Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Pascal Favaro est Docteur en pharmacie, spécialiste des techniques d’organisation de la logistique santé.
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Si la mondialisation avait pu s’envisager comme la promesse d’un avenir plus prospère, il faut se rendre à l'évidence, ce ne fut qu’une illusion éphémère. Dans le domaine économique, particulièrement avec l'intégration de la Chine dans le commerce international, la prépondérance asiatique dans nos importations impacte dorénavant des secteurs vitaux comme le domaine de la santé et entraîne des risques majeurs de rupture d’approvisionnement qu’une crise majeure, comme celle de la Covid-19, a révélés de façon brutale. La pénurie, particulièrement sur les équipements de protection pour les soignants et les moyens de prise en charge des patients (respirateurs, médicaments, etc.) a démontré notre niveau de dépendance élevée dans ce secteur stratégique qu’est celui de la santé.
Devant l’intensité de cette crise et sa durabilité, le mot "souveraineté" revient de plus en plus fréquemment dans les discours et publications, jusqu’au plus haut sommet de l’État.
Mais un mouvement inverse à la mondialisation subie est-il envisageable et comment peut-on espérer reconquérir une souveraineté sanitaire ?
PRODUITS DE SANTÉ ET PÉNURIES
Chaque produit disponible sur le marché connaît une phase de recherche et de développement suivie d’une phase d’industrialisation et de commercialisation. Dans le domaine des produits de santé, prenons l’exemple des médicaments qui est le plus significatif car il réunit un maximum de contraintes.
En moyenne, le délai d'accès au marché d'un nouveau médicament (de l’innovation jusqu’au malade) est de 12 ans. Le processus est complexe et coûteux avec une fourchette de l’ordre de 1 à 1,5 milliard d’euros. Le brevet, essentiel au financement de la recherche, débute dès que la molécule est identifiée et permet de protéger l'innovation pendant 20 ans. Après le brevet, la molécule va subir des séries de tests précliniques et cliniques, qui s'étendent sur une dizaine d'années, qui finissent par les étapes de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) et de la fixation du prix du médicament, régulée en France. Au terme du brevet, l'arrivée des génériques devient ensuite très rapide car, copie de la molécule d'origine, ils ne repassent pas le long cycle d'essais.
Si l’on regarde l’attractivité de la France dans la compétition internationale en recherche clinique, elle occupe le 4ème rang européen derrière l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne. L’Europe, quant à elle, se situe au 2ème rang mondial des grandes régions derrière les États-Unis. L’Union européenne reste donc un acteur majeur de la recherche en santé, à laquelle elle consacre des financements importants. De même pour la France, si l’innovation thérapeutique présente à la fois un coût élevé et un risque financier majeur, notre pays reste une puissance pharmaceutique. Cela résulte vraisemblablement de l’effort particulier qui a été conduit depuis 2009, avec un maillage de collaborations efficaces alliant recherche académique puissante et moyens croissants, montrant ainsi que l’on peut créer les conditions du développement de l’innovation en France.
Le constat est moins favorable pour les stades d’industrialisation et de commercialisation, surtout pour les génériques.
Pour assurer la production, il faut associer, de façon schématique, une chaîne qui comprend la disponibilité des "ingrédients" de base (matières premières, articles de conditionnement), des sites avec leurs équipements de production et des compétences et savoir-faire. Doivent être pris en compte également, de nos jours, les systèmes d’information associés. Puis, arrive la dernière étape logistique, phase d’acheminement du lieu de production du produit jusqu’à l’utilisateur. Enfin, l’ensemble se fait sous la pression réglementaire qui, dans le domaine de la santé, est très importante, afin d’offrir les garanties d’efficacité et de sécurité pour l’utilisateur. Elle se cumule avec les autres réglementations, notamment celles concernant la sécurité des conditions de travail et la sécurité environnementale, la détermination des prix des médicaments et les règles de la commande publique.
