Série JO Paris 2024 - Entretien avec Alain Bernard - Natation
21/07/2024 - 12 min. de lecture
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Alain Bernard est un ancien nageur français, spécialiste de la nage libre. Champion olympique en 2008 sur la distance reine, le 100m, il a en outre remporté 4 médailles olympiques, faisant de lui l’un des nageurs français les plus titrés.
Participation aux Jeux Olympiques 2008 et 2012
Médaille(s): 2 x or, 1 x argent, 1 x bronze
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Alain, comment se déroulait votre saison de natation ?
Ma saison de natation débutait en septembre et s’étendait jusqu’au mois de juillet ou août, le temps fort d’une saison étant le championnat d’Europe, du monde ou les Jeux olympiques. La reprise d’entrainement se faisait généralement début septembre et nous travaillions sur plusieurs cadences de travail : du foncier, du sprint et du mixte.
Comment étaient fixés vos objectifs sportifs ?
Les objectifs sportifs étaient fixés en cohérence avec mon niveau de pratique, toujours dans une perspective de progression car j’ai toujours été attaché à une progression chronométrique, cela était mon leitmotiv. Ce que j’ai aimé dans ce sport c’est d’avoir un sentiment d’équité, tous les nageurs sont placés dans les mêmes conditions, nous ne dépendons pas d’un juge ou d’un jury mais seulement d’un chronomètre et, en fonction du temps que nous sommes en capacité de réaliser, nous sommes en mesure de savoir ce qui est accessible, inaccessible et construire sa carrière étape par étape.
Vous fonctionniez donc en termes d’objectifs chronométriques et non de médailles ?
Oui, mes objectifs étaient chronométriques. Cependant, indirectement, c’était également des objectifs de médailles car à un certain niveau les temps laissent espérer une médaille dans les grands championnats.
Chaque année au mois d’avril, lors du championnat de France, nous avions des critères de sélection à réaliser afin de participer au championnat d’Europe ou du monde de l’année ainsi qu’aux Jeux olympiques tous les quatre ans. Lors de ce championnat de France, il fallait réaliser les minima chronométriques ainsi que terminer dans les deux premiers pour participer au championnat du monde et aux Jeux olympiques, et dans les quatre premiers pour participer au championnat d’Europe. Ce sont donc les résultats à ce championnat qui déterminaient toute la suite de la saison.
Comment pourriez-vous définir la performance ?
À mon sens, chaque course est une performance en soi, qu’elle soit bonne ou pas, car cela reste un chronomètre, un temps donné. Cette performance est censée représenter le travail effectué à l’entraînement car le but de l’entraînement est de répéter les efforts et de peaufiner les petits détails qui permettront de gagner en vitesse de déplacement.
Parfois la performance réalisée lors de la compétition est représentative du travail réalisé à l’entraînement. A contrario, il y a parfois un écart entre ce que nous réalisons à l’entraînement et ce qui est réalisé le jour de la compétition, mais à mon sens, il y a toujours quelque chose à tirer d’une performance.
Je ne sais pas si c’est un état d’esprit purement français, mais lorsqu’on réalise une contre-performance on a tendance à tout remettre en cause alors qu’il y a nécessairement eu des aspects positifs dans la préparation.
À l’inverse, le jour où on réalise son meilleur temps on a tendance à associer cela à tout ce que l’on a réalisé au préalable comme positif, alors qu’il y a forcément des points à revoir.
Toute course, c’est-à-dire toute performance doit être analysée, quelle qu’elle soit, pour avoir des repères sur lesquels s’appuyer et travailler à l’entraînement.
Quelle est, selon vous, la plus belle performance sportive de votre carrière ?
Je dirais que ma plus belle performance est liée à mon titre de champion olympique sur le 100 mètres nage libre en 2008 à Pékin car d’un point de vue grand public les Jeux olympiques marquent énormément.
Cependant, en termes de pure performance, un record du monde reste exceptionnel et tous les records que j’ai battus restent pour moi une immense fierté car battre des records c’est être le plus rapide à l’instant « t ». En revanche, on peut gagner une grande finale internationale sans battre de record ou sans même réaliser son meilleur temps.
Quelle serait, selon vous, la plus grande contre-performance de votre carrière ?
