Quel avenir pour le football français ?

23/06/2020 - 5 min. de lecture

Quel avenir pour le football français ? - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

Michael Tapiro est Président de la Sports Management School (SMS).

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Parmi les nombreux secteurs touchés depuis quelques mois suite à la propagation du Covid-19, le secteur sportif ne fait pas exception et se retrouve lui aussi en grande difficulté. Contraint et forcé de s’être mis à l’arrêt comme la quasi-totalité du pays, certaines prises de décisions inhérentes aux modalités de reprise, ou devrais-je dire de non reprise des compétitions, interrogent encore.

J’ai choisi ici de m’arrêter entre autres sur la dimension symbolique engendrée par l’arrêt définitif des championnats de football en France pour la saison 2019-2020, alors même que dans les autres pays du top 5 européen, des institutions fortes et une volonté commune ont permis un retour sur les terrains et la reprise des compétitions.

Comment expliquer que la France fasse aujourd’hui figure d’exception alors que chacun de nos voisins européens, eux aussi frappés de plein fouet par une crise sanitaire sans précédent, semblent être en bonne voie d’avoir gagné leur pari de retrouver le chemin des filets avant l’été ?  

 

Le football français sacrifié, un symbole exemplaire et politique

Le 28 avril dernier, le Premier Ministre Édouard Philippe annonçait que la saison 2019-2020 de sports professionnels ne pourrait pas reprendre : un véritable séisme pour l’écosystème du sport français et l’ouverture d’un incroyable feuilleton politico-sportif pour le monde du ballon rond, dès que la Ligue de Football Professionnel, sous la contrainte du gouvernement a confirmé la décision.

Si de nombreux présidents de clubs et experts du milieu s’interrogent aujourd’hui sur le manque de concertation et le caractère hâtif de cette prise de décision, il m’apparaît tout aussi intéressant d’en questionner la dimension symbolique, peut-être encore trop sous-estimée ?

Parmi les raisons profondes d’arrêter la saison de football en France, outre l’argument sanitaire pleinement justifié, le message sous-jacent à travers une telle prise de décision n’aurait-il pas été renvoyé un peu trop vite aux oubliettes ?

Apparaissait-il envisageable dans le contexte économique et social tendu, résultant de la crise sanitaire, de demander à chacun des français de faire d’importants efforts, sans pour autant arrêter de jouer au football en parallèle ? La mise à l’arrêt des différents championnats sportifs et particulièrement du plus symbolique d’entre eux, a induit, à mon sens, un signal fort - la situation est grave - que le gouvernement a souhaité envoyer en s’appuyant sur l’incontestable popularité dont jouit le sport.

L’idéal apolitique que défend le sport s’en retrouve une nouvelle fois mis à mal mais cela n’a-t-il pas permis au gouvernement de se servir d’une telle décision pour asseoir les prises de décision au plus haut niveau et justifier ainsi les efforts demandés aux français pendant et après le confinement ?

 

Midi à sa porte

L’arrêt définitif de la saison 2019-2020 de Ligue 1 et le choix de geler le classement sans déclarer de saison blanche a provoqué une véritable cacophonie dans le discours des présidents de clubs.

Nourrie des divergences d’intérêts de chacun, l’attitude générale des dirigeants du football français apparaît aujourd’hui regrettable, chacun semblant avoir privilégié midi à sa porte plutôt qu’une réflexion profonde à une solution d’intérêt commun.

Bien que ces attitudes apparaissent plus défendables du côté des grands perdants (Lyon, Montpellier, Monaco, Amiens, Toulouse), on regrette néanmoins que ce soit l’intégralité du football français qui en pâtisse à la fin. Alors même que le ballon rond connaît probablement la plus grande crise de son histoire en France, le tout dans un contexte de crise sanitaire sans précédent, les querelles exposées en place publique auront eu raison d’une réflexion commune, pas si utopiste à mon sens, et tournée vers l’avenir. Une nouvelle occasion manquée de se réinventer en se projetant dans une vision à long terme, au-delà d’un exercice budgétaire ? Sans doute. L’écart avec les autres grands championnats européens se creusant encore un peu plus, tant sur le plan économique que sportif, la Ligue 1 s’en retrouve encore un peu plus fragilisée, alors même qu’elle cravachait déjà pour combler son retard.

Il convient toutefois de souligner également qu’au-delà des luttes d’égo et d’intérêts, c’est avant tout la force des institutions, portées par une vision de consensus, qui a permis aux autres pays européens d’envisager la reprise de leurs championnats respectifs. À titre d’exemple, en Allemagne, chacun a vu l’intérêt d’une reprise du championnat malgré une opinion publique divisée. Lors des assemblées générales de la Ligue Allemande (DFL), les clubs se sont plusieurs fois réunis afin de trouver une solution commune. La Ligue a su asseoir son autorité en convaincant les dirigeants de clubs de ne pas prendre la parole publiquement, pendant un temps, afin d’éviter les contradictions, mais aussi profiter d’une gouvernance moins ferme de la Fédération pour s’afficher comme l’organe de référence.

A contrario, et comme on a souvent tendance à le déplorer en France, la lenteur des institutions, les relations compliquées entre la Fédération Française de Football, la Ligue de Football Professionnel, les présidents de clubs et le manque de concertation de tous n’ont pas aidés à avancer aussi vite et bien dans une direction commune. Le soutien de l’État français aux clubs de football professionnels, unique en Europe et dont nous pourrions nous réjouir, implique lui aussi un revers de médaille, en questionnant le rôle de l’État dans le fonctionnement du football professionnel.

 

Un système de ligues fermées à l’américaine, une solution pour l’Europe ?

Et si la conclusion de l’incroyable épisode que nous vivons depuis quelques mois au cœur du football français était d’avoir, une nouvelle fois, manqué une opportunité de repenser notre modèle, pour se réinventer face au monde de demain ?

L’épisode que connaît la Ligue 1 nous rappelle bel et bien, au grand désespoir de certains, que le football se base avant tout aujourd’hui sur un modèle économique où prime l’intérêt de chacun. Les clubs de football sont des entreprises à part entière qui, comme toutes entreprises, ne peuvent évoluer dans un système déficitaire pour assurer l’avenir.

Est-il raisonnable de continuer à évoluer dans ce système qui ne saurait probablement pas résister à une nouvelle pandémie ? Comme pour tout business, ne serait-il pas pertinent de réfléchir au meilleur business model afin d’assurer la pérennité des différents clubs ?

Bien que certains voient dans le système des ligues fermées un abandon de l’histoire et de l’essence même du sport européen, au profit d’un terrain favorable aux investissements financiers, ce modèle semble davantage coller à la réalité de ce qu’est le football aujourd’hui et de ce qu’il pourrait être demain.

Le système méritocratique dans lequel chaque club peut avoir une chance de s’imposer ne tient plus debout et l’inégalité financière observée entre les clubs n’a de cesse de s’accroitre au niveau européen. La création de ligues fermées, au-delà de permettre de retrouver un niveau d’incertitude perdu dans beaucoup de championnats nationaux, pourrait également favoriser un retour au jeu avec davantage d’équilibre sportif dans les championnats nationaux et européens.

Michael Tapiro

23/06/2020

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