Responsabilité sociale et environnementale - Comment ne pas passer pour un Qatari ?

25/11/2022 - 4 min. de lecture

Responsabilité sociale et environnementale - Comment ne pas passer pour un Qatari ? - Cercle K2

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Christophe de Cacqueray est Associé chez Krakn Behavioural, cabinet spécialisé dans l’application des sciences comportementales en entreprise. Il enseigne le Marketing Comportemental à Sciences Po.

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Responsabilité sociale et environnementale - Comment ne pas passer pour un Qatari ?

Elles menacent certaines entreprises du pire sceau de l’infamie : les accusations infondées de greenwashing recèlent un potentiel de nuisance majeur pour les marques. Les neurosciences nous éclairent sur les pièges à éviter dans sa communication RSE.

“La Coupe du monde de football au Qatar sera neutre en carbone”.

Cette promesse, claironnée par le pays hôte depuis 2010, remporte probablement la palme des opérations de greenwashing les plus invraisemblables de la décennie. Imaginer la pétromonarchie consumériste dans le rôle de Pierre Rabhi, on a quand même un peu de mal.

Mais les entreprises françaises sont-elles vraiment plus subtiles que le Qatar quand 75 % des Français regardent leurs politiques RSE avec cynisme ? Pour un tiers de nos compatriotes, les politiques RSE relèveraient même de la simple stratégie marketing. 

Pourtant, on ne peut douter que certaines de ces initiatives sont sincères et portées par des chefs d’entreprise réellement soucieux de leur responsabilité vis-à-vis de la planète et de la société. 

Mais alors comment éviter de passer quand même pour un Qatari ?

C’est la question de l’authenticité perçue qui est posée. Et pour y répondre, les neurosciences et la psychologie cognitive nous apportent des outils essentiels.

 

Votre marque est une personne

Ça n’aura pas échappé aux plus observateurs, nous n’avons qu’un seul cerveau. C’est donc le même organe qui analyse les personnes et les marques. Or, c’est avec la même grille d’analyse que l’on décrypte le discours des marques ou qu’on juge de leur authenticité, comme en témoigne Jennifer Aaker, professeur de sciences comportementales à Stanford.

La première leçon des neurosciences, c’est donc qu’il est fondamental de considérer une marque comme une personne. Si cette personne climatise le désert, voyage en avion et achète des clubs de foot, il est probable que vous ne la croirez pas quand elle publiera soudainement une profession de foi digne de Greta Thunberg. Ça, c’est l’exemple extrême du Qatar.

De la même manière, quand par exemple une banque, dont tout le discours repose historiquement sur les valeurs de confiance et de stabilité, se présente soudain comme l’allégorie de l’écologisme radical, personne n’y croit un instant. Cela ne signifie pas qu’une banque ne sera jamais crédible sur les sujets de RSE. Simplement, il lui faut comprendre la personnalité à laquelle ses clients l’associent implicitement pour adapter son discours RSE à cette personnalité. Les valeurs de confiance et de stabilité se prêtent d’ailleurs bien à une communication environnementale. Inutile, donc, de faire du Sandrine Rousseau pour sonner vrai.

 

Assumer son héritage

On se souvient tous du candidat Sarkozy, en 2007 affirmant devant les caméras : "j’ai changé". Et si on s’en souvient, c’est que, précisément, il n’avait pas tant changé que ça, laissant ainsi un souvenir aigre-doux aux électeurs.

La confiance se fonde au contraire sur la continuité et la raison en est biologique. 

Comme l’explique le Nobel d’économie Daniel Kahneman, notre pensée fonctionne selon deux modes. Un mode automatique, très largement inconscient : le système 1. Et un mode analytique, délibéré et conscient : le système 2. Tout ce qui est familier est traité par le système 1, qui associe familiarité et fiabilité. Mais sortez un tant soit peu de l’habituel et vous réveillerez instantanément le système 2, beaucoup plus suspicieux et difficile à convaincre que le système 1.

On comprend ainsi à quel point le soudain coming-out environnemental d’une entreprise peut éveiller les soupçons. Et si, comme c’est le cas, ce coming-out concerne une multitude d’entreprises, nos cerveaux développent une nette tendance au rejet face à ce qu’ils perçoivent comme une tentative de manipulation. On appelle ça la réactance psychologique.

Les coups de barre nuisent à l’authenticité. Assumer son héritage et son ADN est probablement le meilleur gage d’authenticité que l’on peut apporter à ses clients en termes de RSE. 

 

Rester simple

Si vous avez déjà observé un adolescent entamer une bruyante danse de la joie après une partie victorieuse sur sa console de jeu, vous vous êtes sans doute demandé s’il n’en faisait pas trop.

À regarder certaines publications triomphantes de telle ou telle entreprise ayant planté trois arbres maigrichons dans le cadre d’un projet RSE, on est en droit de se poser la même question : n’en fait-elle pas trop pour être honnête ? S’agit-il d’une fierté sincère ou ne s’y mêle-t-il pas ce que les anglo-saxons désignent sous le terme de virtue signalling (signalement de vertu ou pharisaïsme, en bon français) ? 

Or, si la question se pose, c’est que le système 2 de la pensée est en marche. Et c’est rarement bon signe.

En effet, dans notre cerveau, l’altruisme et l’intérêt individuel sont reflétés dans deux zones distinctes du cerveau, comme l’explique Jean-Claude Dreher, chercheur en neurosciences cognitives au CNRS. Les intentions altruistes donnent ainsi lieu à un “débat” entre ces deux zones. Et c’est ce débat qui détermine nos comportements. Nos circuits neuronaux sont donc particulièrement agiles à détecter ce qui relève de l’intérêt collectif et de l’intérêt individuel. Pour qu’une action soit perçue comme authentiquement altruiste, il convient donc de la proportionner à l’envergure réelle des actions menées. Ou, comme le résumait St François de Sales, se souvenir que le bien ne fait pas de bruit, et le bruit ne fait pas de bien. 

Cohérence, continuité, simplicité : les règles d’une communication RSE qui ne sonne pas comme une énième tentative de greenwashing sont en réalité relativement aisées à exécuter, à la lumière des neurosciences. Mais pour être réellement pérenne, cette communication devra s’appuyer sur des éléments de preuves solides susceptibles de convaincre ses potentiels premiers détracteurs : les collaborateurs de l’entreprise.

Christophe de Cacqueray

25/11/2022

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