Une des plus grandes déceptions de ma carrière est de ne pas avoir obtenu ma qualification aux Jeux olympiques d’Athènes en 2004. Quelques mois auparavant la compétition, le médecin m’a diagnostiqué une toxoplasmose et une mononucléose, malgré ce diagnostic, j’ai cru à la qualification mais j’ai échoué pour dix-sept centièmes de secondes.
Avec le recul, je pense que je dois, peut-être en partie, mon titre olympique de 2008 à cette déception de 2004. Cette déception a fait naître en moi une forte persévérance et je me suis dit, dès mon échec, qu’ayant toujours rêvé de participer aux Jeux olympiques je me qualifierai pour ceux de Pékin en 2008. Entre 2004 et 2008, j’ai donc abattu un immense travail qui, au fil des ans, m’a permis de prendre conscience que je pouvais rêver de beaucoup mieux qu’une simple participation.
Est-ce que le titre olympique a toujours été un objectif pour vous ou cet objectif est-il né au fil du temps ?
Le titre olympique est un objectif qui est venu tard. Au regard de ma carrière, il était inespéré pour moi, quelques années auparavant, de remporter un tel titre.
En 2004, mon seul objectif était de participer aux Jeux. À cette époque, je nageais le 100 mètres en 50 secondes, j’étais donc loin de pouvoir prétendre à un titre olympique. C’est vraiment ma progression constante entre 2004 et 2007 qui m’a conduit à ce titre.
Au début de l’année 2007, je réalise le deuxième meilleur chronomètre de l’histoire sur 50 et 100 mètres nage libre. Cependant, en juin 2007 au championnat de France de SaintRaphaël, je ne fais pas de bonnes courses ce qui fait que je ne rentre pas en finale sur ces deux distances.
Ces résultats ont été un échec déterminant m’ayant permis, un an avant les Jeux olympiques de 2008, de passer un cap me permettant de commencer à construire mon titre olympique.
Comment vous prépariez-vous avant une course, et aviez-vous un rituel avant les grands rendez-vous ?
Je n’avais pas de rituel particulier mais j’avais besoin de m‘approprier l’environnement, de bien ressentir l’atmosphère, l’espace et l’ambiance du lieu.
Sur les premiers entrainements précédant la compétition, environ trois à quatre jours avant la compétition, je prenais un maximum de repères, je nageais dans toutes les lignes d’eau, je prenais des repères entre tous les espaces, c’est-à-dire entre les salles de kiné, le bassin, la chambre d’appel etc.
Comment avez-vous géré le stress durant votre carrière ?
J’ai ressenti le stress de trois manières différentes durant ma carrière. Quand j’étais jeune, j’étais très stressé en compétition, et entre mes performances à l’entrainement et celles en compétition il y avait un vrai décalage car je n’arrivais pas à reproduire mes performances d’entraînement en compétition.
C’est à partir de 2006 que j’ai eu un déclic et que j’ai réussi à passer audelà de cette pression. J’en ai d’ailleurs échangé avec Laure Manaudou à l’époque.
En 2006, je l’ai vu tout gagner au championnat d’Europe et je lui ai demandé comment elle faisait pour ne pas stresser. Elle m’a répondu que lorsqu’elle arrivait derrière le plot de départ et qu’elle entendait la musique de présentation elle avait envie de danser, qu’elle appréciait le moment et qu’elle prenait les courses les unes après les autres sans se mettre de pression, et ce quel que soit l’enjeu. Finalement, pour elle, chaque course était un jeu.
Le fait de côtoyer des championnes et champions comme Laure m’a beaucoup aidé. Je me suis dit que si eux arrivaient à gérer une telle pression, je devais également en être capable.
De plus, à cette période, grâce au travail et à la rigueur que je mettais à l’entraînement, je réalisais d’excellents chronomètres, ce qui me permettait d’augmenter mon capital confiance, donc entre 2007 et 2010 j’étais beaucoup moins stressé.
La compétition lors de laquelle j’étais le plus stressé était le championnat de France car j’avais conscience que si je ratais cette compétition, je ne me qualifiais pas sur le championnat majeur de l’année.
Puis il y a eu la troisième phase entre 2009 et 2012 qui correspond à ma fin de carrière qui fut une période complexe à appréhender. Il y a eu le retrait des combinaisons ainsi que de nombreux éléments extra sportifs à gérer. J’avais de nombreuses sollicitations des partenaires qu’il faut apprendre à gérer, puis en étant champion olympique j’étais attendu au tournant sur la moindre course.
