Le financement des PME en France : Quelles voies pour quels enjeux ?

16/07/2025 - 7 min. de lecture

Le financement des PME en France : Quelles voies pour quels enjeux ? - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

Bénédicte Germon, aujourd’hui chez KEDGE Business School (enseignement supérieur), a plus de 20 années d’expérience sur les marchés financiers, à diverses fonctions au sein du Groupe Euronext.

---

L'économie française en 2024/2025 a été marquée par une croissance faible, des pressions inflationnistes persistantes (bien qu’en décélération), et un environnement de taux d'intérêt durablement plus élevés qu’auparavant. La baisse de la demande intérieure et la flambée des coûts de l’énergie et des matières premières ont fortement dégradé la trésorerie de nombreuses entreprises : Au second trimestre 2025, 32 % des TPE/PME décrivaient leur trésorerie comme « difficile » (source baromètre BPIFrance). Ces facteurs ont directement influencé la capacité d'investissement et la rentabilité des PME : gel des investissements, allongement des délais de paiement, ajustement des effectifs (18 % ont signalé une baisse d’emploi). Bien que l’accès au crédit se soit légèrement amélioré, la notion de redressement reste prématurée, la priorité étant donnée à la préservation de trésorerie. Les incertitudes géopolitiques et les choix liés à la transition écologique et digitale ont ajouté une couche de complexité, en exigeant des investissements significatifs qui nécessitent un accès stable et diversifié aux capitaux. 

Les PME constituent l’ossature de l’économie française. Plus de 159 000 PME « classiques », hors microentreprises, emploient près de 4,5 millions de salariés et génèrent environ 23 % de la valeur ajoutée nationale (source INSEE). Elles sont des acteurs majeurs de l'innovation, de l'emploi local et de la dynamisation des territoires. En 2025, de nombreuses PME françaises ont affiché une belle résilience, notamment celles positionnées sur des marchés de niche, à forte valeur ajoutée, ou exportatrices. Elles sont parvenues à s'adapter aux mutations technologiques et aux nouvelles attentes des consommateurs. Cependant, une part significative est confrontée à des difficultés : 66 937 défaillances ont été recensées sur 12 mois fin avril 2025, un niveau supérieur à la moyenne pré‐Covid. Notamment celles qui sont fortement dépendantes des secteurs traditionnels, subissant la concurrence internationale, les pressions sur les prix, et des marges réduites. 

L'accès au financement reste donc un défi majeur, que ce soit pour les jeunes pousses, les entreprises en croissance rapide ou les PME ‘installées’, qui ont besoin de capitaux pour se développer. La capacité à conquérir de nouveaux marchés, à innover et à s'adapter aux normes environnementales est cruciale pour leur succès. 

Au cours des dix dernières années, le paysage du financement des PME en France a connu des évolutions notables. La dépendance historique au crédit bancaire a progressivement été complétée par de nouvelles sources. Les prêts bancaires restent prépondérants, mais les banques se montrent plus sélectives face aux risques croissants. En février 2025, l’encours des crédits bancaires s’élevait à 1 372 milliards €, soit +2,3 % en un an (source Banque de France). Le développement du capital-investissement (capital-risque, capital-développement, capital- transmission) a offert une alternative significative, avec une augmentation des montants levés et du nombre d'opérations. Le financement participatif (crowdfunding), bien que plus modeste, a gagné en popularité, avec plus de 1,7 milliards levés en 2024 via des plateformes de prêt ou obligations (source francefintech.org), notamment pour les projets innovants ou à fort impact local. Les dispositifs de garantie publique, comme ceux proposés par BpiFrance, 

ont également joué un rôle pour faciliter l'accès au crédit. Enfin, la place des marchés boursiers, notamment Euronext Growth, a tenté d'attirer davantage de PME, avec un succès mitigé, souvent limité aux entreprises de plus grande taille et ayant des perspectives de croissance à l’international. 

