"Les drones" un moyen de surveillance mis sous surveillance
17/09/2020 - 8 min. de lecture
Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Franck Richard est avocat.
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Nous vivons, actuellement, une époque particulière puisque, sous le couvert d’un virus d’ampleur mondiale, "nouveau coronavirus (Covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux"(1), de multiples changements et adaptations se sont imposés à nous. C’est ainsi qu’ont été instaurées par le Ministre des solidarités et de la santé puis par réitération du Premier Ministre, sur le fondement de l’état d’urgence sanitaire, diverses fermetures d’établissements recevant du public, des périodes et des zones de confinements outre diverses mesures obligatoires telles que le port d’un masque, le respect de distanciations sociales sans ignorer, également, la question du lavage régulier des mains par liquides hydro alcooliques, autant de mesures et de nouvelles obligations qu’il s’est avéré, souvent, compliqué de mettre en œuvre mais, surtout, difficile à faire respecter.
S’agissant de contraintes sécuritaires et sanitaires de masse, il a été nécessaire de s’assurer que les confinements, distanciations sociales et ports de masques étaient parfaitement respectés de sorte que, "par décision du Préfet de Police du 18 mars 2020"(1), un système de contrôle dit, également, "de masse", a été mis en œuvre à Paris par le biais de moyens modernes, légers et, surtout, aériens. Ces moyens ont, ainsi, directement fait appel aux "drones de surveillance" qui ont été engagés au combat tels de véritables aéronefs espions dignes d’un film de science fiction au goût, désormais, contemporain. Les drones engagés ont été de type "Dji Mavic Enterprise équipés d’un zoom optique X3"(1). De véritables bijoux de technologie aéronautique miniature, paradoxalement, de fabrication chinoise, Dji, entreprise créée en 2006 par Frank Wang dans la ville de Shenzen, étant, en effet, le leader mondial dans la fabrication de drones de loisir, professionnels et pour les entreprises !
Mais ce système de surveillance était-il possible sans se heurter à quelques principes fondamentaux tel, notamment, le sacro-saint principe du "respect de la vie privée" mis en avant par l’association "La Quadrature du Net et la Ligue des droits de l’homme"(1) lesquelles "ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, de suspendre l’exécution de la décision"(1) préfectorale susdite ? En d’autres termes, l’utilisation de "drones de surveillance", hors zone de guerre, "visant à capturer des images (…) et à les exploiter afin de faire respecter les mesures de confinement"(1) était-elle envisageable dans les conditions appliquées par les autorités de police sous l’égide des Préfets ? Dans sa décision du 18 mai 2020, après que le Juge des référés ait débouté l’adite association et la Ligue par ordonnances du 5 mai 2020, le Conseil d’État, saisi par celles-ci, a, parfaitement, répondu à ces problématiques. Pour autant, était-il nécessaire, d’engager un tel débat judiciaire?
Bien que la question des drones commence à largement interpeler tout public, peu de personnes connaissent, encore aujourd’hui, le droit et la réglementation concrètement applicables à ce domaine. Pourtant, elle existe et compte parmi les plus encadrées et les plus complètes. Ainsi, pour ce qui est de la question qui nous occupe, les textes existent depuis 2015. Prenons, simplement, le temps de les relire attentivement tels que ci-dessous retranscrits :
Arrêté du 17 décembre 2015 relatif à l'utilisation de l'espace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord
NOR: DEVA1528469A
Version consolidée au 13 avril 2017
Article 10 – Modifié par Arrêté du 30 mars 2017 - art. 1
« Dérogations.
Les dispositions du présent article s'appliquent sans préjudice des dispositions du 2° de l'article 3.
1° Les aéronefs qui circulent sans personne à bord appartenant à l'Etat, affrétés ou loués par lui et utilisés dans le cadre de missions de secours, de sauvetage, de douane, de police ou de sécurité civile peuvent évoluer en dérogation aux dispositions du présent arrêté lorsque les circonstances de la mission et les exigences de l'ordre et de la sécurité publics le justifient.
2° Les aéronefs qui circulent sans personne à bord utilisés dans le cadre de missions de secours, de sauvetage et de sécurité civile dirigées par le préfet territorialement compétent peuvent évoluer en dérogation aux dispositions du présent arrêté lorsque les circonstances de la mission le justifient.
3° Lorsque les évolutions prévues aux 1° et 2° ci-dessus s'effectuent à une hauteur supérieure à 150 mètres au-dessus de la surface ou à 50 mètres au-dessus d'un obstacle artificiel de plus de 100 mètres de hauteur, des mesures particulières sont mises en œuvre pour assurer leur compatibilité avec la circulation des autres aéronefs.
4° Des dérogations à l'interdiction d'évoluer de nuit dans le cadre d'activités particulières ou d'expérimentations ou aux exigences relatives aux hauteurs maximales d'évolution visées au 1° de l'article 8 et au 1° de l'article 9 peuvent être accordées par le préfet territorialement compétent, après avis du service de l'aviation civile et du service de la défense territorialement compétents, le cas échéant sous réserve de la mise en œuvre de mesures particulières permettant d'assurer la compatibilité de la circulation de l'aéronef circulant sans personne à bord avec tous les autres aéronefs.
5° Les mesures particulières mentionnées au paragraphe précédent sont mises en œuvres pour toute dérogation aux hauteurs maximales d'évolution permettant des évolutions à une hauteur supérieure à 150 mètres.
Article 3 En savoir plus sur cet article...
Modifié par Arrêté du 30 mars 2017 - art. 1
« Dispositions générales.
1° Les aéronefs qui circulent sans personne à bord évoluent dans l'espace aérien dans le cadre d'activités d'aéromodélisme, d'activités particulières ou d'expérimentations.
