Refonder la politique africaine de la France pour penser l’Afrique « autrement » !
14/09/2023 - 5 min. de lecture
Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Cédric Levitre est Conseiller pour l’Industrialisation durable de l’Afrique à l'Institut de Prospective Economique du Monde Méditerranéen (IPEMED).
---
Les relations entre les pays d'Afrique et la France sont marquées par une longue histoire commune. Néanmoins, les relations actuelles, en particulier avec certains pays d'Afrique francophone, sont plombées par des incompréhensions, des tensions, et des ruptures bilatérales. Malgré cela, un examen de la politique africaine française révèle des atouts incontestables. Parmi ces atouts figurent une connaissance approfondie de l'Afrique, une expertise technique de premier ordre, un comportement professionnel des entreprises françaises en termes de responsabilité sociale et fiscale (par rapport à la concurrence) en Afrique, ainsi que la force incontestable des diasporas africaines en France. Cependant, il est également essentiel de reconnaître l’écart entre nos perceptions de l’Afrique et les réalités du continent. De plus, l'absence d'un cadre stratégique global rend difficile la coordination et l'évaluation de nos actions, et la faiblesse du dialogue public-privé ne permet pas de définir une stratégie collective française en Afrique. Alors, comment repenser la politique africaine de la France au nom d’une ambition collective et partagée ?
La politique africaine de la France doit reprendre une place centrale dans sa politique étrangère en plaçant l'économie au centre des relations bilatérales. L'avenir de la France et celui de l’Afrique sont liés. Comme l'a souligné François Mitterrand, « Sans l'Afrique, il n'y aura pas d'histoire de France au XXIe siècle ». Il est temps d’adopter une ambition collective, de repenser notre relation à l'Afrique « autrement », de redéfinir nos objectifs et méthodes, et d’aligner les propositions de nos entreprises sur les besoins des pays africains. Créer une offre globale d'expertise française et de coopération pour soutenir la souveraineté et la transformation économique et sociale de l'Afrique est un impératif. Pour y parvenir, parions sur l'émergence de pôles territoriaux de coopération et de transformation économique, adaptés à la diversité des réalités et des besoins d’une Afrique plurielle, pour être au plus proche des populations locales.
Pensons notre relation à l’Afrique autrement ! Reconsidérons notre perception de l'Afrique pour construire un avenir en commun et redéfinir notre relation en tant que partenariat solide et équitable. Mettons définitivement fin au paternalisme traditionnel et reconnaissons que les Africains ont le besoin d'être écoutés. Dans un contexte mondial en pleine évolution, avec l'émergence de nouvelles puissances économiques telles que la Chine, l'Inde, la Russie et la Turquie, et de dynamiques multilatérales nouvelles en Afrique, les pays africains aspirent aujourd’hui à des relations équilibrées, fondées sur le respect mutuel et prenant en compte leurs intérêts nationaux. La France doit assumer son rôle de partenaire économique compétitif, travaillant en collaboration pour défendre ses avantages concurrentiels.
Repensons nos objectifs ! Dépassons la simple approche commerciale et encourageons la redistribution de l'appareil de production vers le sud, afin de répondre à la tendance lourde de la régionalisation de la mondialisation. La transition écologique et les impératifs environnementaux poussent également à une proximité géographique au plus près des marchés. L'industrialisation est un levier essentiel pour la diversification économique et le changement structurel d’une économie. L'objectif est d'intégrer le continent africain dans les chaînes de valeur régionales et mondiales. Encourageons la coproduction entre les PME françaises et africaines, à l'image de l'Allemagne avec les pays d'Europe Centrale et Orientale, ou de la Chine avec les pays d'Asie du Sud-Est. Avec la mise en place de la zone de libre-échange continentale africaine, (ZLECAF) l'Afrique deviendra un marché gigantesque, regroupant plus d'un milliard de personnes. Les défis du développement en Afrique, notamment le défi démographique, doivent être transformés en opportunités d'emploi via la création d'emplois formels.
