Principe de précaution ou principe de freinage ?

28/01/2021 - 5 min. de lecture

Principe de précaution ou principe de freinage ? - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

René Picon-Dupré est ancien DRH, consultant RH et management.

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Un sujet d’actualité en cette période de crise sanitaire où d’aucuns ont le sentiment que les actions du Gouvernement sont freinées par une crainte fondée ou infondée de contrevenir à ce qui est devenu, il y a peu, un principe de valeur constitutionnelle.

 

D’abord un peu d’histoire

D’un concept philosophique ciblé sur la protection de l’environnement, ce principe a évolué pour devenir une norme juridique et a été ensuite étendu au domaine de la santé et de l’économie.

Le principe de précaution est une disposition définie et entérinée lors de la conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement de Rio de Janeiroen 1992, principe n° 15 de la Déclaration sur l’environnement et le développement qui a été adoptée à l’issue : "pour protéger l'environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les États selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement".

En France, la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite Loi Barnier, a précisé dans une nouvelle formulation que "l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable". Ainsi, la France a ajouté à la définition de Rio les notions de réaction "proportionnée" et de "coût économiquement acceptable".

La Charte de l'environnement de 2004 a modifié pour la troisième fois cette formulation, en lui donnant un sens sensiblement différent, Charte qui a été intégrée dans la Constitution en 2005[1]. Face à l'incertitude, il faut développer des programmes de recherche pour lever le doute. La science reste donc une réponse mais peut être freinée au nom de ce principe, afin de lui faire mener des études complémentaires : "lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leurs domaines d'attribution, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage".

Le principe de précaution, qui était un concept philosophique, évolue ainsi vers la norme juridique, sur fond de développement de la mise en cause judiciaire des décideurs.

 

Finalement ce principe né de la volonté de protéger l’environnement va se voir étendu 

  • au domaine de la santé : des crises comme l’affaire du sang contaminé ou de la "vache folle" ont profondément fait évoluer le champ d’application de ce concept. L’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, dans l’affaire de la vache folle en 1998, illustre cette évolution. Celle-ci a en effet débouté le gouvernement britannique qui contestait l’embargo pris en mars 1996 en indiquant qu'"il doit être admis que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l'existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, les institutions peuvent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées" ; et
  • au risque économique : les accords commerciaux internationaux existants et l'Organe de Règlement des Différends (ORD) de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) s’appuient sur des normes internationales qui visent à ce que l'économie ne dépasse pas un seuil de risque acceptable.

 

Mais attention aux ambiguïtés

  • Précaution ne signifie pas prévention :
    • La prévention vise les risques avérés, ceux dont l'existence est démontrée ou suffisamment connue, de façon empirique, pour que l'on puisse en estimer la fréquence d'occurrence. Le fait d'être probabilisable rend le risque assurable (ex : le risque nucléaire, l'utilisation de produits tels que l'amiante).
    • La précaution vise les risques hypothétiques, non encore confirmés scientifiquement, mais dont la possibilité peut être identifiée à partir de connaissances empiriques et scientifiques (ex : émissions des téléphones portables).
  • Précaution ne signifie pas surprotection : rappelons-nous, la loi Barnier parlait de "mesures proportionnées" "à un coût économiquement acceptable".
  • Le principe de précaution suppose des mesures provisoires pour éviter un dommage, en attendant d’en savoir plus.
  • Enfin, en aucun cas, le principe de précaution ne vise le risque, pour les décideurs, de se voir mis en cause en raison des décisions qu’ils prendraient ou non (syndrome du sang contaminé), et
  • ce qui n’est pas la moindre des ambiguïtés, le principe de précaution peut être invoqué aussi bien par ceux qui souhaitent favoriser la recherche pour gérer les risques que par ceux qui considèrent qu’il ne faut surtout pas "aller voir" parce que c’est dangereux.
     

Et, dans la période actuelle, certains lient l’application d’un principe de précaution poussé à son paroxysme à des décisions frileuses, maladroites ou à tout le moins mal expliquées

  • Refus des recherches sur les gaz de schiste plutôt que de réaliser les études nécessaires pour évaluer les dangers présentés par ces techniques.
  • Absence de répression de peur de causer blessures ou, pire, la mort :
    • manifestations du samedi (gilets jaunes, grève des transports, loi sur la sécurité) ;
    • plus récemment, rave-party de Lieuron (réveillon 2021)
  • Pas de ski avec remontées mécaniques pour ne pas encombrer les urgences, comme si on ne risquait pas de se blesser sans remontée mécanique.
  • Précautions importantes pour la vaccination anti-Covid[2].
     

Et, pourtant, la vie est un risque et c’est aussi ce qui en fait le sel

  • Le principe de précaution n’empêche pas les accidents.
  • Certaines mesures peuvent avoir des effets pervers (interruption de la vaccination contre l’hépatite B en raison d’un lien possible entre cette vaccination et la survenue de cas de sclérose en plaques, au risque d’augmenter les cas d’hépatite B).
  • Sauf à ne rien faire et à rester chez soi, et encore on peut avaler sa brosse à dents, vivre comporte des risques.
     

En conclusion

  • Principe de précaution, oui, mais à la condition qu’il ne soit pas détourné de son objet et ne soit pas une source de freinage systématique.
  • Savoir passer de la précaution à la prévention une fois le risque identifié et mesuré, mais encore faut-il s’être donné les moyens d'analyser ce risque, ce qui est le contraire d’un refus d’avancer.
  • Ne pas sacrifier les libertés au nom du principe de précaution affirmé ou implicite, avec une communication claire, objective et non paniquante.

René Picon-Dupré

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[1] Préambule "Le Peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'Homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004".

[2] Même s’il semble que certaines interprétations (délai de réflexion après accord) ne correspondent pas aux normes fixées par le Gouvernement.

28/01/2021

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