Tenir la barre face au COVID-19 ; une boussole pour les décideurs
03/04/2020 - 4 min. de lecture
Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Gauthier Delaforge est Officier supérieur travaillant au Ministère des Armées et ancien auditeur de l'Ecole de guerre
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L’épidémie de COVID-19 fait connaitre à nos sociétés une situation extraordinaire. Le caractère inédit de cette épidémie (du moins pour nos générations et en Europe), son aspect global ainsi que sa durée en font un enjeu majeur pour la continuité de l’activité de nos organisations.
Nous sommes aujourd’hui tous concernés par cette épidémie ; soignants, chefs d’entreprises, services de l’Etat, citoyens, et plus proches de nous, praticiens et chercheurs dans la gestion de crise.
La situation actuelle est bien celle d’une situation chaotique, c’est à dire d’un désordre général générateur d’une perte de repères et de turbulences au sein de toutes la société.
Son ampleur sur le plan sanitaire nous fait réaliser un parallèle avec ce que nous avons vécu lors des attentats de 2015. Sauf qu’actuellement, l’afflux dans les structures hospitalières n’est pas circonscrit à une région et à une seule nuit, mais à près de la moitié du territoire national et pour une durée de plusieurs semaines. Là se situe la différence entre la notion d’afflux saturant, limité dans le temps, et celle d’afflux massif documenté lors des catastrophes naturelles telles que les tremblements de terre ou les tsunamis.
Le chaos a deux conséquences : la saturation et la perte d’initiative
D’une manière générale, nous pouvons retenir que ce chaos a deux conséquences structurantes. Celles-ci sont d’importance car elles expliquent les frictions connues au sein des organisations en ces périodes de crise.
Il s’agit tout d’abord de la saturation. Ce « trop plein » d’informations, de possibilités ou d’impossibilités dans des délais contraints constitue l’illustration de la complexité de la situation. Les expressions de cette saturation sont nombreuses, allant de la surcharge cognitive du décideur, à la difficulté à synthétiser une situation en passant par l’impossibilité de maintenir des liaisons performantes avec tous les acteurs de la crise.
La seconde conséquence est la perte d’initiative, c’est à dire de l’incapacité à produire un effet sur les évènements pour leur appliquer une volonté. La reprise de l’initiative, chère aux tacticiens militaires, doit demeurer une volonté permanente du décideur. Elle passe par une fine connaissance des caractères structurants de la crise et une anticipation de l’avenir, en fonction d’hypothèses validées en fonction des connaissances du moment.
Dans ce contexte, quelle boussole pour guider l’action ?
A l’identique des situations de plus petite envergure déjà vécues par un certain nombre d’entre nous, et tout en nous appuyant sur les nombreux retours d’expérience générés par des crises de grandes ampleurs [1], des axes structurants aident à guider l’action du décideur.
« De quoi s’agit-il » ?
Avoir une idée précise de la crise, de sa dynamique et de ses conséquences potentielles est incontournable. Chaque organisation effectue cette appréciation en croisant les informations vérifiées et les caractéristiques de son activité propre. Cela peut paraître un truisme de l’écrire, toutefois dans la phase initiale d’une crise, l’exercice est loin d’être évident. Dans le cadre du COVID-19, le caractère englobant et sa longue durée sont des caractéristiques structurantes. L’analyse du phénomène épidémiologique permet par exemple d’intégrer les facteurs d’attrition pour l’organisation (maladies, décès, garde d’enfants…) mais également les rebonds potentiels de l’épidémie.
Maintenir une veille du phénomène et de son propre fonctionnement
Suivre l’évolution de la crise et de la capacité de l’organisation à poursuivre son activité, tout en informant les collaborateurs, est nécessaire pour conserver une capacité de décision. Les travaux doivent être synthétiques, sans être simplificateurs pour autant. De plus, les indicateurs du maintien de l’activité couvrent l’ensemble du périmètre de l’organisation. Il faut également éviter l’écueil d’indicateurs trop nombreux noyant le décideur. Des collaborateurs sont nommément désignés pour tenir cette fonction de « veille-synthèse ».
Se projeter dans le futur, anticiper
Afin de préserver la liberté d’action du décideur, il convient d’anticiper l’évolution possible de la crise (durée, intensité, attrition de ses collaborateurs, effets induits…), et de réévaluer régulièrement cette évolution. Plusieurs hypothèses retenues permettent de définir des trajectoires plausibles pour l’organisation et son activité. Dans le contexte de l’épidémie de COVID-19, les impacts économiques figurent au premier plan de travaux d’anticipation de nombreuses entreprises. Enfin, cette anticipation permet également d’avoir à l’esprit les cas non-conformes auxquels l’organisation pourrait être confrontée.
Préserver sa capacité de décision
Entre veille et anticipation, la capacité à décider est préservée par l’emploi de processus décisionnels solides et éprouvés. Basés sur les analyses et la veille, en prenant en compte les travaux d’anticipation, la décision et le contrôle de l’action constituent le coeur du fonctionnement de l’organisation. Ici est la place du décideur. Les méthodes d’élaboration d’une décision opérationnelle des armées et la boucle OODA [2] constituent des processus normés d’une grande solidité, et adaptables à de nombreuses organisations.
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[1] Tsunami de 2004 dans l’Océan indien ou Fukushima 2011 par exemple.
[2] « Observe, Orient, Decide and Act »
03/04/2020