Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Lionel Faure est Directeur de Projet de performance industrielle et digital, et Youness Laamiri Ingénieur Excellence opérationnelle, SPIE Nucléaire
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Le management, selon le dictionnaire Larousse, est un ensemble des techniques de direction, d'organisation et de gestion de l'entreprise et en même temps l’ensemble des dirigeants d'une entreprise. Selon cette définition, le management est à la fois l’acte et celui qui le réalise. Le rôle, les qualités et les compétences du manager conditionnent donc l’atteinte de l’objectif et la prise de la bonne décision stratégique dans l’intérêt de la société.
Les missions du manager ont évolué au gré des évolutions de l’entreprise, de sa fonction sociale, économique et sociétale. Son rôle et ses compétences sont devenues indissociables de la volatilité, de l’incertitude et de la complexité de l’environnement dans lequel il évolue. Le statut du manager a dû progresser vers celui de manager augmenté. Nous décrirons cette progression dans cette tribune, à travers :
- L’évolution de la fonction : la production de masse et les temps modernes
- La conformité (éthique des affaires et des valeurs), les nouvelles mutations et les compétences clés du manager en l’an 2025
- La transformation des fonctions RH
L’évolution de la fonction
La production de masse
L’ingénieur américain Taylor introduit, en 1880, l’organisation scientifique du travail dans un monde où la division du travail est la norme, pour permettre d’obtenir un rendement maximum de la production. Le manager à l’ère du taylorisme avait pour objectif de faire respecter les consignes suivantes :
- la verticalité, à savoir, les ingénieurs ("cols blancs") pensent le travail et les ouvriers ("cols bleus") doivent l'exécuter conformément aux instructions et à la formation que les premiers leur fournissent ;
- l’horizontalité consistant en la décomposition du processus de production d'un bien en une suite de tâches simples confiées chacune à un ouvrier spécialisé ; le manager contrôle le temps et attribue les salaires aux ouvriers au rendement
Le manager à l’ère du taylorisme fait preuve de compétences analytiques, travaille à mesurer le flux de production, le contrôler et l’optimiser. Il attribue les rôles à son équipe en fonction de leurs compétences unitaires et donne des directives simples, claires et précises.
Ce modèle de management n’est pas adapté pour la gestion des imprévus ou à l’évolution des demandes du marché, son impact est également perceptible sur la santé physique (apparition de troubles musculo-squelettiques) et mentale (absentéisme) des ouvriers. Le post-taylorisme est apparu pour faire évoluer les mœurs et remédier à la démotivation des travailleurs.
En 1907, Henry Ford consolide la verticalité et l’horizontalité taylorienne en matérialisant le flux de production, sous forme d’une ligne de montage. Chaque ouvrier voit donc le produit évoluer et peut se positionner sur la ligne en fonction de ses compétences. Le fordisme s’appuie également sur la standardisation du travail et l’augmentation du salaire des ouvriers en fonction de leurs compétences et de leur productivité.
Le manager a pour objectif, en plus du contrôle de la performance, de faire évoluer la compétence des ouvriers pour disposer d’une main-d’œuvre qualifiée sur plusieurs postes. Ainsi, le modèle du fordisme comporte aussi certaines limites qui sont mises particulièrement en lumière lorsque se développe la crise économique et sociale du début des années 1970, en particulier en raison de la concurrence des entreprises asiatiques fonctionnant selon le modèle du toyotisme.
Quant au Toyotisme, mis en avant par l’ingénieur japonais Taiichi Ōno en 1962, il est formalisé en tant que TPS (Toyota Production Système) à partir de 1970. Cette nouvelle forme d’organisation rationnelle du travail adopte une nouvelle philosophie de production, celle de l’optimisation des coûts : le manager doit adopter de nouveaux comportements pour chasser les gaspillages, ajuster la production à la demande (le juste-à-temps, le Kanban), l’autonomisation des équipes (le Kaizen), l’autonomisation des machines (automatisation), le zéro défaut, les cercles de qualité (recherche du progrès continuellement) et développer l’esprit d’équipe.
Cette nouvelle forme d’organisation, basée sur les compétences et la qualification des ressources humaines, marque la fin du taylorisme et du fordisme à l’état pur et le début du développement des compétences stratégiques (prévisions, approvisionnement, etc.) et des softs skills (esprit d’équipe, intelligence collective, etc.) chez les managers.
