Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
René Picon-Dupré est ancien DRH, consultant RH et management.
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Lors du 20ème anniversaire de de l'association "Communication Publique", à l'occasion d'un colloque organisé au Palais Royal le 21 octobre 2009, Monsieur Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d’État, déclarait à propos de la communication publique :
"Longtemps discrète, sans doute en raison du caractère unilatéral de la relation entre le service et l'usager, longtemps effacée par la question de la responsabilité du pouvoir politique, la communication publique s'est affirmée et n'est plus, aujourd'hui, un complément ou un supplément d'âme des politiques publiques. Elle en constitue au contraire, très clairement, un pilier majeur.
Deux aspects de la communication publique contribuent à en faire ainsi une exigence démocratique : elle concourt, tout d'abord, à l'affirmation de l'Etat de droit et elle est, ensuite, un impératif de bonne gestion publique."
Tout est là, pourrait-on dire !
Et pourtant, surtout en ces temps de crise où il est facile de reprocher au Gouvernement de trop communiquer aussi bien que de ne pas assez communiquer, comme d’être trop précis ou pas assez, donc de mal communiquer, il paraît intéressant de s’interroger sur cette notion de communication publique, sans pour autant prétendre régler définitivement cette question. Le paradoxe étant qu’un certain nombre de ces critiques émanent de journalistes qui contribuent parfois eux-mêmes à rendre inaudible la communication publique.
Dans un monde idéal, on pourrait considérer qu’il y a une différence entre communication publique et communication politique, communication d’entreprise et "coup de comm" ou "buzz". En effet, la communication publique ne devrait pas chercher à faire de la publicité, encore moins à créer le buzz sur une information exagérée, et elle devrait se différencier de la communication politique entendue au sens programme ou de position de parti.
Encore faudrait-il distinguer, dans ce dernier cas "politique" et "publique" : quand elle est destinée à faire connaître une politique, la communication publique est-elle toujours aussi pure ? Quand le Maire de Perpignan s’exprime, à la suite de la mort de deux adolescents dans des rixes, il est difficile de déterminer ce qui relève de l’avis du Maire et de la position du parti politique auquel il appartient. Quand la "Mairie" de Paris lance l’idée d’un confinement de 3 semaines avec la perspective de tout rouvrir ensuite (juste après l‘intervention du Premier Ministre, en rejoignant une partie des avis médicaux et en faisant plaisir à ceux qui pensent que tout redeviendra comme avant ensuite), c’est un beau "coup de comm" politique !
Et ce n’est pas si simple actuellement : les réseaux sociaux et les chaînes de télévision en continu notamment ne facilitent pas la communication publique, d’autant que l’organisation des services de l’État peut aussi contribuer à ces problèmes. On est loin du garde-champêtre de nos aïeux avec son tambour et sa voix de stentor !
Si on peut penser que la communication publique est spécifique, pour autant, aujourd’hui, il faut ajouter un certain nombre de bémols à cette affirmation, notamment à la lumière de la crise du Covid.
Dans les moyens et les méthodes la communication publique ne paraît pas aujourd’hui aussi spécifique :
- Les supports de communication sont aujourd'hui les mêmes : presse écrite, journaux télévisés, chaînes de télévision en continu, réseaux sociaux. C’est tellement vrai que le Président de la République a décidé de communiquer à l’adresse des jeunes sur le réseau TikTok, voire de faire un pari avec un duo de "YouTubeurs" qui a publié une vidéo sur les gestes barrière.
- Dans un certain nombre de cas, ils ont des usagers très proches des clients à qui ils doivent des informations et qui les réclament : c’est vrai des administrations qui ont des activités de guichet, physiques ou virtuelles.
- Les citoyens attendent d'être informés quasiment en temps réel. Ils le perçoivent comme une marque de respect. Ils reprochent les informations tardives ou incomplètes et ceci peut générer des effets pervers, une information donnée trop tôt ou passez claire pouvant générer des espoirs ou des craintes. Rappelons-nous les annonces de lever du premier confinement plusieurs fois reportées qui ont créé de faux espoirs chez les citoyens et les commerçants. De même, la situation actuelle sans confinement a été une surprise quand tous s’attendaient à un retour du confinement. Et, récemment, le Président de la République émet l’idée d’un "pass sanitaire" sans pour autant pouvoir en définir clairement le contenu.
- Le rôle des médias est aussi ambigu : les débats organisés par les chaînes en continu qui invitent de vrais ou soi-disant experts contribuent à brouiller le message. Quand des autorités médicales ou certains élus promettent l’apocalypse, il est difficile au Gouvernement de tenir une ligne modérée qui peut alors paraître peu soucieuse de l’intérêt général. A contrario, lorsqu’il ne suit pas l’avis des experts, les médias soulignent son courage, jusqu’à la prochaine fois.