Pour une PME, la voie de financement est stratégique, et il en existe plusieurs : 

  • L'emprunt bancaire demeure la source de financement la plus courante. Il offre une solution souple pour le financement du cycle d'exploitation, des investissements matériels ou immatériels, et des besoins en fonds de roulement. Les coûts en sont relativement prévisibles et le contrôle de l'entreprise par les actionnaires fondateurs est maintenu. Cependant, il implique un remboursement régulier du capital et des intérêts, indépendamment de la performance de l'entreprise. En période de taux d'intérêt élevés, il devient plus onéreux et les conditions d'octroi plus strictes, exigeant souvent des garanties solides. 
  • Les fonds d'investissement, regroupant le capital-risque, le capital-développement et le capital-transmission, représentent une alternative ou un complément puissant. Le capital-risque s'adresse aux jeunes entreprises innovantes à fort potentiel de croissance, apportant des fonds propres en échange d'une participation au capital. Au- delà du financement, les fonds apportent souvent un accompagnement stratégique et un réseau. Le capital-développement concerne des PME matures cherchant à financer leur croissance organique ou externe (acquisitions), leur internationalisation, ou des investissements stratégiques. Le capital-transmission finance le rachat d'entreprises. Les avantages de ces fonds résident dans l'apport de capitaux sans remboursement d'intérêts, un accompagnement expert, et une crédibilité accrue. En contrepartie, ils impliquent une dilution du capital, une exigence de rentabilité et souvent une date de sortie de l'investisseur. 
  • Le financement participatif (crowdfunding) est une option pour les PME, particulièrement les plus jeunes, celles ayant un fort ancrage local ou une dimension sociale. Il peut prendre diverses formes : prêt participatif, investissement en capital (equity crowdfunding), ou don avec ou sans contrepartie. Les montants sont généralement plus modestes et la levée de fonds peut être ‘énergivore’. 
  • La Bourse, via des marchés dédiés aux PME comme Euronext Growth, offre la possibilité de lever des capitaux significatifs auprès d'un large public d'investisseurs. L'introduction en Bourse permet- au-delà du travail essentiel de structuration interne de l’entreprise exigé par la cotation- de financer des projets ambitieux, d'améliorer la notoriété de l'entreprise et de faciliter des opérations de croissance externe. Elle offre également une valorisation et une liquidité aux actionnaires existants. Cependant, l'accès au marché boursier peut être perçu comme complexe et coûteux, nécessitant une préparation rigoureuse, des obligations de transparence, de communication au marché, et une exposition aux fluctuations des marchés. La Bourse est généralement réservée aux PME de taille plus importante et ayant une stratégie de croissance claire et solide. 
  • Enfin, les aides et subventions publiques, par exemple celles proposées par Bpifrance, les régions ou l'Union européenne, constituent un apport non négligeable pour le financement de projets spécifiques (innovation, transition écologique, internationalisation). Elles peuvent prendre la forme de prêts d'honneur, de  subventions directes, d'avances remboursables ou de garanties. Ces dispositifs sont souvent ciblés et requièrent des dossiers solides sur des critères d'éligibilité précis. 

Le choix du financement à privilégier pour une PME dépendra donc intrinsèquement de sa situation spécifique. 

Pour une jeune entreprise en phase de démarrage et d'innovation, le capital-risque, associé potentiellement à des aides publiques et à du financement participatif, sera souvent la voie la plus appropriée pour amorcer son développement et valider son modèle. Ces fonds ne sont pas remboursables et permettent de ‘construire’ sans la pression immédiate de la dette. 

La Bourse devrait être envisagée pour des PME de taille plus conséquente, avec une forte visibilité, une gouvernance solide et un besoin de financement important pour des projets d’envergure ou des acquisitions majeures, voire encore des projets de transmission de l’entreprise. Elle est une source de financement de long terme qui peut transformer l'entreprise. 

Dans le contexte actuel, l'environnement de taux d'intérêt plus élevés suggère une prudence vis-à-vis de l'endettement bancaire. Cette prudence et un souci de résilience pourraient jouer en faveur d’une combinaison de fonds propres (issus du capital-investissement ou de fonds propres internes) et d'un endettement maîtrisé. Le recours à des dispositifs de garantie publique pourrait également se révéler une mesure de prudence pour sécuriser les emprunts. Les dirigeants de PME devront donc diversifier leurs sources de financement et ne pas se reposer sur une seule voie. 

