Le temps passe, l’action s’efface… La prescription de l’action publique du délit de blanchiment
26/07/2017 - 14 min. de lecture
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L’article 6 du code de procédure pénale dispose que « L'action publique pour l'application de la peine s'éteint par la mort du prévenu, la prescription, l'amnistie, l'abrogation de la loi pénale et la chose jugée ... »
La prescription de l'action publique correspond à l'extinction du droit de poursuivre un auteur supposé d’une infraction après l’écoulement d'un certain délai. En effet, l’action publique est l’action qui vise à la poursuite des auteurs d’une infraction et à la prononciation d’une peine. En France elle appartient au Ministère public qui l’exerce dans l’intérêt de la société. Elle met en mouvement le processus judiciaire ou décide de ne pas le faire. Plus précisément, le droit d’exercer l’action expire le jour où s’achève le délai fixé par la loi. Il faut néanmoins prendre en compte qu’il existe en matière de prescription des incidents pouvant affectés le cours de celle-ci. On parle de suspension ou d’interruption de la prescription.
Le délai de prescription varie en fonction des infractions commises. Initialement, les crimes étaient prescrits par 10 années[1], les délits par 3 années[2] et les contraventions par 1 année[3]. Désormais, avec l'entrée en vigueur, le 27 février 2017, de la Loi portant réforme de la prescription en matière pénale[4], les délais de prescription des crimes et délits ont doublé.
Le nouvel article 7 du code de procédure pénale prévoit que : « L'action publique des crimes se prescrit par vingt années révolues à compter du jour où l'infraction a été commise. » et le nouvel article 8 du même code précise que « L'action publique des délits se prescrit par six années révolues à compter du jour où l'infraction a été commise. »
Ces nouveaux délais de prescription ont vocation à affecter tous les crimes et délits notamment le délit de blanchiment.
Selon l’article 324-1 du code pénal : « le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect.
Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.
Le blanchiment est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende ».
Le blanchiment de capitaux[5] désigne la transformation du produit de la criminalité. Pour être constitué, une première infraction appelée sous-jacente ou principale doit être perpétrée et ce peu importe la nature de cette incrimination. Il peut s’agit d’un vol[6], d’une escroquerie[7], d’une fraude fiscale[8]...
Le blanchiment étant un délit, il se prescrit par un délai de 6 années. Cependant, pour déterminer si une action est encore possible, il convient de situer le point de départ du délai de prescription. Celui-ci va dépendre de la nature de l’infraction et c’est là toute la difficulté de la prescription du blanchiment de capitaux. En effet, les comportements incriminés par cette infraction sont différents et leur point de départ varie. Il faut constater que les incidents pouvant affecter la prescription s’appliquent de manière générale en matière de droit pénal. Il n’y a pas de spécificité quant à la suspension ou l’interruption de la prescription de l’infraction de blanchiment de capitaux.
Les différents comportements répréhensibles, alternatifs, au titre du blanchiment de capitaux sont au nombre de quatre :
- La justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus ;
- Une opération de placement ;
- Une opération de dissimulation ;
- Une opération de conversion.
Il convient donc de constater qu’en fonction de ces différents comportements, le point de départ du délai de prescription ne sera pas identique (I). En outre, il existe de multiples incidents pouvant affecter la durée de la prescription (II).
I. Le point de départ de la prescription
Le point de départ du délai de prescription varie en fonction de la nature de l’incrimination. Lorsqu’il s’agit d’une infraction instantanée, celle qui se produit en un instant, le point de départ est connu, il se situe au jour de la commission de l’infraction, il s’agit d’une infraction réalisée.
Lorsqu’au contraire, l’infraction est occulte ou dissimulé le point de départ est reporté au jour où l’infraction est apparue, il s’agit d’une infraction révélée.
1.1. L’infraction réalisée
Le point de départ du délai de prescription de l’action publique de l’infraction de blanchiment de capitaux commence à compter du jour où l’infraction a été commise[9]. Pour cette incrimination comprenant quatre comportements délictuels différents, deux sont éligibles à cette mesure. Il s’agit des opérations de placement et de conversion.
L’opération de placement consiste à se débarrasser de liquidités, provenant d’une infraction. Le volume peut être plus ou moins important, il suffit de les déposer dans les circuits financiers ou de les intégrer dans le tissu économique.