Avoir une souveraineté, c’est détenir la capacité d’avoir une maîtrise sur toutes les étapes de la chaîne précédemment décrite.
1/ La production
La stratégie de réduction des coûts avec les médicaments marque une accélération à la fin du XXème siècle, quand la France promeut fortement les médicaments génériques. Ces médicaments, dont le brevet est tombé dans le domaine public après une période d’exploitation exclusive par leurs fabricants sont moins chers à produire, donc moins chers à rembourser par la Sécurité sociale, ce qui les rend aussi moins rentables à produire en France. L’industrie pharmaceutique, auparavant bien implantée en Europe, se délocalise alors vers l’Asie, où elle trouve une main-d’œuvre moins chère et une réglementation industrielle, environnementale et sociale moins cadrée. Aujourd’hui, 40 % des médicaments finis commercialisés dans l’Union européenne proviennent d’Asie, ainsi que 80 % des substances actives, autrement dit des matières premières des médicaments. Ces 80 % sont à comparer aux 20 % d’il y a 30 ans. La Chine et l’Inde occupent ainsi maintenant un quasi-monopole sur le marché du médicament.
2/ Les systèmes d’information
Devenue incontournable dans tous les domaines, l’informatique constitue une vulnérabilité au regard du concept de souveraineté. En termes de cybersécurité, les attaques explosent actuellement, avec trois objectifs majeurs pour les attaquants : soit la pure malveillance pour bloquer l’activité de l’entreprise cible, soit la demande de rançon en échange du déblocage de données, soit le captage de données qu’il sera possible de marchander.
À titre d’exemples récents dans le domaine de la santé, les hôpitaux français ont subi au moins un incident par semaine depuis le début de l'année 2021 et, dernier en date, côté industriels, le 31 mars 2021, le laboratoire pharmaceutique Pierre Fabre a vu une partie de ses activités de production bloquées à la suite d'une attaque informatique.
Les enjeux numériques sont donc un enjeu de souveraineté. La dépendance à des hébergeurs étrangers de données qui peuvent être particulièrement convoitées montre la fragilité qui en résulte pour les entreprises et les enjeux nationaux.
3/ La logistique
La crise sanitaire mondiale a révélé les importantes faiblesses des chaînes d'approvisionnement des entreprises avec des problèmes dans le transport jusqu’alors non envisagés. Du fait de l’arrêt des lignes commerciales aériennes pour passagers qui emportent en soute près de 80 % de l’ensemble du fret aérien, une très forte augmentation des prix est immédiatement apparue. Le report de la demande s’est alors fait sur les capacités restantes, c’est-à-dire sur les avions "tout cargo". Le coût d’exploitation très supérieur à celui des avions transportant aussi des passagers est venu ainsi contribuer à la hausse des tarifs (prix pouvant augmenter d’un facteur de 3 à 10). Avec une offre insuffisante et la tension sur les prix sur l‘aérien, les chargeurs se sont alors tournés vers le transport maritime. Mais les industriels se sont alors heurtés au problème du manque de conteneurs maritimes sous-température dirigée. Dès lors, le prix du transport maritime a, à son tour, augmenté amenant jusqu’à exploiter les liaisons ferroviaires entre la Chine et l’Europe.
Le transport constitue ainsi un autre maillon de faiblesse dans la chaîne d’approvisionnement qu’il convient d’appréhender dans une logique de souveraineté.
À titre de dernier exemple, l’incident récent avec le porte conteneur Evergreen qui a obstrué le canal de Suez, du 23 mars au 29 mars, même s’il n’a pas trop duré, montre que le transport mondial peut être fortement perturbé si l’une de ses routes maritimes les plus utilisées au monde est bloquée.
4/ La pression réglementaire
- Protection de la santé humaine et environnementale : le règlement REACH est un règlement de l'Union européenne adopté pour mieux protéger la santé humaine et l'environnement contre les risques liés aux substances chimiques. Son entrée en vigueur le 1er juin 2007 a été perçu comme une contrainte majeure pour les acteurs de la chimie européenne parmi lesquels les fabricants de substances actives médicamenteuses, ce qui a pu amener des délocalisations dans des pays moins vigilants dans ces domaines, notamment ceux cités précédemment.