Il n’en demeure pas moins que rendre la Bourse plus attractive pour les PME reste un enjeu majeur pour stimuler leur croissance et, par ricochet, l'économie française. Plusieurs pistes peuvent être explorées. 

Premièrement, la simplification et l'allègement des contraintes réglementaires et des coûts d'introduction, notamment via des guichets dédiés (Euronext Growth, SME Growth Market). Les PME sont souvent rebutées par la complexité administrative et les frais élevés liés à une cotation. Des procédures d'admission plus souples et des exigences de reporting allégées, adaptées à leur taille, pourraient les encourager. 

Un second axe est le développement de l'écosystème de l'investissement dédié aux PME. Par exemple, l'incitation des investisseurs institutionnels (fonds de pension, compagnies d'assurance) à investir davantage dans les PME cotées, par des dispositifs fiscaux attractifs ; mais aussi les investisseurs privés (business angels, family offices) via des fonds spécialisés PME cotées. 

Troisièmement, une meilleure éducation et sensibilisation des dirigeants de PME aux avantages et aux spécificités de la Bourse est nécessaire. Beaucoup perçoivent l'introduction comme une opération réservée aux très grandes entreprises. Des programmes d'accompagnement, des ateliers et des retours d'expérience d'entrepreneurs ayant franchi le pas pourraient démystifier le processus. Cela passe aussi par le renforcement de la visibilité et la liquidité (campagnes de communication, forums investisseurs‐PME, partage de données ESG...). 

Enfin, l'harmonisation européenne des marchés dédiés aux PME pourrait créer un marché unique plus vaste et plus attractif pour les entreprises comme pour les investisseurs, offrant une plus grande profondeur de marché et une meilleure visibilité. Cette harmonisation est en cours via le cadre juridique européen (MiFID II, SME Growth Markets, Listing Act). Elle vise notamment à uniformiser les exigences pour les marchés dédiés aux PME dans l’UE tout en maintenant la flexibilité nécessaire à ces entreprises, mais reste partielle, les règles locales (rôle de l’AMF en France, ou de la Consob en Italie, ...) influencent encore l’environnement. 

 

En conclusion, les PME sont bien plus que des entreprises ; elles sont le moteur de l'économie française, des vecteurs d'innovation, et des piliers de la réindustrialisation du pays. Elles jouent un rôle essentiel dans la création d'emplois, la dynamisation des territoires et le maintien d'un tissu économique diversifié et résilient. 

Nombre d’entre elles, étroitement liées aux grandes entreprises (sous-traitance/ cotraitance, partenariats R&D/innovation, savoir-faire, chaines d’approvisionnement, ...) ont été affectées au cours des dernières décennies par la disparition progressive, via rachats & fusions internationales, des champions français du CAC40. 

En termes d'innovation, les PME sont souvent à l'origine de ruptures technologiques et de nouveaux modèles d'affaires. Leur agilité et leur capacité à se réinventer sont cruciales pour la compétitivité française face aux défis globaux. La réindustrialisation de la France, objectif stratégique majeur, repose en grande partie sur la capacité des PME à moderniser leurs outils de production, à investir dans les technologies vertes ou digitales, et à se positionner sur des chaînes de valeur stratégiques. Elles contribuent également à l'exportation et au rayonnement international du savoir-faire français. 

Face à ces enjeux majeurs, l'accès à un financement adapté et suffisant est d'une importance capitale. Sans un financement robuste, les PME ne peuvent ni investir dans la recherche et le développement, ni moderniser leurs équipements, ni se développer à l'international, ni embaucher, ni opérer leur transition écologique, ni remplir leur carnet de commandes. Un financement inadéquat limite leur potentiel de croissance, les rend plus vulnérables aux chocs économiques et freine leur capacité à innover. 

Pour la France, la capacité à doter ses PME des moyens financiers nécessaires est une condition sine qua non pour atteindre ses objectifs de croissance, d'emploi, d'innovation et de souveraineté économique. Il s'agit d'un investissement stratégique dans l'avenir, permettant aux PME de continuer à jouer leur rôle de créatrices de valeur et de richesse partagées. 

Bénédicte Germon

16/07/2025

Dernières publications