Le dépôt de l’argent généré par un trafic sur un compte bancaire illustre bien le placement financier[10].
L’argent provenant du blanchiment de capitaux injecté dans un commerce d’alimentation caractérise un placement dans le tissu économique. Il est, par exemple, quasiment impossible de chiffrer le volume de l’argent illégal qui gonfle le chiffre d’affaires d’un restaurant.
L’argent collecté par les premiers acteurs doit être, après un regroupement plus ou moins important selon la sophistication de l’organisation, déposé dans un établissement financier ou économique en France ou à l’étranger. En effet, malgré la législation en vigueur, il est toujours possible de déposer dans les banques nationales des sommes à blanchir si leur montant n’attire pas l’attention des guichetiers. En outre, l’ouverture de l’espace européen a facilité la réalisation des placements physiques très intéressants et sans risque. Il suffit de sélectionner un pays, même en Europe qui ne dispose pas d’une législation très contraignante sur l’identification de l’origine des fonds, et permet une très bonne protection de l’anonymat des clients. Le transport est quasiment sans risque, les contrôles intracommunautaires étant limités.
L’injection directe du produit du crime est réalisée dans des sociétés ou des structures économiques pouvant être créées spécialement à cette fin, et dont l’activité commerciale génère une production d’espèces importante. Ce moyen de paiement facilite le placement. Le mécanisme est simple mais requiert des secteurs d’activités économiques conséquents, les plus significatifs étant la restauration, pizzerias, restaurants chinois… Concrètement, l’établissement donne l’apparence de posséder une clientèle importante, qui en réalité est fictive. Les organisateurs acquièrent des matières premières qui correspondent à un certain nombre de clients imaginaires, dépenses qu’ils font apparaître en charge dans la comptabilité. Ils inscrivent en recette un nombre de couverts correspondant aux clients fictifs qui couvre les charges et permet de dégager un bénéfice. En injectant dans la caisse du restaurant les liquidités correspondantes, provenant du crime, ils justifient leur recette. Pour rendre plus crédible l’opération, le restaurant peut réellement exercer et recevoir une clientèle. Le « chiffre d’affaires », mélange d’argent licite et illicite, est ensuite amputé du montant des charges (matières premières, frais de personnels…) et surtout des impôts, ce qui légitime la recette. Les matières premières sont détruites ou revendues sur le marché parallèle, l’argent est blanchi. Cette méthode est coûteuse pour les blanchisseurs mais présente l’avantage de la simplicité.
Le second comportement de l’infraction réalisée est la conversion avec cette particularité que l’infraction doit être caractérisée dans tous ses éléments. Cela signifie que l’opération de conversion est terminée, constituant ainsi le point de départ du délai de prescription.
L’opération de conversion permet de faire disparaitre l’origine des fonds illégaux en les faisant transiter à travers des structures financières ou économiques. Techniquement, certaines personnes, servant de prête-noms, mandatées par des organisateurs, ouvrent des comptes bancaires dans des établissements financiers différents. Ces individus peuvent appartenir au cercle d’intérêt du groupe criminel (membres de la famille), principalement dans les petites organisations ou en être complètement étrangers.
Les comptes sont ensuite régulièrement alimentés par des montants pouvant correspondre à un salaire fictif. Même si la rémunération est importante, l’apparence d’une contrepartie, par exemple des faux bulletins de salaire, ne déclenchera pas la suspicion de l’employé de la banque. Au lieu d’un salaire, il peut également s’agir tout simplement d’une prestation, l’essentiel étant encore une fois de fournir une couverture à ces dépôts. Mais, ces derniers peuvent être réalisés sans justification, si les montants sont peu importants.
1.2. L’infraction révélée
L’article 8 du code de procédure pénale précise : « … Le délai de prescription de l'action publique de l'infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique… ».
L’infraction est occulte lorsqu’elle n’est ni connue de la victime, ni de l’autorité judiciaire. L’occultation camoufle la mise en mouvement l’action publique, c’est-à-dire d’avoir la possibilité d’exercer des poursuites à l’encontre de l’auteur.
Elle est dissimulée lorsque l’auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte. Dans ce cas, l’auteur utilise tous les moyens à sa disposition pour cacher la nature de l’infraction et donc les fonds qui sont générés par la criminalité.
La justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ainsi que l’opération de dissimulation[11] sont sans conteste des comportements occultes ou dissimulés.
La justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus est souvent réalisée par une absence de contrepartie légale. Le terme justification mensongère fait songer à l’usage de fausses factures, de jeux d’écritures ou de toutes sortes d’attestations de complaisance[12]. Faciliter par tout moyen la justification mensongère implique la conscience, de mentir, de commettre en connaissance de cause une malversation.
La Cour de cassation fournit, dans ses décisions, quelques exemples : la justification mensongère est caractérisée lors de l’établissement d’une comptabilité de sociétés sans activité réelle, lors du dépôt des statuts d'une société fictive[13] ou encore par la fabrication de faux certificats de vente, d’attestations mensongères ou de factures fictives[14].
Le principe de la fausse contrepartie est une pratique courante nécessitant la création de deux sociétés l’une sur le territoire du pays à l’origine des fonds et l’autre dans un pays offrant un anonymat suffisant des opérations. La constitution d’une société française procédant à des échanges commerciaux avec une société étrangère attire moins l’attention que des participations dans une société offshore.
Le mécanisme est simple, la société française facture une fausse prestation, par exemple une étude, à une société étrangère qui transfère le prix de la prestation sur le compte de la première société. La facturation de la prestation justifiera le retour des fonds dans la société et il sera très difficile de vérifier l’existence des travaux.
L’opération de dissimulation, en matière de blanchiment de capitaux, consiste à cacher l’origine des fonds.
La dissimulation peut être physique, en cachant l’argent sur soi ou dans une automobile. La Cour de cassation a jugé que le fait de transporter une somme en billets portant des traces de drogues constituait une opération de dissimulation des produits, le prévenu connaissait la provenance des fonds[15].
Mais la dissimulation peut revêtir un aspect psychologique en ne faisant pas remonter les informations sur une opération illégale lorsque la loi nous en fait obligation. En précisant : « Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de …, de dissimulation … du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit », le législateur n’a pas réduit la portée de la dissimulation à un aspect matériel, il suffit d’apporter un concours. De nombreuses professions[16] ont l’obligation légale de faire remonter des informations lorsqu’elles constatent une opération illégale. Lorsque le professionnel constate ce type d’opération et que, volontairement, il ne fait pas remonter l’information au service national dédié[17], il commet une opération de dissimulation.
II. Les incidents affectant la durée de la prescription
Pendant l’écoulement du délai de prescription, de nombreux incidents peuvent intervenir. Ils entraînent à certaines occasions une suspension et à d’autres une interruption de la prescription.
2.1. La suspension de prescription de l’action publique
L’article 9-3 du code de procédure pénale, créée par la loi n°2017-242, dispose que « Tout obstacle de droit, prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique, suspend la prescription. »
La suspension de la prescription est caractérisée par un arrêt provisoire ou encore temporaire du délai sans pour autant effacer le délai déjà couru. La suspension est une sorte de « mise en attente » du délai de prescription. Elle peut être suspendue dans le cas où un obstacle de droit ou de fait assimilable à la force majeure affecte la mise en mouvement ou l’exerce de l’action publique.
Il y a des cas ou la loi prévoit expressément que la prescription sera suspendue en raison d’obstacle de droit. C'est par exemple le cas pour les personnes mineures victime d’une infraction à caractère sexuelle. Ici, le point de départ de la prescription est suspendu jusqu’à la majorité de la victime. Il y a un glissement du point de départ du délai de prescription.
L’article 9-1 du code de procédure pénale, créée par la loi n°2017-242, confirme ce qui précède en précisant : « Le délai de prescription de l’action publique des crimes et délits mentionnés à l’article 706-47 du présent code et aux articles 222-10 et 222-12 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur un mineur, court à compter de la majorité de ce dernier. ». Ainsi, dans certains cas, la minorité de la victime constitue un obstacle de droit emportant la suspension de la prescription.