- La protection et la santé au travail : la France a mis en place depuis le 19ème siècle un important corpus réglementaire pour garantir la protection des travailleurs qui s’est complété par la suite au niveau de l’Union européenne. Dorénavant, la protection sociale au travail est devenue l'une des pierres angulaires de l’Europe sociale. Mais cette protection, qui n’a rien d’universelle, a un coût qui se répercute sur le prix de vente, ce qui favorise une nouvelle fois des pays, comme la Chine et l’Inde.
- Le prix du médicament réglementé : le marché du médicament en France a une spécificité, à savoir que ses prix sont intégralement régulés pour ce qui concerne le marché de la ville et faisant l’objet d’un remboursement par l’assurance maladie. Le dispositif réglementaire et financier français place le marché entre les mains de deux types d’acteurs, tous deux publics :
- le CEPS (Comité économique des produits de santé) qui fixe les prix du médicament pour le marché de ville ; et
- les groupements et centrales d’achats hospitaliers, qui achètent pour le compte des hôpitaux.
- Si l’amélioration du service médical rendu est le critère principal de fixation du prix lors du lancement d’un médicament remboursable, lors de la perte de la protection par brevet, la molécule subit une forte décote, qui généralement s’accentue au fil du temps. Ainsi, le prix du médicament, initialement négocié, décroît ensuite sans lien avec ses coûts de revient mais uniquement avec le niveau de concurrence (génériqueurs) et avec les contraintes budgétaires assignées au CEPS. Dans un système concurrentiel, afin de tenir les coûts, la production est optimisée et progressivement abandonnée par les acteurs dont les exigences de rentabilité sont les plus fortes. Le déport se fait donc logiquement vers des pays où cette rentabilité est meilleure, type Chine ou Inde. L’impact des baisses de prix françaises est d’autant plus important que le prix de remboursement français sert de référence à de nombreux autres système de tarification étrangers.
- Les règles de la commande publique : transposition de textes européens, les directives "marchés" fixent un ensemble de règles organisées autour de trois grands principes : transparence, libre accès à la commande publique, égalité de traitement des candidats. Ainsi, sous peine de délit de favoritisme, les critères de choix d’un produit ne permettent pas de sélectionner des candidats en privilégiant le positionnement géographique, notamment national. Par ailleurs, les achats dans le domaine du médicament et des produits de santé se sont concentrés depuis quelques années par le biais de la création de grandes centrales d’achats regroupant acheteurs nationaux, régionaux, groupements d’hôpitaux… Ce mouvement de concentration s’est encore amplifié récemment avec la création des groupements hospitaliers territoriaux. Ceci a pour effet d’évincer des candidats de petite taille ou de taille modérée amenant une concentration sur quelques fournisseurs, ce qui accroît ainsi le risque de pénurie en cas de défaillance de l’un d’entre eux.
L’ensemble de ces éléments explique la délocalisation de la production qui s’est faite vers des pays à bas coût, générant des économies pour le client final comme pour les régimes de sécurité sociale. Associé à une main d’œuvre bon marché, des États moins regardants sur les normes environnementales et de sécurité du travail ont permis de drainer en deux ou trois décennies la production industrielle autrefois florissante chez nous. Il est notable que les ruptures de stocks de médicaments concernent peu les médicaments dont les AMM sont récentes, ce qui peut s’expliquer par le prix plus élevé dont jouissent ces spécialités récentes et par un modèle industriel globalement intégré, aussi longtemps que dure la protection par brevet.
Ce qui vient d’être vu pour les médicaments se retrouve tout ou partie pour les produits de santé en général. Les pistes de réflexion qui seront proposées pour inverser la tendance pourront donc être envisageables pour l’ensemble des produits de santé.