Les temps modernes
La complexité des environnements économiques, le développement de l’éducation et de la communication sont autant d’éléments qui ont contribué à changer de manière structurelle les relations dans les organisations. L’innovation managériale a pris la forme d’une évolution des organisations et du management pour la recherche d’un équilibre entre l’économique et le social et vers plus d’autonomisation des équipes, d’où l’apparition, depuis les années 80, de nouvelles approches de managements. Ce nouveau siècle est plutôt orienté globalisation, développement durable et nouvelles propositions de valeurs. La gestion par projet prend de plus en plus de place dans le quotidien du manager, la conduite du changement également. Le manager de ce nouveau siècle doit développer davantage ses softs skills. En parallèle, de nombreuses organisations ont opté pour des pratiques responsables et de partage du pouvoir, avec l’apparition du co-développement depuis les années 90, puis en 2000 des modèles alternatifs comme celui de l’entreprise libérée, holocratique, etc. ou les modèles sociocratiques à partir de 2010, ou ceux basés sur l’intelligence collective et l’innovation à partir de 2015 (hackathon, design thinking, model agile, etc.).
La culture de la performance s’est établie peu à peu dans les entreprises et le manager en a été la "cheville ouvrière". La mondialisation, entraînant une compétition entre les pays émergeants et les pays développés, a transformé durablement les méthodes de management. Les chefs d’entreprises ont pris en compte cette nouvelle composante, même sur des marchés où la concurrence n’était pas encore là. Certains ont bien compris qu’il ne s’agissait pas de mettre une pression inappropriée sur leurs managers et donc sur leurs équipes, mais de mettre en place durablement une culture de la performance, en appliquant et en faisant appliquer des méthodes issues du Lean Management associant la performance et le bien-être au travail. Une organisation et des champions ont émergé dans différentes entreprises.
La Chaire ESSEC Innovation managériale et excellence opérationnelle a publié en 2018 un excellent livre qui explique la rupture entre les modèles managériaux hérités du dernier siècle et ceux émergents pour répondre aux défis du 21ème siècle [1].
Les transformations sociétales de la fin du XXème siècle ont bouleversé durablement la fonction du manager.
Le manager augmenté
La conformité et les nouvelles mutations
Sous la pression des États-Unis, de l’OCDE et de la société civile, la conformité est devenue "le sujet" des entreprises des dernières décennies. Nous avons assisté à un transfert des responsabilités de l’État vers les entreprises, de missions régaliennes, tels que la lutte contre la corruption, le blanchiment, la prévention de la corruption, le devoir de vigilance, la déclaration de soupçons, le traitement des alertes, etc. Les entreprises françaises, notamment avec la loi Sapin II, se sont adaptées : plan de prévention, code éthique, formation, dispositif d’alerte, etc. Ajoutons que les exigences de conformités sont nées aux États-Unis dès 1977 et que ces nouvelles législations ont eu une portée extraterritoriale. Les condamnations pour corruption de grandes entreprises européennes, véritables chocs pour elles-mêmes et pour leur environnement, ont amené de grands changements. Sous la responsabilité des chefs d’entreprise, l’éthique des affaires et ses politiques de prévention ont été déployées. Le manager est devenu l’acteur clé de ce changement. Des chartes éthiques signées par les managers ont vu le jour, responsabilisant les managers, leur donnant les règles à suivre, par eux-mêmes et par leurs collaborateurs. Les managers se sentant donc plus concernés et responsables. L’ère de la déontologie dans les entreprises était née. La posture du manager devait être éthique.
La pandémie mondiale de la Covid-19 a donné un coup d’accélérateur à la transformation digitale dans le monde et touché en profondeur les entreprises. En 2020, on parle de mutation des entreprises avec l’apparition du travail hybride (combinaison présentielle et distancielle), le remote-management (management à distance) et la capacité des organisations à s’adapter a été mise à rude épreuve
Le dénominateur commun entre ces facteurs et la résilience des organisations à s’adapter à leurs environnements et faire évoluer leurs modes et modèles de management.