2° Les aéronefs qui circulent sans personne à bord sont exploités de manière à ce qu'il n'en résulte pas un risque de dommage aux autres aéronefs .(…)
Malgré ces textes, parfaitement, clairs, outre la situation d’urgence sanitaire nécessitant des mesures de non propagation du Covid-19, la controverse de l’annulation de la décision préfectorale du 18 mars 2020 a fait son chemin judiciaire et son Buzz médiatique. Pour autant, les législations, applicables aux caméras de surveillances en ville, parfaitement acceptées ou, encore, à l’Hélicoptère EC135 de la Gendarmerie, engin exceptionnel de surveillance jamais contesté, ne suffisaient-elles pas à couvrir le domaine d’investigation et de surveillance par "DRONES" en prévoyant une extension de droit ? Les drones sont-ils si particulièrement modernes et globalement que très récemment connus pour qu’il soit nécessaire de les désolidariser du droit applicable aux aéronefs classiques en matière de surveillance et de "respect de la vie privée" ? Leur mission de surveillance et de contrôle par caméras incorporées aux drones outre de rappel à l’ordre par haut-parleurs intégrés aux fins de respect des mesures gouvernementales en période de crise et d’urgence sanitaire ne suffisaient-ils pas à autoriser le principe du survol de zones peuplées et/ou sensibles par les drones de la police, sans qu’il soit nécessaire de saisir la justice ? Dans sa décision du 18 mai 2020, le Conseil d’État a répondu par la négative et enjoint l’état de cesser, à compter de la notification (de son ordonnance) de procéder aux mesures de surveillance par drone. Voyons qu’elle a été sa motivation !
Avant que de sanctionner l’état, le Conseil a souhaité rappeler, d’une part, que pour limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie devaient "être nécessaires, adaptée et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent", d’autre part, que "le droit au respect de la vie privée qui comprend le droit à la protection des données personnelles et la liberté d’aller et venir constituent des libertés fondamentales au sens" des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (1).
En outre, après analyse de "la fiche technique de la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) de la préfecture de police en date du 14 mai 2020"(1), le Conseil d’État a constaté que la finalité du dispositif de surveillance par drones n’était "pas de constater les infractions ou d’identifier leur auteur mais d’informer l’état-major de la préfecture de police afin que puisse être décidé, en temps utile, le déploiement d’une unité d’intervention sur place chargée de procéder à la dispersion du rassemblement en cause ou à l’évacuation de lieux fermés au public afin de faire cesser ou de prévenir le trouble à l’ordre public que constitue la méconnaissance des règles de sécurité sanitaire"(1).
Il a, également, constaté que les vols étaient, dans les faits, "réalisés à une hauteur de 80 à 100 mètres de façon à donner une physionomie générale de la zone surveillée (…) sans activation du zoom (…) ni de carte mémoire de sorte et qu’il (n’a été) procédé à aucun enregistrement ni aucune conservation d’image"(1).
Pour autant, malgré cette finalité favorable et cet état de fait positif, le Conseil d’État a entendu souligner que les drones de surveillance étaient dotés de moyens d’identifications de personnes et de possibilité de zoom ainsi que de vols au-dessous du plafond de 80 à 100 mètre fixé par la fiche DOPC de sorte qu’il existait un risque "de collecter des données identifiantes" d’individus, donc "revêtant un caractère personnel"(1) constitutif d’atteinte aux dispositions "de la directive du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales (…)"(1).
Il a, aussi, souligné que toutes les possibilités de captation d’images, conservation, exploitation, visionnage et autres moyens d’exploitations constituaient "un traitement" au sens de "la directive du 27 avril 2016" et au surplus, "un traitement de données à caractère personnel qui relève du champ d’application de cette (même) directive"(1) et qui "impose une autorisation par arrêté du ou des ministres compétent et/ou par décret" en ce que ce traitement relève des dispositions de la loi informatique et liberté du 6 janvier 1978.
En conséquence, quand bien même le Conseil d’État a été amené à dire et juger que dès lors que l’usage du dispositif de surveillance par drone avait été prévu et effectué dans le respect des dispositions de la fiche DOPC du 14 mai 2020, de sorte qu’il pouvait être considéré qu’aucune "atteinte grave et manifestement illégale (n’avait, ainsi, été portée) aux libertés fondamentales invoquées", savoir, au sacro-saint principe du "respect de la vie privée", une atteinte grave et caractérisée à ce même principe découlait du simple fait des violations des dispositions conjuguées de la directive Police-Justice du 27 avril 2016 (pour risque de collecte de données identifiantes et de traitement d’images à caractère personnel) et de la Loi informatique et liberté di 6 janvier 1978 (pour absence d’autorisation du traitement de données et d’images).
En conclusion, on relèvera que l’ordonnance du Conseil d’État n’a fait que poser le cadre de l’emploi des drones à des fins de surveillance sans en interdire le principe ! Ce cadre implique un texte réglementaire spécifique visé par la CNIL dans le respect de la directive Police-Justice du 27 avril 2016 et de la Loi informatique et libertés du 6 janvier 1978 outre la mise en place de dispositifs techniques sur les drones concernés afin d’éviter toute identification d’individu filmé et/ou photographié.
Débat à suivre mais, il est plus qu’évident qu’il aura, désormais, lieu au niveau européen puisqu’à compter du 1er janvier 2021 de nouvelles dispositions, cette fois-ci, européennes viendront se substituer aux règlementations actuelles des pays membres de l’Union avec, il est vrai, six mois de retard à cause du Covid-19 !
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(1) Décision du Conseil d’Etat du 18 mai 2020
17/09/2020