Les fonctionnaires, des salariés comme les autres ?

11/10/2021 - 5 min. de lecture

Les fonctionnaires, des salariés comme les autres ? - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

René Picon-Dupré est ancien DRH, Consultant RH et management.

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La "fonctionpubliquebashing[1]", une tradition bien de chez nous : les fonctionnaires sont trop nombreux, ils coûtent trop cher, ils ne travaillent pas assez, ils ont une carrière toute tracée, ils ont un régime de retraite plus favorable que celui du privé, etc.

ET, si nous faisions objectivement le point sur cette question ?

D’abord, de quoi parle-t-on ?

La fonction publique au sens strict, ce sont :

  • les agents de la fonction publique d’État (FPE), ceux des ministères, des préfectures, des services déconcentrés de l’État : environ 2,4 millions ;
  • ceux de la fonction publique territoriale (FPE), ceux des communes, départements et régions : environ 1,9 million ;
  • ceux de la fonction publique hospitalière (FPH), ceux des hôpitaux et établissements de santé publics : environ 1,15 million.

Et, globalement, 70 % de titulaires (fonctionnaires), le reste étant des agents sur contrat (dits non titulaires) ou assimilés.

Enfin, il ne faut pas confondre la fonction publique et certaines entreprises publiques ou services chargés d’une mission de service public dont le personnel, même s’il bénéficie de certains avantages spécifiques (retraite notamment), est de droit privé  : SNCF, RATP, EDF GDF, Sécurité sociale et, pour les nouveaux recrutés, la Poste et Pôle emploi.

Une fois ces préliminaires établis, entrons dans le vif du sujet.

 

I) Qu’est-ce ce qui sépare la fonction publique du privé ?

La justification de cette spécificité est la participation des fonctionnaires à l’activité régalienne et, plus largement, au service public qui doit les rendre indépendants, même si certaines évolutions sont apparues.

1. Les fonctionnaires[2] sont régis par un statut de nature législative :

  • Un fonctionnaire doit accepter son statut et ne peut négocier sa situation. Outre le statut général, chaque corps bénéficie d’un statut particulier qui en fixe les règles de recrutement, d’emploi et d’avancement.
  • Sa rémunération, pour la partie principale, est fixée sur la base de règles communes à tous : valeur du point d’indice qui sert de base au calcul de la rémunération des grades dans les corps, et, si la partie principale est fonction des avancements, il existe notamment un régime indemnitaire qui tient compte de l’importance des postes occupés et des résultats, ce qui le rapproche des pratiques du privé.
  • Les avancements obéissent à des règles précises, ce qui ne signifie pas qu’ils sont automatiques : la mérite est bien pris en compte !
  • Les droits et obligations, dont la déontologie, des fonctionnaires et agents publics sont bien déterminés, ainsi que les règles en matière de discipline.

2. Le mode normal de recrutement est le concours, sauf certains cas bien identifiés (petites catégories, handicapés notamment) mais il a su évoluer et les concours sur épreuves ont été remplacés en tout ou partie par des concours sur titres où est prise en compte l’expérience professionnelle.

3. La notion de carrière permet à un fonctionnaire de développer une carrière complète au sein de la fonction publique en conservant son statut jusqu’à la retraite, sauf licenciement pour motif disciplinaire, ce qui n’interdit pas la mobilité et le changement de fonctions ou de métier et ce qui ne signifie en aucun cas que tous termineront au sommet ! En effet, comme dans le privé, les compétences jouent un rôle de plus en plus important et, au moins pour les emplois les plus élevés, on pratique la cotation des emplois et l’analyse des potentiels individuels. 

4. Le régime de pension, souvent décrié, est aussi particulier : taux maximum à 75 % (contre 50 dans le régime général) et assiette fondée sur le traitement perçu pendant les 6 derniers mois d’activité (25 meilleures années dans le privé). Mais, soyons objectifs : l’assiette est celle du seul traitement sans les primes, qui peuvent être importantes, et les fonctionnaires n’ont aucun régime obligatoire de retraite complémentaire, ce qui relativise la portée de cette exception.

5. Outre les fonctionnaires, la fonction publique emploie des agents sur contrat, pour des durées variables et pour faire face à des besoins particuliers. Et, par rapport au privé, ils sont dans une situation hybride : ils relèvent du régime de retraite de la CNAV, mais bénéficient, eux, d’un régime de retraite complémentaire obligataire (IRCANTEC). Leur contrat est de droit public et ils sont régis par des règles de gestion spécifiques et soumis aux obligations déontologiques des fonctionnaires.

 

II) Pour autant, les différences sont moins marquées

1. Tout ce qui relève du social est, à quelques détails près, commun à la fonction publique et au privé :

  • l’hygiène, la sécurité et les conditions de travail (HSCT) pour lesquelles sont appliquées les règles du Code du travail ; les risques psycho-sociaux ; la lutte contre les inégalités et les harcèlements ;
  • les congés liés à la famille (maternité, paternité, adoption, etc.) qui sont ceux du Code de la sécurité sociale ;
  • l’organisation du travail (RTT, journée continue, travail en horaires décalés, travail posté, horaire variable, télétravail) et même les règles concernant le temps de travail (1607[3] heures par an et maxima) sont celles que l’on trouve dans le privé.

2. On trouve de plus en plus de rapprochements entre les deux secteurs et la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a contribué à ce mouvement :

  • En matière de dialogue social, on assiste à une évolution donnant plus de responsabilité aux partenaires : 
    • de nouveaux sujets sont ouverts à la négociation et elle peut être conduite à tous les niveaux ; obligation de négocier sur les plans d’action en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;
    • possibilité de conclure des accords majoritaires ayant valeur réglementaire et dont les dispositions deviennent directement applicables, tout en maintenant le principe de faveur ;
    • à l’instar du privé, sont prévues des fusions d’instances : les comités techniques et les CHSCT deviennent les comités sociaux d’administration et des formations spécialisées en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail peuvent être créées ;
  • des évolutions vers plus de responsabilité de l’encadrement : les avancements et les mutations sont désormais à la main de l’encadrement, dans le respect de lignes directrices de gestion, et ne sont plus soumis à l’avis de commissions paritaires ;
  • une nouveauté importante : d’ici 2024, aura lieu une prise en charge partielle des complémentaires santé à hauteur de 50 % ;
  • enfin, la fonction publique s’ouvre davantage au agents issus du privé, afin de diversifier les compétences : notamment est créé un contrat de projet comparable au contrat de mission du privé ; des non fonctionnaires peuvent être nommé sous-directeurs ou chefs de service.

Que dire pour l’avenir ? S’il semble difficile de renoncer au statut et de privatiser la totalité de la fonction publique française (même si certains pays l’ont fait), deux évolutions semblent possibles :

  • tout en conservant le statut, poursuivre avec détermination le développement de la notion de compétences et de métier ;
  • éventuellement, suivre une évolution qui est celle des Britanniques et des Allemands, en réservant le statut de fonctionnaire aux emplois régaliens, les autres pouvant être tenus par des agents sur contrat.

René Picon-Dupré

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[1] Néologisme franco-anglais pour caractériser cette manie des français de toujours critiquer leur fonction publique et leurs fonctionnaires.

[2] La situation est différente, comme nous le verrons, pour les agents non titulaires.

[3] L’application de cette durée a récemment soulevé des réactions car elle vient d’être rendue obligatoire pour la FPT et certaines communes, dont Paris, renâclent l’appliquer.

11/10/2021

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