Les compétences clés du manager en l’an 2025
La posture du manager depuis le début du 21ème siècle a évolué du manager au leader, puis du leader au coach, où le manager sait planifier, prendre des décisions, donner une direction, motiver et développer ses collaborateurs. Le leader, quant à lui, fait preuve d’exemplarité, définit la capacité de ses partenaires à mener ou à conduire d’autres individus ou organisations dans le but d’atteindre un objectif. Il s’appuie sur l’intelligence collective pour guider et influencer les individus éthiquement. Or, le coach investit sur ses équipes à long terme, maîtrise l’écoute active, l’art du feedback, fait grandir les autres et sait soutenir et responsabiliser.
Selon le dernier rapport du World Economic Forum [2] et, parmi le top 15 des compétences clés du manager en l’an 2025, dans le top 3 on trouve :
- la pensée analytique et innovante,
- l’apprentissage actif et stratégique,
- la résolution des problèmes complexes
La créativité, l’originalité et l’initiative prend une part importante, suivie des compétences en leadership, l’intelligence émotionnelle, l’influence et la persuasion éthique. Les compétences en nouvelles technologies de l’information et des données prennent également, et de plus en plus, une part importante dans le quotidien du manager de demain et, par conséquent, la connaissance, la conception ou l’élaboration de ses nouveaux outils devient pratiquement une nécessité. Le levier du digital devient donc une prérogative dans le développement des compétences du manager du 21ème siècle. Ce même rapport indique que la demande du marché en ces compétences pendant les 3 prochaines années pourrait atteindre entre +40 et +60 %.
La transformation des fonctions RH
L’évolution des modèles de management et la naissance du Manager Augmenté ont induit une transformation dans la façon dont les fonctions RH génèrent de la valeur pour l’entreprise.
Dans les années 80, les RH s’appuyant sur un modèle de gestion du personnel, fournissant des services administratifs comme la gestion de la paie, la tenue des dossiers du personnel et la formation.
Depuis 2000, nous avons vu apparaitre la gestion du capital humain. Dans ce modèle, la fonction "capital humain" évalue les performances des employés, tirant parti des nouvelles technologies pour recruter en ligne (Viadeo, LinkedIn, etc.), planifier et adapter les recrutements et les formations en fonction du besoin.
La dernière décennie est marquée par l’évolution de la fonction capital humain vers la gestion intégrée des talents, où les fonctions RH et Talents travaillent de concert pour prédire le succès des performances, favoriser l’apprentissage personnalisé continu, exploiter les données (SIRH, cloud, médias sociaux, etc.) pour mieux comprendre les besoins des talents.
L’an 2020 initie la gestion des talents "cognitifs", complétée par l’IA pour prédire les besoins en talents, en améliorant la productivité, en offrant un apprentissage continu et en fournissant des solutions proactives pour retenir les talents. Cela permet à la fonction talents de mieux prédire le succès des performances des nouvelles recrues, de personnaliser l'intégration, d'anticiper les promotions et les augmentations de rémunération, et de recommander des domaines à perfectionner. Un article très complet d’Amber Grewal [3] décrit l’évolution des modèles de gestion des RH.
Conclusion
Ainsi, le dénominateur commun entre les différentes ères est bien le changement, car "il n’existe rien de constant si ce n’est le changement" (Bouddha). Or, la célérité de ce changement augmente parce que le monde impose une approche de plus en plus globalisante (internationale) et de plus en plus multidimensionnelle (interdisciplinaire et intergénérationnelle). Enfin, "nous devrions être le changement que nous voulons dans ce monde" (Gandhi). Le Manager Augmenté a donc bien un rôle important à remplir.
La fonction de manager est donc la fonction de transformation de l’entreprise. Il en est le chef d’orchestre avec des contraintes et des devoirs. Il est le vecteur des transformations humaines et organisationnelles de l’entreprise.
Lionel Faure et Youness Laamiri
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Références
[1] D. Autissier et al., "L’innovation managériale : Design thinking, réseaux apprenants, entreprise libérante, intelligence collective, modes collaboratifs, ateliers participatifs, shadow cabinet, hackathon, junior entrepreneur...", Eyrolles, 2018.
[2] "The future of jobs report 2020", World Economic Forum, oct 2020.
[3] A. Grewal, "Evolution of Talent Management : Delivering Value in the 21st Century", Jan 2020.
19/04/2022