Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Gauthier Delaforge est Officier supérieur au sein du Ministère des Armées, ancien Auditeur de l’École de Guerre et Doctorant.
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J’ai toujours eu la conviction qu’il nous fallait, nous décideurs, joindre la pensée à l’action. À l’image de ce que Bergson écrivait, "il faut agir en homme de pensée et penser en homme d’action". L’action ne se suffit en effet pas à elle-même, tout comme la pensée isolée ne permet pas d’agir dans le monde.
Afin de lier les deux, la lecture est un moyen obligé qui irrigue la réflexion, forge le caractère de l’homme d’action et fortifie les âmes. De plus, les décideurs ont besoin de savoir pour comprendre l’environnement qui est le leur. Dans le monde militaire, c’est le rôle de la culture générale qui a été mise à l’honneur à travers la citation fort connue du Général de Gaulle "la culture est la véritable école du commandement. Au fond des victoires d’Alexandre, on retrouve toujours Aristote".
Nombreux sont en effet les officiers en Afghanistan ou au Sahel qui ont pu mettre efficacement en oeuvre leurs savoir-faire tactiques parce qu’ils avaient compris finement le monde qui les entourait et l’état d’esprit des populations au sein desquelles ils agissaient.
Plus encore, j’ai aujourd’hui la conviction que le décideur, dans le prolongement de la lecture, doit écrire afin de devenir meilleur et gagner en performance. Cet exercice ne constitue pas seulement une forme de "chic" pour briller dans les dîners parisiens, mais s’avère une nécessité pour nos organisations, tant militaires que civiles.
Écrire pour comprendre un monde complexe
Dans nos sociétés contemporaines complexes dominées par le temps court de la surréaction sur les réseaux sociaux et l’immédiateté des chaînes d’informations en continu, écrire impose en effet un tempo plus lent, celui de la réflexion. L’écriture combat ainsi la compression du temps et force à analyser avec méthode les évènements, en dépassant les sentiments générés par l’immédiateté.
Plus encore que la lecture, l’écriture contraint à conceptualiser le monde et les phénomènes complexes qui le traversent, ainsi qu’à les nommer en les rattachant aux théories existantes dans différents domaines (relations internationales, sociologie, physique, etc.). Enfin, la construction d’une argumentation pousse à analyser des points de vue différents des siens et incite à la nuance et à la prudence.
Ainsi, pour comprendre le monde dans sa complexité et dans son détail, le décideur a tout intérêt à mettre à profit cet exercice du temps long et de l’analyse qu’est l’écriture. Il évitera alors l’écueil d’une pensée qui, trop souvent dans le monde professionnel, est formatée par l’enchaînement des diapositives powerpoint.
Donner du sens, un enjeu central pour le décideur
Le décideur demeure avant tout celui qui, par la compréhension des enjeux et de l’avenir, prend les décisions. Une fois que celles-ci ont été prises, il fédère le groupe dont il a la charge afin de mettre les énergies en mouvement dans la direction qu’il a choisie.
L’implication des subordonnés dans les armées, ou des collaborateurs dans le milieu civil, tiendra ensuite pour beaucoup au sens que le décideur aura été capable de donner à la situation à laquelle le groupe est confronté. Ce sens constitue en effet un fort levier de l’adhésion collective.
Or, pour donner du sens, il faut d’abord s’être forgé une conviction. Il faut s’être positionné par rapport aux opinions des autres. L’écriture joue ici directement son rôle grâce au tempo imposé de l’exercice et à l’élaboration d’un argumentaire.
De plus, pour éclairer les autres et s’affirmer dans son leadership, il s’avère nécessaire de transmettre. Oralement au quotidien tout d’abord, mais aussi avec une portée plus grande, par écrit. Ainsi, en faisant connaître ses choix, son appréciation de situation ou le cap fixé, le décideur s’implique clairement et par ce moyen s’impose comme leader dans son organisation. Il s’expose également car les écrits demeurent. En procédant de la sorte, il montre son courage en étant celui qui s’engage et non celui qui est prompt à changer d’avis.
Ainsi, je crois qu’"écrire c’est agir". Nos organisations ont besoin de ces décideurs qui agissent. Si l’écriture n’est évidemment pas le seul moyen d’agir, elle constitue un mode d’action efficace et surtout elle permet d’irriguer l’action en lui donnant du sens. Enfin, en confrontant le décideur aux regards des autres, elle participe à la construction de son statut de leader et renforce sa légitimité.
Ecrire est bon pour la santé du décideur
Au-delà de la capacité à comprendre le monde et du moyen que constitue l’écriture pour donner du sens, cet exercice est sain pour le décideur.
Car je crois aussi qu’en exposant le décideur, l’écriture le rend humble. Elle force à accepter la critique et des points de vue divergents. Elle pousse également à l’introspection, d’autant plus si les écrits comportent un retour sur les actions menées dans un contexte particulier (le retour d’expérience d’une opération par exemple).
Ensuite, en forçant le décideur à chercher la vérité dans la nuance et dans la finesse de la complexité pour rendre cette dernière intelligible, l’écriture aiguise sa rigueur et sa finesse d’esprit.
Enfin, en maniant à la fois la plume et l’épée, le décideur développe un profil professionnel équilibré au sein de son organisation. Ainsi, comme l’écrivait Montaigne, "c’est une belle harmonie quand le dire et le faire vont ensemble". Or, celui-ci est indéniablement gage de performance personnelle.
En conclusion, l’écriture m’apparaît indissociable de l’action du décideur, tant militaire que civil, car elle permet de lier l’action et la réflexion. De plus, elle concourt indéniablement à préparer l’avenir en partageant l’expérience aux plus jeunes générations.
Et surtout l’écriture demeurera toujours pour les auteurs une extraordinaire source de liberté. Cette richesse n’est-elle pas suffisante pour se lancer dans l’aventure ?
Gauthier Delaforge est l’auteur de "Sombres fumées - Livre de bord d’un officier des pompiers de Paris", préfacé par le Général commandant la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, aux éditions Balland. En librairie le 11 mars 2021.
17/02/2021