Le nouvel article 9-3 du code de procédure pénale envisage également que l’obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure est une cause de suspension de la prescription. Cet obstacle est issu d’une construction jurisprudentielle[18] et est l’application du célèbre adage : « Contra non valentem agere, non currit praescriptio ». Il est transcrit à l’article 2234 du code civil et signifie que la prescription ne peut courir à l’encontre de celui qui a été empêché d’agir. Il serait en effet inconcevable qu’un obstacle insurmontable à l’exercice de l’action publique emporte extinction de la prescription et assure à l’auteur l’impunité de son infraction. Ainsi, en présence d’un obstacle insurmontable à l’exercice de l’action publique, celle-ci est suspendue au jour de la découverte de l’infraction. Tel a été le cas pour la tristement célèbre affaire des infanticides1 où la dissimulation des naissances et des meurtres rendait impossible l’exercice de l’action publique. L’Assemblée Plénière de la Cour de cassation a donc suspendu la prescription au jour où la vérité fut révélée. L’écrivain Français Pierre Bayle avait à juste titre écrit : « Il n'y a point de prescription contre la vérité. »
2.2. L’interruption de l’action publique
Contrairement à la suspension, l’interruption de l’action publique a pour effet d’interrompre le délai déjà en cours pour en faire courir un nouveau de même durée que l’ancien. L'interruption efface le délai de prescription acquis.
Le nouvel article 9-2 du code de procédure pénale[19] établit une liste limitative des actes de nature à interrompre le délai de prescription de l’action publique, ils sont au nombre de quatre :
- Les actes de poursuites ;
- Les actes d’enquêtes ;
- Les actes d’instructions ;
- Tout jugement ou arrêt, même non définitifs.
La doctrine définit l'acte de poursuite comme étant « tout acte d'exercice de l'action publique par le ministère public ou la partie civile ou encore pour donner une définition plus concrète, [...] tout acte saisissant une juridiction d'instruction ou de jugement »[20].
Les actes interruptifs de la prescription sont les actes tendant à la mise en mouvement de l'action publique (actes émanant du ministère public, actes émanant de la partie civile, plaintes et dénonciations préalables aux poursuites).
Les actes d’enquêtes représentent tous les actes émanant du ministère public, les procès-verbaux dressés par les officiers de police judiciaire ou un agent habilité à le faire ayant vocation à rechercher et à poursuivre les auteurs d’une infraction.
Constitue un acte d'instruction, « tout acte exécuté aux fins de rechercher la preuve et de parvenir à la manifestation de la vérité ». Il s'agit des actes du juge d'instruction, d'une part et, d'autre part, des actes auxquels la jurisprudence reconnaît ce caractère tels que les actes qui ont pour objet l'administration de la preuve (procès-verbaux des policiers, gendarmes, fonctionnaires et agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire...).
Les jugements sont des décisions de justice prises par des tribunaux tandis que les arrêts sont des décisions de justice prises des Cours. L’article 9-3 du code de procédure pénale prévoit que ces décisions constituent des actes interruptifs de la prescription et font courir un nouveau délai d’une durée égale au délai initial.
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L’allongement du délai de prescription, notamment pour l’infraction de blanchiment de capitaux, offre à la victime et aux autorités de poursuite l’opportunité de prolonger les délais leur permettant de mener une action pour la défense de leurs intérêts. Cependant, cet allongement n’est pas sans inconvénient. Il risque d’accroitre les difficultés en matière de recueil et de fiabilité des preuves.
Le temps efface les traces et les souvenirs des témoins s’estompent…
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[1] Ancien article 7 du code de procédure pénale
[2] Ancien article 8 du code de procédure pénale.
[3] Article 9 du code de procédure pénale.
[4] Loi n°2017-242.
[5] Article 324-1 du code pénal.
[6] Article 311-1 du code pénal.
[7] Article 311-1 du code pénal.
[8] Article 1741 du code générale des impôts.
[9] Article 8 du code de procédure pénale.
[10] Crim 8 avril 2010.
[11] Article 324-1 du code pénal.
[12] Crim. 26 janv. 2010.
[13] Crim. 7 oct. 2009.
[14] Crim. 26 janv. 2011.
[15] Crim. 15 déc. 2010.
[16] Article L561-2 du code monétaire et financier.
[17] TRACFIN.
[18] Ass.Pl Cour de cassation 7/11/2014
[19] Loi n°2017-242 du 27 février 2017
[20] S. Guinchard, J. Buisson Procédure Pénale, 10e éd., Lexis Nexis, 2014, p. 815.
26/07/2017