SOUVERAINETÉ "NATIONALE" OU "EUROPEENNE" ?
Une abondante production littéraire tente de cerner ce qu’il faut entendre par souveraineté. Dans le contexte actuel, s’y trouvent souvent opposées souveraineté nationale et souveraineté européenne ou, au contraire, associées même si certains y voient un oxymore. En s’éloignant de considérations juridiques ou philosophiques, on simplifiera le terme en le conservant dans le sens d’indépendance d’action pour une entité (Nation ou association de Nations). Au XXIème siècle, il semble de plus en plus difficile d’envisager une souveraineté nationale pleine et entière face à des problèmes mondiaux. La coopération des États s’avère un incontournable, y compris dans le domaine économique, appréciation qui a sans doute prévalu à la création de l’Union européenne et amené de nombreux pays à renoncer à leur souveraineté totale en acceptant de faire primer le droit européen sur leur propre droit. La souveraineté étant tributaire de capacités liées à la puissance et la richesse du pays, prétendre à une souveraineté totale pour la France semble désormais relever du domaine de l’utopie.
Ainsi, dans son discours depuis l'usine Kolmi-Hopen (producteur de masques chirurgicaux et FFP2) à Saint-Barthélemy-d'Anjou, le 31 mars 2020, Emmanuel Macron, répond à cette ambiguïté en déclarant : "(...) il nous faut aussi… produire davantage en France, sur notre sol. Produire parce que cette crise nous enseigne que sur certains biens, certains produits, certains matériaux, le caractère stratégique impose d'avoir une souveraineté européenne. Produire plus sur le sol national pour réduire notre dépendance et donc nous équiper dans la durée". Le Président de la République ne souhaite donc pas opposer souveraineté nationale et souveraineté européenne.
PROPOSITIONS
Si l’on reprend les différents points vus précédemment, quelles solutions peuvent s’envisager pour assurer un maximum d’indépendance (souveraineté) ?
1/ Partie production
L’indépendance au sens large est l’élément majeur. Pourtant, dans le domaine des produits de santé, il est impossible de pouvoir être totalement autonome et la dépendance à des fournisseurs, de surcroît extranationaux, est incontournable. Il s’agit alors de recenser les fournisseurs, leur localisation géographique, d’auditer leur niveau de maîtrise des risques et évaluer le niveau de criticité au regard de la continuité d’activité. On identifie ainsi les fournisseurs les plus fragiles en essayant de dupliquer les sources d’approvisionnement et diversifier les approvisionnements sur des produits similaires ou assurant les mêmes usages.
Parallèlement, la protection de nos fabricants nécessite des actes politiques forts. Il faut noter que, depuis mars 2020, la Commission européenne a publié une communication pour promouvoir la régulation des prises de contrôle de la part de groupes étrangers sous forme d’investissements directs. Il s’agit, pour la Commission, de susciter l’attention de l’ensemble des États membres sur la nécessité de préserver l’outil technologique et industriel face à des opérations qui pourraient apparaître comme hostiles. La Commission englobe une définition large de ce qui doit être considéré comme stratégique en incluant le domaine pharmaceutique et de santé.
Ensuite, cette volonté de restriction d’éventuels mouvements de capitaux qualifiés de prédateurs dénote une remarquable évolution de la politique de concurrence, jusqu’ici réticente lors de la prise en compte des visions stratégiques géopolitiques. La crise de la Covid-19 semble marquer un tournant en la matière, ouvrant la porte à l’introduction d’une logique "souveraine" comme élément de la politique de concurrence.
