Le conflit du Haut Karabakh, nouvelle opportunité pour le trafic illicite d’antiquités ?

11/11/2020 - 5 min. de lecture

Le conflit du Haut Karabakh, nouvelle opportunité pour le trafic illicite d’antiquités ? - Cercle K2

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Stéphane Blumel est Officier de police judiciaire et Chef de groupe adjoint à l’Office Central de Lutte contre le Trafic des Biens Culturels (O.C.B.C.)

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En 1921, sous la supervision de Staline alors Haut-Commissaire aux Nationalités, l’oblast autonome du Haut-Karabakh, située en Azerbaïdjan du sud-ouest, majoritairement peuplée d’arméniens, a été rattachée à la République Socialiste Soviétique d’Azerbaïdjan, non sans poser quelques tensions inter-ethniques. 

A la fin des années 1980, malgré la Glasnost (politique d’ouverture et d’augmentation des libertés individuelles menée par Mikhaïl Gorbatchev) et le souhait de nombreuses personnalités arméniennes populaires, membres de l'intelligentsia russe, cette enclave du Caucase n’a pas été réunifiée à l’Arménie.

De février 1988 à mai 1994, cette région séparatiste de la taille d’un département français a été impliquée dans un conflit armé opposant les arméniens de l'enclave alliés à la république d'Arménie à la république d'Azerbaïdjan. Un cessez-le-feu provisoire a permis de mettre fin aux hostilités. Cependant, malgré les diverses tentatives de médiation internationale (groupe de Minsk de l’OSCE composé de la France, de la Russie et des Etats-Unis), les tensions entre les parties sont restées vives. De nombreuses escarmouches ont d’ailleurs régulièrement rappelé à la communauté internationale que la situation demeurait toujours aussi préoccupante et que cette zone demeurait une véritable poudrière.

A partir du 12 juillet 2020, de nouveaux affrontements ont eu lieu entre les forces armées arméniennes et azerbaïdjanaises, faisant plusieurs centaines de victimes. La Turquie, pays frontalier de l’Arménie et soutien de l’Azerbaïdjan, dans une stratégie d’expansion de son influence, est soupçonnée d’être l’instigatrice de ce nouveau conflit. Plusieurs centaines de mercenaires issus de groupes armés syriens, payés par la Turquie, seraient d’ailleurs présents dans cette région contestée. La Russie, sous l’égide de laquelle un premier cessez-le-feu a été conclu le 10 octobre dernier, semblait de son côté soutenir timidement l’Arménie et tenter de mettre fin au conflit.

L’Azerbaïdjan et l’Arménie se sont accusés mutuellement de bombarder des zones urbaines, en dehors même du territoire séparatiste disputé, ce qui risquait de générer une extension du conflit. Dans ce contexte, la destruction de sites patrimoniaux semblait inévitable. Une cathédrale arménienne historique située à proximité de Stepanakert, capitale de la république du Haut-Karabakh, a d’ailleurs été partiellement détruite.

Le 9 novembre, l’Azerbaïdjan a annoncé la prise de la ville de Chouchi. Le lendemain, sous l’impulsion de la Russie, les parties ont annoncé la signature d’un cessez-le-feu, les obligeant à garder les positions qu’elles occupent. Cet accord marque donc la victoire militaire de l’Azerbaïdjan et consacre une perte territoriale pour la république séparatiste. Pour maintenir la paix pendant au moins cinq ans, l’entente prévoit également le déploiement de troupes russes sur la ligne de front, ainsi que le long du corridor reliant le Haut-Karabakh au territoire arménien.

A l’instar que ce qui a pu être observé depuis plusieurs années en raison de la multiplication des conflits armés au Proche et Moyen Orient, les liens entre archéologie et géopolitique ont pris une nouvelle ampleur ces dernières années. Ce conflit du Haut-Karabakh ne semble pas avoir échappé à cette tendance. La protection des lieux de cultes, des ruines et sites archéologiques en danger dans cette région a été instrumentalisée à des fins politiques.