- Ils attendent aussi que cette information soit agréable : le style "Journal officiel" ne passe pas ! Elle doit aussi être compréhensible pour tous, claire et objective. Elle doit à la fois informer, convaincre et obtenir l'adhésion, et ne pas risquer de déconsidérer la puissance publique. L’intervention, chaque soir, au début de la pandémie du Covid, du Directeur général de la santé égrenant avec une mine de circonstance le nombre quotidien de décès, d’admission à l’hôpital et en réanimation, n’a pas forcément contribué à faire passer un message d’espoir dans le grand public.
- On est dans un monde où la communication est un élément du management et on ne peut y échapper. Le Gouvernement et les collectivités locales ont intégré cette dimension. Ils ont des services de communication. Ils communiquent via les médias et la publication des textes juridiques devient secondaire, quand elle n'est pas précédée de loin d'une information publique. C'est ainsi que les médias ont parfois annoncé comme approuvées des décisions non prise : par exemple, vote d’un projet de loi par la seule Assemblée Nationale présenté comme le vote définitive de ladite loi.
- De même, il est regrettable que les inexactitudes et erreurs de nos amis journalistes ne soient ni relevées ni redressées : récemment, un débat sur une grande chaîne portant sur un rapport de la Cour des comptes relatif aux primes des agents de la RATP a débordé sur la situation des fonctionnaires, laissant entendre que les agents de la RATP seraient des fonctionnaires, ce qui est totalement erroné.
- Attention aux annonces successives qui donnent une impression d’impréparation, d’amateurisme, voire de volonté de cacher certaines choses, même si elles correspondent à la réalité d’un processus en cours d’évolution que l’on ne peut maîtriser totalement :
- Qu’on se rappelle la communication sur l’inutilité des masques, lesquels sont aujourd’hui devenus indispensables ! Certes, cette position était aussi celle de l’OMS mais en même temps émergeait l’information sur une pénurie de masques qui a jeté le doute sur le fondement réel de cette information.
- Actuellement, c’est la politique vaccinale qui est en cause : démarrage difficile non reconnu immédiatement, promesse de vacciner tous les français (et même plus : 70 millions !) d’ici la fin de l’été ; beaucoup de doutes subsistent, relayés par les médias, avec l’aide de certains "experts", et la communication gouvernementale peine à contrer ce pessimisme ; il ne suffit pas d’incantations, mais il faut trouver des éléments concrets à présenter.
- Et, si on se réfère au droit, on peut comprendre la multiplication des annonces : depuis le début de la pandémie, j’ai décompté plus de 600 textes publiés au Journal Officiel en relation avec le Covid dont plus de 71 concernent les mesures générales et certains sont modifiés d’un jour à l’autre !
- Une autre question se pose : qui doit communiquer ? qui communique ? et peut-il y avoir une doctrine unique sur un sujet donné ?
- S'agissant du Covid, une hiérarchie s’est créée de fait : au Ministre chargé de la santé le quotidien, au Premier Ministre les "bonnes nouvelles", au Président de la République les "mauvaises nouvelles" (entendons par là confinement ou non).
- Au-delà de ces têtes, quand les ministres viennent sur les plateaux, le risque n’est pas nul que tel ou tel interrogé sur le Covid se laisse aller à donner un avis sur un sujet qui ne relève pas de sa compétence ou n’affiche une position différente de la doctrine du moment. Comment, en effet, est perçu par la population l’annonce de la Ministre de la culture de création de concerts expérimentaux : un moyen de calmer le jeu ou une annonce de jours meilleurs très vite ?
- Enfin, la politique gouvernementale peut-elle être l’objet de divergences ou de "cavalier seul" de la part de ceux qui la portent et la mettent en œuvre ? Deux faits récents témoignent de cette difficulté :
- la prise de position a priori personnelle de la Ministre de l’enseignement et de la recherche sur le lancement d’une étude sur l’"islamo-gauchisme" qui, soi-disant après avoir été tancée par le Président de la République, persiste et signe dans le JDD, puis modifie le sujet d’actualité en s’intéressant aux protections périodiques des étudiantes ;
- les divergences affichées sur le problème de la viande dans les cantines scolaires entre la Ministre de la transition écologique, d’une part, le Ministre de l’agriculture, d'autre part, sans parler du Ministre de l’intérieur.
En conclusion – très provisoire car un tel débat n’est pas prêt d’être fermé - si l’analyse de Jean-Marc Sauvé est toujours d’actualité, la communication publique se doit de composer avec les éléments contemporains de communication : individualisme, immédiateté, supports multiples, sans pour autant renier ce qui en fait la particularité : informer les citoyens, de façon claire et objective, des décisions prises.
12/03/2021