Enfin, la réindustrialisation des substances actives et/ou de médicaments en Europe ou en France nécessite de développer une politique industrielle pour permettre la réimplantation de sites de production. En ce sens, l’expérience de la base industrielle et technologique de défense pourrait être un modèle pour développer, peut-être, une base industrielle et technologique de santé. L’évaluation continue des possibles dépendances industrielles françaises qui pourraient impacter les approvisionnements qui est réalisée pour la défense pourrait inspirer le domaine sanitaire. Cette analyse des interdépendances stratégiques respectives de la France, voire de l’Europe, afin d’évaluer leur niveau d’acceptabilité et les moyens de limiter ces dépendances rejoindrait ainsi la notion de souveraineté.
Cette capacité de fabriquer en interne (France/Europe) doit également s’envisager dans la durée. À titre d’exemple, des industriels qui ont remonté des capacités de fabrication (type gants chirurgicaux) en France pendant la crise Covid devront se voir confier des commandes en post-crise au risque sinon de voir disparaître de nouveau ces capacités qui pourront refaire défaut lors d’une prochaine crise.
Pour terminer sur ce volet production, même en cas de relocalisation industrielle permettant de retrouver de la souveraineté, il faut envisager la crise "généralisée" (type pandémie). Une des caractéristiques est de voir survenir, de façon brutale, une demande importante et simultanée sur les mêmes produits. Ainsi, même en cas d’indépendance sur les différentes étapes vues précédemment, la forte demande nécessite une capacité de montée en puissance. Nous devrons ainsi travailler à l'adaptabilité de nos industries, à construire des organisations agiles afin d’être prêts lors de la survenue de la crise.
2/ Les systèmes d’information
Comme précédemment mentionné, les enjeux numériques sont un enjeu de souveraineté et il est vital de ne pas dépendre d’hébergeurs extra-nationaux ou extra-européens de données.
Ce risque semble désormais bien intégré car on assiste, depuis quelques années, à une croissance de la sensibilité à cette thématique dans le contexte européen, avec un élargissement du concept d’industrie stratégique aux réseaux et au numérique. La "souveraineté digitale" vue de l’Europe converge enfin avec la position française traditionnelle. L’initiative franco-allemande, devenue le projet Gaïa-X, a été présentée en octobre 2019. Un an plus tard, cette initiative est devenue un projet de cloud européen avec pour objectif d'assurer une meilleure souveraineté numérique à l'Europe.
Cette souveraineté doit être double, à la fois sur les infrastructures et les données.
3/ La logistique
Il n’est pas besoin d’argumenter pour comprendre qu’une relocalisation des usines de production au plus près des utilisateurs réduit le risque de rupture dans les phases d’acheminement, quel que soit le mode de transport.
4/ La pression réglementaire
Sur l’environnement réglementaire qui vise la protection des individus ou de l’environnement, il n’est pas envisageable un retour en arrière pour favoriser l’UE ou la France. À l’inverse, ces exigences devront gagner en universalité. Dès lors, il s’agira de mettre sur un pied d’égalité les candidats lors des mises en concurrence, sans se baser principalement sur le critère prix qui sera toujours au bénéfice des moins respectueux de ces règles. La contrepartie est d’accepter la hausse des prix qui devrait vraisemblablement s’en suivre.
Par contre, la commande publique peut subir des évolutions qui ne seront pas péjoratives au regard des critères précédents. Par exemple, il peut être intéressant de prendre en compte la localisation de la chaîne de production des produits de santé dans les appels d’offres afin de favoriser les implantations plus régionales qui, de surcroît, minimiseront l’impact environnemental en réduisant les élongations pour l’acheminement des produits.
Enfin, sur les prix réglementés en France et notamment les génériques, un mécanisme devrait être instauré limitant les baisses de prix dans le temps lors de la constatation d’un risque d’affaiblissement de la chaîne de production et prenant en compte le risque de désinvestissement industriel.
Dernier volet intéressant pour la souveraineté, qui dépasse la production, consiste en la possibilité de créer une agence de recherche et de développement biomédicaux à l’image de la BARDA américaine (Biomedical Advanced Research and Development Authority). En septembre 2020, dans son discours sur l’Union, la Présidente de la Commission européenne a fait une de ses priorités des prochains mois, l’objectif étant de mieux se préparer à la prochaine menace sanitaire.