La petite république séparatiste est parsemée de vestiges archéologiques et sites patrimoniaux qui étaient en cours de fouille avant ce nouveau conflit. Ainsi, les sites archéologiques importants comme la cité antique de Tigranakert d’Artsakh (fondée sous le règne de Tigrane-le-Grand entre 95 et 55 av. J.C et site majeur du Christianisme primitif), le complexe monacal troglodyte paléochrétien de Khatchénaguède (V-VIIème siècle) ou encore le site Paléochrétien d’Amaras ont pu attirer les convoitises des archéo-trafiquants ou d’opportunistes.

De son côté, l’Azerbaïdjan est également un territoire au riche patrimoine culturel qui considère le Haut-Karabakh comme le berceau de la culture azerbaïdjanaise. Certains de ses représentants ont récemment fait savoir que la politique d’agression menée par l’Arménie contre l’Azerbaïdjan visait également son patrimoine culturel et l’identité de son peuple [1].

Dès le départ, ce conflit entre Arméniens et Azerbaidjanais laissait craindre la destruction de sites patrimoniaux, mais aussi le pillage archéologique, susceptibles d’alimenter le marché de l’art légal avec des objets empruntant les circuits de contrebande. L’avenir nous dira si cette crainte était fondée.

Il convient de préciser qu’avant d’arriver chez leurs nouveaux propriétaires peu scrupuleux les antiquités pillées et autres artefacts entreprennent habituellement de longs périples, passant par des frontières poreuses et par divers lieux de stockage. Ces objets sont souvent accompagnés de faux documents qui constituent de précieux sésames pour la circulation extra ou intracommunautaire, ainsi que pour la mise en vente sur le marché légal.

Il faut également savoir que les produits financiers de cette forme de trafic illicite permettent d’irriguer divers circuits économiques, puis de financer des activités criminelles ou subversives.

Les galeries d’antiquités et les maisons de ventes aux enchères publiques, notamment en Europe, sont naturellement exposées au risque de commercialiser des objets archéologiques de provenance illicite. Leurs responsables légaux, les experts et autres sachants, doivent donc être attentifs à la provenance des objets et mettre en œuvre les diligences qui s’imposent. Le Code international de déontologie pour les négociants en biens culturels [2] ainsi que le Code de déontologie de la Confédération Européenne Des Experts d’Art (CEDEA) [3] constituent des repères fondamentaux plus que jamais utiles à ces professions.

En France, les professionnels du marché de l’art tels que les antiquaires, les responsables des opérateurs de ventes volontaires, les officiers publics ou ministériels ainsi que les experts qui les assistent dans la description, la présentation, l’estimation et l’historiographie des objets sont soumis à des obligations légales strictement définies. Celles-ci n’ont d’autre but que d’éviter ou limiter toute forme de trafic illicite. A ce titre, les acteurs du marché engagent leur responsabilité.

Le Conseil d’Orientation de la Lutte contre le Blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB) a déjà sensibilisé sur les risques encourus par certains professionnels. Son rapport public d’octobre 2019 a rappelé que le secteur de l’art est l’un des plus vulnérables du fait de la présence d’espaces de stockages opaques et d’un contexte géopolitique défavorable.

Malheureusement, des acteurs du marché de l’art ne respectent pas toujours ces obligations eu égard aux considérables intérêts financiers en jeu. Des affaires judiciaires récentes, largement relayées par la presse française et internationale, viennent de le rappeler.

Il semble donc important d’accroître dès maintenant la vigilance sur un secteur économique dont certains acteurs, sensés adhérer aux valeurs morales et éthiques de la protection du patrimoine, pourraient être tentés de manquer à leurs obligations et ainsi permettre l’introduction sur le marché légal d’objets pillés dans la région du Haut-Karabakh.

Stéphane Blumel

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[1] Réunion d’information organisée le 28 octobre 2020 à l’université d’ADA à Bakou, à l’intention des représentant des médias et du corps diplomatique étranger.

[2] Adopté par le Comité intergouvernemental pour la promotion du retour de biens culturels à leur pays d'origine ou de leur restitution en cas d'appropriation illégale au cours de sa dixième session, janvier 1999 et approuvé par la 30e Conférence générale de l'UNESCO, novembre 1999.

[3] Adopté en 2003 par 3 associations françaises d’experts, fixant les droits et les devoirs de l’Expert et les sanctions qui découlent de leur violation.

11/11/2020

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