Avant mon titre olympique, lorsque j’étais moins performant sur une course, ce résultat passait inaperçu. Après mon titre olympique, il a fallu que je me justifie de toute course moyenne, expliquant notamment que cette performance était normale, que j’étais dans une période de travail intense à l’entraînement et que ce travail porterait ses fruits plus tard lors de mon pic de forme. Toutes ces explications et justifications prennent de l’énergie et peuvent être déstabilisantes.
Pour résumer, je dirais que la gestion de stress a été complexe au début et à la fin de ma carrière.
Avez-vous fait appel à un professionnel pour vous accompagner dans cette gestion du stress ?
Oui, j’ai fait appel à un préparateur mental dans les dernières années de ma carrière.
Jusqu’en 2009, avec Denis Auguin, mon entraîneur de 1998 à 2012, nous n’avons jamais ressenti le besoin de faire appel à une personne extérieure car notre relation, construite sur la communication, le travail et la confiance a toujours été très fluide.
En revanche, après mon titre olympique, lorsqu’il a fallu gérer les sollicitations médiatiques et celles des partenaires, il y a eu des incompréhensions entre nous et nous avons fait appel à une personne extérieure pendant trois ans. Nous avons travaillé avec Richard Ouvrard, Préparateur mental qui travaillait à l’INSEP. Richard nous a aidés à fluidifier notre communication car avec Denis nous avions l’impression de nous comprendre mais, dans les faits, nous ne nous comprenions plus.
Pour ma part, j’avais travaillé dix ans pour être champion olympique et je commençais à gagner ma vie. De son côté, en tant qu’entraîneur, il n’avait qu’une obsession, celle que je progresse encore plus vite, que je sois toujours aussi rigoureux et que rien ne change malgré le titre olympique. En réalité, certains aspects avaient changé. Il fallait accepter que se rajoutent au programme sportif les sollicitations des partenaires et médiatiques.
Ces sollicitations faisaient partie de mon quotidien de champion olympique et je savais que s’il n’y avait pas de sollicitations médiatiques il n’y avait pas de partenaires. C’est à ce moment que nous avons ressenti le besoin de faire appel à une personne extérieure pour nous aider à avancer dans cette quête de la performance.
Il est intéressant de constater que vous avez fait appel à un préparateur mental non pas pour vous conduire à la victoire mais pour gérer votre succès.
Exactement. Pour vous donner un exemple concret, une journée type c’était un entrainement de deux heures le matin, dans l’eau, puis une heure à une heure trente de musculation, et un deuxième entraînement, dans l’eau, en fin d’après-midi avec une séance de kinésithérapie à l’issue de cette journée.
Après mon titre olympique, il m’est arrivé d’avoir des journées lors desquelles je sortais du premier entrainement à 10h30, j’enchaînais sur un shooting photo de 10h30 à 15h30 et à 16h30 je me retrouvais dans l’eau pour le second l’entrainement et j’étais fatigué, je ne produisais pas les performances attendues et mon entraîneur me reprochait mon mauvais entraînement alors que pour ma part je faisais ce que je pouvais, en fonction de ma fatigue. C’est ce type de situation qui s’est produite et qu’il a fallu gérer.
J’en souffrais car je voulais être présent pour mes partenaires qui m’accompagnaient mais il était également du rôle de mon entraîneur de veiller à ce que je sois pleinement disponible à l’entrainement, que ce soit mentalement et physiquement.
Comment avez-vous réussi à trouver un compromis entre la vision de votre entraîneur et vos obligations ?
Le compromis nous l’avons trouvé grâce à la communication, et faire appel à un préparateur mental nous a aidés. Mon entraîneur a compris qu’il devait accepter que je sois absent une demi-journée toutes les trois semaines mais au moins les règles étaient établies et claires.
Nous avons également instauré un filtre via mon agent et mon avocat qui géraient les sollicitations. L’objectif était de prioriser car je ne voulais pas répondre à des sollicitations qui ne me ressemblait pas, comme celles de la presse people.
Je voulais seulement participer à des interviews de fond, parlant de performance mais également de ma personne, qui je suis, ce que j’aime etc.
On avait un tableau qu’on appelait « the tableau » et mon agent envoyait toutes les semaines des choses à faire pour les semaines à venir, par ordre de priorité, et c’est de cette manière que nous avons fluidifié notre collaboration.