Les États-Unis ont créé la BARDA en 2001 suite à la menace des lettres contaminées à l’anthrax, agence qui a depuis élargi son périmètre et est chargée de l'acquisition et du développement de contre-mesures médicales, principalement contre le bioterrorisme, y compris les menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques, ainsi que la grippe pandémique et les maladies émergentes.
Ainsi, pour répondre aux menaces sanitaires, qu’elles soient terroristes ou "naturelles", la Commission européenne vient de lancer, en début d’année, sa première consultation concernant la création de l’Autorité européenne d’intervention en cas d’urgence sanitaire (HERA) mentionnée dans le paquet Union européenne de la santé et dans la stratégie pharmaceutique. L’initiative entend répondre à certaines difficultés mises en lumière par la crise Covid-19 : dispersion des efforts (financement de la recherche et acquisition de produits de santé), lacunes dans l’anticipation et l’analyse des risques, défaillances des marchés et des chaînes d’approvisionnement, développement, financement et déploiement des contremesures médicales. La Commission entend doter la nouvelle autorité de compétences et de capacités en matière d’analyse prospective, d’analyse des marchés, d’aiguillage de la R&D, d’identification des capacités de production européennes ou encore de passation de marchés. La proposition législative est attendue pour la fin de l’année 2021.
CONCLUSION
L’indisponibilité de produits de santé, notamment de médicaments, est devenue une préoccupation majeure en France au cours des dernières années (pénuries en constante progression supérieures à un facteur 20 entre 2008 et 2019) et la crise Covid-19 a mis en lumière l’extrême fragilité de notre système d’approvisionnement. Les causes sont pourtant bien connues avec des stratégies d’externalisation et des délocalisations poussées par des choix essentiellement économiques. Cette dépendance, sans plan de secours, est ainsi antinomique avec un système souverain et résilient.
Nécessitant une réelle volonté politique, plusieurs axes méritent ainsi d’être étudiés :
- relocaliser et consolider notre production industrielle, notamment dans des domaines jugés stratégiques (dont les secteurs du médicament et des produits de santé après priorisation des plus sensibles et importants car il ne sera pas possible de couvrir tout le spectre) ;
- leur garantir un système permanent de production, par une réforme ou une évolution en matière de commande publique ;
- prévoir un système de montée en puissance lors de survenue de crise pour répondre à la brusque augmentation de la demande ;
- mettre en place un système de veille et d’anticipation en lien avec le volet industriel (modèle BARDA américain) selon le choix politique Français ou européen.
Enfin, le maillon le plus faible d’une chaîne pouvant faire tomber l’ensemble, il sera important de couvrir de façon cohérente toutes les étapes pour assurer la disponibilité du produit, de la fabrication jusqu’à l’utilisateur.
Le corollaire d’abandonner la recherche permanente du prix le plus bas qui a démontré qu’elle nous rend particulièrement vulnérables, sera vraisemblablement l’acceptation d’un prix à payer pour retrouver une certaine souveraineté.
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Sources principales
1/ Biot J. et al. Rapport au premier ministre – Mission stratégique visant à réduire les pénuries de médicaments essentiels. 2020, 72p.
2/ Hackenbroich J. et al., "Health sovereignty : how to build a resilient european response to mandemics", European council on foreign relations (ECFR1329), juin 2020, 44p.
3/ Pasquelin A., "Souveraineté sanitaire : un idéal à atteindre", Hospitalia, décembre 2020, n° 51, p38-40.
4/ Sénéquier A., "Quelle souveraineté sanitaire pour la France ? Diplomatie – Géopolitique de la France", Les grands dossiers n° 59, décembre 2020-janvier 2021.
5/ Proposition de mesures par les Pôles santé en réseau pour faire face aux enjeux de souveraineté sanitaire et économique de la France révélés par la crise du Covid-19, 21 juillet 2020.
03/06/2021