Changeons de méthode pour une approche territoriale et une collaboration stratégique entre les piliers économiques et sécuritaire ! Il est essentiel d'adopter une approche intégrant le « top-down » et le « bottom-up » pour aborder les projets concrets, en prenant en compte les besoins des populations locales. La coopération ne doit pas être institutionnellement imposée, mais plutôt permettre une réelle appropriation des projets par les acteurs locaux. Ceci favorisera une meilleure reconnaissance des contextes locaux et encouragera le dialogue public-privé multi-acteurs. Dans un contexte sécuritaire préoccupant, il est crucial de promouvoir une collaboration stratégique entre les piliers économiques et sécuritaires, pour renforcer la résilience économique et contribuer à la stabilité régionale. Il est donc urgent de reconstruire un outil français de coopération décentralisée et d'expertise technique, axé sur ces nouveaux objectifs et méthodes, en mettant davantage l'accent sur les entreprises du secteur privé.
Faisons converger les besoins et les intérêts pour une refondation efficace de la politique africaine de la France ! Il est nécessaire d'engager un dialogue ouvert et sincère avec les dirigeants africains et nos entreprises françaises. Comprendre leurs besoins et préoccupations permettra d'adapter les programmes de développement de manière appropriée. Les pays africains ont un besoin pressant de créer des emplois pour relever le défi démographique. Ils cherchent également à renforcer leur environnement institutionnel et à diversifier leurs économies. De leur côté, les entreprises françaises recherchent des opportunités commerciales dans des secteurs prometteurs tels que les énergies renouvelables, les infrastructures durables, l'agroalimentaire et la technologie de l'information, ainsi que des partenaires locaux. Elles ont également besoin d'un environnement commercial stable et sécurisé. En comprenant ces besoins et en favorisant la convergence des intérêts, la France peut jouer un rôle constructif dans le développement économique inclusif de l'Afrique.
Expérimentons un modèle percutant de « Zones Économiques Spéciales » africaines ! L'Afrique a besoin d'un moteur économique puissant pour son industrialisation et sa diversification. Inspiré par les succès des « Zones Économiques Spéciales » chinoises et des « districts industriels » italiens, un modèle africain de « Zones Économiques Spéciales », caractérisées par l’inclusion, la durabilité, l’équité, et la sécurité, pourrait jouer un rôle clé dans cette transformation. Ces zones offriront un environnement favorable aux affaires, stimulant les investissements, la coproduction, et l'intégration dans les chaînes de valeur régionales et mondiales. Les pays africains doivent développer des infrastructures adaptées pour attirer les investissements et faciliter le commerce. Ces nouvelles « Zones Économiques Spéciales » africaines pourraient devenir de véritables écosystèmes économiques, combinant projets d'entreprise et centres de formation professionnelle, soutenus par des instruments financiers appropriés.
Cultivons enfin un véritable « désir d'Afrique » en France ! Cela implique de reconnaître davantage le potentiel extraordinaire du continent africain en tant que source d'inspiration et d'influence positive pour le monde. La France doit soutenir l'éducation en Afrique, renforcer les programmes d'échanges éducatifs, les partenariats universitaires, et les initiatives visant à développer rapidement l'employabilité des jeunes Africains. La dimension culturelle est une dimension importante et la France devrait intensifier les échanges culturels, les festivals, les collaborations artistiques, et les initiatives de préservation du patrimoine africain. Ces actions renforceront les liens entre la France et l'Afrique, favorisant une meilleure compréhension mutuelle.
Face au sentiment croissant de rejet de la politique africaine de la France, sa refondation est capitale. Le monde francophone représente une part considérable de la population mondiale et du commerce mondial. La France doit créer un authentique « désir d'Afrique » sur son territoire et bâtir un nouveau récit volontariste fondé sur l'action, en faveur de la souveraineté et du développement économique inclusif des pays africains. La France peut jouer un rôle constructif dans la transformation économique et sociale de l'Afrique en développant une offre française pour l’émergence d'un modèle africain de « Zones Économiques Spéciales ». En dialoguant avec les dirigeants africains pour comprendre leurs besoins et difficultés, la France peut jouer un rôle constructif dans l’industrialisation et le développement durable de l'Afrique, notamment dans le cadre de la stratégie du « Global Gateway », partenariat renouvelé entre l'Afrique et l'Europe visant à favoriser une meilleure intégration entre les deux continents.
14/09/2023