Processus de recrutement, négociation des conditions d’emploi et propositions d’embauche : attention aux mauvaises surprises!
24/11/2022 - 7 min. de lecture
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Caroline Diard est Enseignant-chercheur en Management des Ressources Humaines à l'ESC Amiens.
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Un contexte de démissions massives et de pénurie de candidats
Les entreprises françaises subissent, depuis la crise sanitaire, un taux de démissions élevé. En revanche, la situation n’est pas inédite. En effet, lors de la crise financière de 2008, on assistait déjà à un mouvement record de salariés avec 510 000 démissions (source DARES). Le risque d’une nouvelle vague appelée "grande démission" apparait dès l’été 2021 avec 520 000 démissions sur un trimestre [1].
Cette expression évoque la situation du marché du travail américain courant 2021 : suite aux différents confinements liés à la pandémie, le nombre de travailleurs quittant volontairement leur poste a nettement augmenté, atteignant 2,7 % au 1er trimestre 2022 en France. C’est le taux le plus élevé depuis la crise de 2008. Parmi ces départs, une majorité de travailleurs issus des secteurs les plus impactés par la pandémie : tourisme, restauration, hôtellerie, mais aussi soins aux personnes et santé, ou encore les transports. Cette hausse des démissions correspond aux effets du confinement généralisé sur l’emploi. Certains employeurs n’ont pas pu compenser les incertitudes liées à la crise sanitaire avec le changement brutal des conditions de travail et le télétravail contraint.
Les employeurs sont ainsi confrontés à la double difficulté de retenir les talents, fidéliser les collaborateurs en place et affronter un marché en tension sur de nombreuses professions.
Malgré un taux de chômage de 7,4 % au deuxième trimestre 2022, avec un taux d’emploi de 67,3 % des personnes âgées de 15 à 64 ans au sens du Bureau international du travail (BIT) (source INSEE [2]), les recruteurs rencontrent des difficultés à attirer les meilleurs. Beaucoup d’offres d’emploi ne sont pas pourvues et particulièrement dans les secteurs où les conditions de travail sont contraignantes.
Au dernier trimestre 2021, ce sont 106 700 emplois créés, soit une création nette de +0,5 %. Au total, 7 métiers sur 10 sont donc en tension forte ou très forte en 2021 (source DARES : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/les-tensions-sur-le-marche-du-travail-en-2021).
Une enquête menée par l’éditeur de logiciel de recrutement Flatchr révèle +34 % d’offres publiées par mois et par entreprise en moyenne sur le premier semestre 2022, en comparaison au premier semestre 2021, et 11 offres publiées en moyenne par mois et par entreprise sur ce premier semestre 2022, contre 8 sur la même période l’année dernière[3].
Cette pénurie contribue à inverser les rapports entre recruteurs et candidats. Ces derniers sont en effet en position favorable, leur permettant de négocier les conditions de travail avant de rejoindre l’entreprise.
Recrutement et formation du contrat de travail
Le contrat de travail n’est pas défini par le Code du travail. C’est la Cour de cassation, dans un arrêt du 22 juillet 1954, qui en a proposé une définition : convention par laquelle une personne physique, le salarié, s'engage à mettre son activité à la disposition d’une autre personne physique ou morale, l’employeur, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération.
Ainsi, le contrat de travail se forme lorsqu'une personne (le salarié) s'engage à travailler, moyennant rémunération, pour le compte et sous les ordres et le contrôle d'une autre personne (l'employeur). Il entraîne des obligations réciproques. Son exécution entraîne un certain nombre d’obligations, tant pour le salarié que pour l’employeur. Le contrat de travail n’est pas nécessairement écrit (le CDI à temps plein peut être oral). Dans le cas où il doit être écrit, l’employeur dispose de deux jours ouvrables pour le transmettre au salarié.
Il est fréquent que les candidats demandent des garanties aux recruteurs dans le processus d’embauche, avant de quitter leur propre employeur. En effet, si le nouvel employeur venait à être défaillant, la démission du candidat n’ouvrirait, dans la plupart des cas, aucun droit à l’assurance-chômage.
Il est donc habituel que le candidat sollicite, dans le cadre des pourparlers, une proposition écrite de l’employeur ; il peut s’agir d’un promesse de contrat de travail ou d’une offre de contrat de travail.
Processus de recrutement et proposition d’embauche
Avant la réforme de 2016, la promesse d’embauche valait contrat de travail dès lors qu’étaient fixées la rémunération, la date d’entrée, ainsi que la mission du destinataire. La réforme relative au droit des contrats, consécutive à l’ordonnance du 10 février 2016, impacte le droit social notamment concernant cette "promesse d’embauche". En effet, la rupture de cette promesse était auparavant analysée par les juges comme une rupture abusive du contrat de travail correspondant à un licenciement sans cause réelle et sérieuse et le candidat pouvait obtenir des indemnités de rupture. Il s’agissait d’une insécurité juridique pour l’employeur.
Deux arrêts du 21 septembre 2017 (n° 16-20103 et 16-20104) de la Chambre sociale de la Cour de cassation conduisent à un revirement de jurisprudence en matière de proposition d’embauche. On distingue ainsi l’offre de contrat de travail : "l'acte par lequel un employeur propose un engagement précisant l'emploi, la rémunération et la date d'entrée en fonction et exprime la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation,(lequel) constitue une offre de contrat de travail, qui peut être librement rétractée tant qu'elle n'est pas parvenue à son destinataire ; (ainsi) la rétractation de l'offre avant l'expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l'issue d'un délai raisonnable, fait obstacle à la conclusion du contrat de travail et engage la responsabilité extra-contractuelle de son auteur".
