligner son incapacité à l’autorité.
Qu’est-ce que l’autorité ? On pourrait la définir comme "la puissance d’accomplissement de la mission". Et qu’est-ce que la mission ? En formule ramassée, "l’actualisation du débouché collectif". Au niveau d’un pays, cela signifie qu’exercer l’autorité, c’est ne céder ni au vertige de la loi, ni au vertige du lien (posture autoritaire ou posture débonnaire) mais comprendre, étape après étape, autour de quelle finalité une Nation a besoin de se coaliser pour s’élever, et lui en donner les moyens. Cela implique d’écouter avec suffisamment de recul ce qui est en jeu dans sa vie domestique et externe et d'y concentrer ses efforts dans la durée.
D’évidence, notre Nation a besoin d’unité, de fierté. L’enthousiasme sportif autant que les furies destructrices en témoignent. Cette unité se construit avec des règles têtues sur l’essentiel et un travail collectif de longue haleine. Parce que le pouvoir vit à l’heure médiatique, il a la tentation constante de l’annonce à courte vue qui redonne, comme un lifting sur une peau usée, une apparence de santé. Ainsi, de la création de la "journée de la laïcité" à l’heure où le régalien, censé la garantir et la crédibiliser, est sans cesse bousculé (crise d’autorité, de moyens et de résultats de l’éducation nationale, émeutes urbaines, communautarisme, explosion de la délinquance, surpopulation carcérale, récidive, etc.).
Le désarroi des seules lois
Face à cette lente paralysie, qui procède bien d’une incapacité de l’État à écouter les signaux faibles et à produire une vision (notamment la gestion des parcs nucléaire et hospitalier, pour remonter aux seules crises en cours), la tentation est alors d’habiller l’action publique d’une intense production de lois.
Outre les freins internes de l’assemblée, amenant souvent les lois à être dépossédées de leur objet, outre la non priorisation de l’urgence (quelques semaines avant la guerre en Ukraine, on votait un amendement de la majorité "pour dégenrer le congé paternité"), les lois flattent l’esprit mais paralysent l’action : 50 % des lois françaises ne sont pas exécutées.
Il y a dans la production illimitée de lois un réflexe de bon élève, de celui qui dit non pas "j’ai fait tout pour parvenir au résultat escompté" mais "j’ai dit ce qu’il fallait", voire "j’ai fait une réponse sur le sujet". On oublie qu’une loi, exécutoire, doit s’échiner à être exécutable : les chambres devraient produire une désinflation législative jusqu’à y parvenir, plutôt que d’encombrer l’ordre du jour de sujets marginaux, intraductibles dans l’action et compliquant l’action de la force publique déjà à la peine.
Cette désinvolture institutionnelle, à peine consciente, creuse par les faits, à mesure que le dérisoire est traité à la place de l’essentiel et que l’essentiel est gelé dans des codes muets, un écart quasi-irrécupérable entre la conscience populaire et l’État. Pas étonnant que les mairies soient sur-sollicitées, sur d’ailleurs une somme incalculable d’intérêts particuliers tant le collectif semble vain ou miné.
La moisson durable de l’action
Ce que ne perçoivent pas, du moins pas assez, les gouvernements successifs, c’est que la force d’une Nation ne réside ni dans la manière dont on lui plaît, ni dans la manière dont on la soumet, mais dans la manière dont on la fait lever. Comment ? En enclenchant précisément chez elle l’esprit de victoire. En quoi consiste-t-il ? En l’alignement, d’abord, des talents coalisés sur un débouché, visible et fécond, et en une mentalité, ensuite, d’"irréductibilité", c’est-à-dire en une foi indéracinable dans une possibilité de rebond. Aligner les talents sur le débouché, c’est écouter deux fois : écouter d’une part beaucoup "la base" (la vue du terrain vient d’en bas, avec acuité et créativité : celui qui tient le clou sait conseiller celui qui tient le marteau, mieux que l’inverse), écouter d’autre part, en retrait — ce qui implique de beaucoup se taire, l’étape de sens à offrir à tous (plutôt que d’incanter des principes ou une ambiance désincarnés).
Mettre en mouvement un peuple, c’est créer de l’espoir mesurable, par de l’action faite en commun, par des objectifs atteints, par des sursauts permis et des rapprochement créés dans la défaite ou l’épreuve. Ainsi, par exemple, d’organiser de la solidarité et de faire confiance aux initiatives locales pendant le Covid plus que de calibrer du haut vers le bas chaque geste du quotidien, ainsi de renforcer les liens patriotiques et augmenter les moyens militaires quand survient la guerre en Ukraine (et créer un vrai service national, tant qu’il en est encore temps ?), ainsi de connecter, dans la solennité calme, le peuple français à ses héros, son courage, ses trésors et ses défis plutôt que d’aller consoler Kylian Mbappé sur le terrain. Il y a dans le cœur français une nostalgie de victoire qui a un goût d’espoir, une obstination qu’attiédit le discours mais qu’enracine l’action : à cet état d’esprit prenons, chacun, notre part !
19/12/2022