Comment reste-t-on motivé après un titre olympique ?
C’est la marge de progression chronométrique qui me poussait à retourner à l’entraînement car même en étant champion olympique en 47 secondes et 21 centièmes je savais que je pouvais faire mieux et j’avais pour objectif de passer sous la barre de 47 secondes. Je voulais donc tout mettre en œuvre pour battre ce record et être le premier nageur à réaliser ce record.
C’est ce que j’ai réussi à faire quelques mois après mon titre olympique, même si ce record a été décrié en raison du développement technologique des combinaisons. Cela a été décevant de constater la manière dont ce record a été perçu par certains journalistes et détracteurs car j’avais la sensation qu’ils considéraient que c’était la combinaison qui avait fait moins de 47 secondes et pas moi, alors que c’était ma progression logique de gagner trois centièmes en un an. C’est une progression importante mais cohérente quand on étudie ma progression durant ma carrière.
Comment prépariez-vous un relais dans un sport individuel comme la natation ?
C’est particulier le relais car on s’entraîne en groupe à l’année mais ce n’est pas ce groupe qui constitue le relais de l’équipe de France. À l’année, nous sommes adversaires et il y a une grande adversité entre les clubs. C’est cette adversité et cette émulation qui ont fait que nous avons été très performants sur le plan international.
Je dirais que nous sommes adversaires jusqu’au moment où nous rallions l‘arrivée du cent mètres nage libre au championnat de France qui est sélectif pour le relais.
Je ne vous cache pas qu’il y a eu des situations délicates à gérer car nous avions tous de forts caractères, mais avec le recul je trouve que nous avons su gérer avec intelligence ces situations et nous avions tous la volonté de démontrer que nous étions les meilleurs collectivement. De plus, à titre individuel, vouloir se démarquer des autres contribuait nécessairement à la performance collective. Si chaque nageur réalise un excellent temps, la somme de ces performances permettra de réaliser un excellent chronomètre en relais.
Lors des Jeux olympiques de 2012 à Londres, vous êtes champion olympique avec le relais français mais vous n’avez pas participé à la finale. Est-ce que ce titre olympique a la même saveur que votre médaille d’argent en relais aux Jeux olympiques de Pékin ?
Toutes les médailles ont une saveur différente. En 2008, j’étais titulaire et ai nagé la finale et, en 2012, j’étais remplaçant et ne l’ai pas nagée, car je n’avais pas rempli les critères pour être titulaire. Les règles étaient claires et je les ai acceptées.
Cependant, le titre en 2012 est symbolique pour moi car je suis rentré en équipe de France la première fois de ma carrière pour participer au relais et ma dernière course en équipe de France s’est faite dans un relais, le symbole c’était la transmission. En 2012, il y avait de jeunes athlètes qui nageaient très vite je me suis senti fier d’avoir contribué à tirer la natation française au sommet pendant plusieurs années, il était donc normal que ces jeunes athlètes prennent le relais car j’ai eu la chance de vivre tellement d’émotions que je leur souhaitais de les vivre à leur tour.
Vous avez été présent en équipe de France dans une période pendant laquelle la concurrence était très forte. Est-ce que c’est cette concurrence qui a permis les excellents résultats de la natation française ?
Oui, je pense car la concurrence permet l’émulation. Cette concurrence nous a poussés vers le haut. Elle rendait les championnats de France très stressants, peut-être même plus que les compétitions internationales. Paradoxalement j’ai remporté plus de titres internationaux qu’aux championnats de France. Parfois je me qualifiais en seconde position aux championnats de France, mais me classais devant mon compatriote lors de l’échéance majeure de l’année.
Vous organisez, depuis le terme de votre carrière, des conférences avec pour objectif de transmettre les clés de votre succès. Quelles sont ces clés ?
Le succès s’obtient grâce à la combinaison de multiples paramètres qui peuvent varier selon les projets et le secteur d’activité. Cependant, certaines clés du succès sont communes à tous les projets.
Je dirais que les clés du succès sont le travail avant tout, la persévérance ainsi que la résilience car la construction d’un succès, quel qu’il soit, est chronophage. On passe énormément de temps à construire un projet, à essayer de se projeter à court, moyen et long terme, à prévoir des points d’étapes, pour finalement devoir toujours s’adapter aux imprévus, aux limites. Ces différents facteurs se retrouvent également dans le milieu de l’entreprise.
21/07/2024