Et, d’autre part, la promesse unilatérale de contrat de travail : "le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l'autre, le bénéficiaire, le droit d'opter pour la conclusion d'un contrat de travail, dont l'emploi, la rémunération et la date d'entrée en fonction sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire; (d’où il s’ensuit) que la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat de travail promis".
Cette jurisprudence s’avère favorable aux employeurs qui demeurent libres de révoquer une offre de contrat de travail, sous réserve du respect du délai fixé ou, à défaut, d’un délai raisonnable. Dans le cas d’un manquement préjudiciable, c’est leur responsabilité extracontractuelle [4] qui pourra être engagée. Il est donc important d’indiquer que l’offre n’est valable qu’en cas d’acceptation du candidat et d’en préciser les délais. Cela permettra de protéger l’employeur et également de protéger le futur salarié. En effet, la responsabilité extracontractuelle de l’employeur pourra éventuellement être recherchée si le candidat subit un préjudice (notamment en ayant démissionné de son précédent emploi). Il s’agit d’un engagement synallagmatique (bilatéral) [5].
Concernant la promesse de contrat de travail, l’employeur s’engage sans réserve à maintenir sa promesse durant le délai indiqué. Il s’agit d’une promesse unilatérale. Il démontre ainsi sa volonté ferme et définitive d’embaucher le candidat. Les éléments essentiels (emploi, rémunération et date d’entrée en fonction) ayant été négociés préalablement, cette promesse équivaut à un contrat de travail. En cas de défaillance de l’employeur, il s’agira d’ un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le candidat pourra saisir le Conseil des prud’hommes. C’est au moment des pourparlers (des négociations pré-contractuelles) que les candidats doivent être particulièrement vigilants. En effet, le contenu de la promesse ou de l’offre ne contient que des éléments comme l’emploi proposé au candidat retenu (définition du poste), la date d'entrée en fonction envisagée, la rémunération et le lieu de travail. D’autres éléments contraignants peuvent ensuite être mentionnés au contrat de travail sans avoir été négociés et s’imposeront donc au candidat. Ainsi, par exemple, un forfait-jours transformé en forfait heures, des activités périphériques aux missions imposées, des amplitudes d'horaires modifiées, le travail le week-end non évoqué avant l’embauche, etc.
La relation d’emploi : un contrat psychologique fragile
Au-delà d’obligations réciproques inhérentes au contrat de travail, salariés et employeurs ont des attentes réciproques. On parle alors de contrat psychologique, informel, non écrit. Cet échange social est basé sur des obligations et également des promesses (Rousseau, 1989).
En fonction de la réalisation des promesses par l’employeur, un degré différent de motivation et de fidélisation est obtenu. Quand les promesses ne sont pas tenues, les salariés peuvent être tentés de quitter l’entreprise ou d’adopter des attitudes de retrait (retards répétés, absences, "quietquitin"). Un salarié démotivé, qui n’est plus impliqué, peut rapidement avoir un effet négatif sur le groupe [6].
Avec la crise sanitaire, les collaborateurs et candidats potentiels ont de nouvelles attentes relatives à la relation d’emploi : conditions de travail moins contraignantes, salaire, quête de sens, organisation du travail (télétravail [7]), meilleure conciliation vie personnelle - vie professionnelle [8].
L’implication des salariés est moindre car il y a un décalage entre les engagements pris envers les collaborateurs et la réalité du travail.
De nombreux auteurs se sont intéressés aux conséquences de la rupture ou de la violation du contrat psychologique, c’est-à-dire quand les salariés considèrent que l’entreprise n’a pas respecté ses obligations (Robinson et Morrison, 1995 ; Lester, Turnley, Bloodgood et Bolino, 2002 ; Chen, Tsui et Zhong, 2008) Ces travaux ont révélé l’influence d’une différence de perception relative aux termes du contrat psychologique, sur l’implication organisationnelle, la performance au travail, les comportements de citoyenneté organisationnelle et l’intention de quitter l’entreprise.
Attention donc aux mauvaises surprises et au décalage entre pourparlers, négociation, contenu de la proposition et du contrat de travail qui pourraient rompre le contrat psychologique. Les employeurs devront être particulièrement vigilants afin de ne pas ébranler la confiance des nouveaux salariés qui pourraient quitter l’entreprise en cours de période d’essai avec un délai très court de préavis (entre 24 et 48 heures). Il faudra garder à l’esprit que, dans le contexte actuel, les candidats sont extrêmement sollicités par les recruteurs. La transparence sera de mise sur toutes les conditions de travail et ce, avant la signature du contrat de travail définitif.
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[2] https://www.insee.fr/fr/statistiques/6483447
[3] Étude réalisée sur la période du 1er janvier au 30 juin 2022 basée sur un échantillon de 800 entreprises en France.
[4] La responsabilité contractuelle correspond à l’obligation de réparer les dommages résultant d’un défaut dans l’exécution d’un contrat. La responsabilité extracontractuelle concerne, au contraire, les dommages causés à autrui en dehors de tout lien contractuel.
[5] C. civ., Art. 1106 : le contrat est synallagmatique lorsque les contractants s'obligent réciproquement les uns envers les autres.
[7] https://www.village-justice.com/articles/teletravail-marque-employeur-remede-contre-grande-demission,41929.html
[8] https://www.village-justice.com/articles/grande-demission-points-vigilance-droit-travail,41610.html
24/11/2022