Un 28ème régime pour une souveraineté économique et juridique européenne ?

23/02/2024 - 3 min. de lecture

Un 28ème régime pour une souveraineté économique et juridique européenne ? - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

Stéphane Mortier travaille au Centre de Sécurité Économique et Protection des Entreprises, à la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale. 

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Le Conseil européen du 30 juin 2023 avait demandé aux présidences espagnole et belge de l'Union et à la Commission européenne de lui fournir un Rapport indépendant et de haut niveau sur le futur du marché unique en mars 2024[1] (présentation prévue en avril 2024 à l’occasion d’un sommet extraordinaire). Enrico Letta, ancien Président du Conseil italien, Président de l’Institut Jacques Delors, a donc été mandaté à cet effet.

L'échéance approche et le futur rapport d'Enrico Letta, dont les principales orientations ont été dévoilées dans une interview au Financial Times le 8 février 2024[2] fera date, à n'en pas douter, en matière de souveraineté économique et juridique européenne. 

En effet, il serait à la fois désuet et aberrant de croire que l'échelon national (et donc souverain au sens strict et premier - voir primitif) préfigure la législation de demain. Comme le précise Louis D'Avout dans une tribune des Échos du 10 février 2024[3], c'est à Bruxelles, New-York (Nations-Unies), La Haye et Rome autant qu'à Paris que se négocient les instruments modernes du droit des affaires. 

À la naissance du marché unique européen, trop de "possibilités d'exception" ont été laissées aux États membres. C'est cela (les intérêts nationaux) qui a fragmenté des secteurs hautement stratégiques tels que la défense, l'énergie et les télécoms, indique Enrico Letta. Dans le domaine de l'énergie et de la défense, cette logique qui justifiait  le maintien d'un contrôle national appelle aujourd'hui à faire plus en commun au regard des évolutions géopolitiques. Il est de plus en plus nécessaire d'opter pour une vision commune afin de permettre aux industries nationales de se développer dans un cadre dépassant l'intérêt national et conforme à la réalité mondiale. Letta l'illustre avec l'exemple du secteur des télécoms :  le nombre moyen de clients des opérateurs chinois est de 420 millions, celui d'un opérateur américain 110 millions. Et les opérateurs Européens ? Cinq millions... 

Le rapport Letta va donc recommander un "28ème régime" (au-delà des 27 régimes nationaux actuels) établissant une législation commune des entreprises, là où c’est possible (la Société Européenne Simplifiée, par exemple, sera une brique essentielle de ce régime). Bien qu'a priori optionnelles, les règles de ce "28ème régime" balaieront les dispositions nationales...et seront de la sorte un pas de plus vers une véritable souveraineté économique européenne. 

Plus spécifiquement, si elle était rendue simple, prévisible et attrayante, une telle législation pourrait constituer une alternative supérieure à l'harmonisation des règles des 27 qui pourraient subsister sans constituer un obstacle à l'expansion des acteurs économiques européens. 

Ainsi, le projet de Code européen des affaires[4], n'apparaît donc pas comme une couche de réglementation ou d'obligations supplémentaires pour les entreprises mais au contraire comme une opportunité et un espace de liberté pour elles. Cela dans un espace où les intérêts stratégiques relèvent d'une souveraineté économique et juridique partagée, commune et...stratégique dans un monde où s'exprime l'hyper-compétitivité et les enjeux de puissance entre les différents acteurs, qu'ils soient publics ou privés. 

C'est quelques éléments préfigurant le futur Rapport d'Enrico Letta est riche d’enseignements pour le projet de Zone de libre-échange continentale en Afrique (ZLECAf) notamment et une éventuelle (voire recommandée) articulation avec l'OHADA (Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires – modèle d'intégration juridique en droit des affaires le plus aboutit au monde à l'heure actuelle). En effet, sans législation commune des affaires, du commerce et des entreprises, un marché unique n’est pas pleinement fonctionnel. Ce droit commun porteur de souveraineté juridique, de protection, d'État de droit économique et de sécurité est connu mondialement et de nombreux États non-membres étudient aujourd'hui avec attention l'intérêt d'un rapprochement avec l'OHADA, voire d'une adhésion à l'Organisation (Burundi, Madagascar, Mozambique,...). Cette adhésion leur permettrait en particulier de bénéficier d'une expertise commune dans l'élaboration de leur législation commerciale les protégeant de recommandations d'experts extérieurs au continent, financées par les bailleurs de fonds et parfois inadaptées et inopérantes, comme cela a malheureusement été le cas dans certains pays non-membres de l'OHADA[5].

Également, en matière d’intégration, le marché unique américain repose sur l’Uniform Commercial Code, ce n'est pas anodin dans un État pourtant fédéral... De même, les marchés (uniques de fait) indiens et chinois reposent sur une seule législation.

Le marché européen, dispose bien d'un droit des consommateurs, certes, mais n'est pour l'heure qu'aux prémices d'un droit des commerçants, ce dernier reposant ceteris paribus sur 27 législations nationales et bientôt d'un « 28eme régime stratégique et souverain » à l'échelle commune. Telles seront les conclusions du Rapport Letta sur le futur du marché unique européen. 

Stéphane Mortier

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[1] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/%20en/ip_23_4495

[2] https://www.ft.com/content/13d6ca67-eebb-4ea7-939b-1d03fec68b81

[3] https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-intelligence-juridique-la-france-en-retard-2075254

[4] https://www.codeeuropeendesaffaires.eu/

[5] https://www.ohada.com/actualite/7161/marche-unique-europeen-unification-du-droit-des-affaires-ohada-et-zlecaf.html

23/02/2024

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