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Philippe Bilger est Magistrat honoraire et Président de l'Institut de la Parole.
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Pour paraphraser Karl Marx, faute d'avoir eu le génie, au moins le talent d'inventer un monde, je n'ai que la ressource de le commenter. Avec ses lumières et ses ombres. Ses grandeurs et ses ridicules. Ses personnages emblématiques et ses histrions surestimés.
Heureusement, il y a des livres qui permettent des contrastes, des rapprochements, des complicités ou des antagonismes. Le dernier livre de Renaud Revel, "Les visiteurs du soir", est de ceux-là.
J'évoque dans mon titre une opposition entre Bernard-Henri Lévy et Michel Onfray. Elle existe. Onfray ne s'est jamais privé d'attaquer BHL mais c'est à lecture de l'ouvrage de Renaud Revel, qui présente un certain nombre de portraits des "visiteurs du soir" dont BHL, que m'est apparue l'éclatante divergence entre les deux hommes.
J'ai mieux compris alors pourquoi, malgré les incontestables qualités de BHL, ses dons pour l'écriture et l'oralité, je préférais MO.
Le premier est un intellectuel de Cour qui se love dans tous les pouvoirs présidentiels - François Mitterrand, Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac et François Hollande - parce qu'il a eu besoin d'eux pour des affaires personnelles ou familiales ou, moins égoïstement, pour soutenir les causes qu'il embrasse de manière répétitive et qui ont fait sa réputation de guerrier en chambre.
Philosophe si on veut, à condition d'admettre qu'il puisse cultiver sans cesse des liens avec le pouvoir suprême quelle que soit sa couleur politique, l'essentiel étant que ce pouvoir serve d'abord celui dont la jouissance est dans la proximité des puissants.
Il faut reconnaître qu'Emmanuel Macron, créateur d'une autarcie rigoureuse dans sa pratique de président, a échappé plus que d'autres à ce vice des "visiteurs du soir", qui superpose à l'action officielle le flou de conciliabules personnels et sélectifs.
On éprouve une véritable nausée démocratique face à ce prurit de l'entre-soi, des connivences dissimulées, des apartés discrets, à cette promiscuité qui fait se mêler, dans les coulisses, le pouvoir réel et les affinités électives, à cette révélation d'un monde clos se repaissant de ses confidences réciproques et de sa supériorité sur l'univers des citoyens ordinaires.
Deux exceptions à cet étrange processus national : Alain Minc a "fait" paraît-il tous les présidents mais il assure n'avoir jamais rien eu à solliciter. Et le président Georges Pompidou qui ne recevait à l'Elysée que des amis proches avec lesquels il s'entretenait de tout sauf de politique.
Contre BHL obstinément côté Cour, si confortablement installé dans la niche des pouvoirs successifs, Michel Onfray est exactement l'inverse. Lui se trouve côté peuple. Fidèlement, sans jamais trahir cette alliance fondamentale entre les modestes et lui.
Ses origines ne sont pas pour rien dans cette dépendance qui a construit son existence, tandis que le privilégié qu'a toujours été BHL - de son fait et grâce à d'autres - s'est en quelque sorte naturellement tourné vers les lumières du pouvoir, vers ce lieu dont l'une des définitions possibles est de dominer avec bonne conscience.
Pour MO, le peuple est ce qu'on cherche à soumettre, ce qui doit sans cesse résister, ce qui, avant de gagner sa vie, doit se battre pour ne pas la perdre.
Mon histoire personnelle m'a instinctivement conduit vers cette empathie qui, sur le plan social, me rend respectables les simples, les modestes, la France du bas et me détourne du pouvoir qui rutile, s'esclaffe, se moque, néglige, relègue ou oublie. Qui, trop souvent, prend sa dérision pour de l'intelligence.
Je ne méconnais pas ce qu'avec un talent identique pour l'oral et l'écrit, la condition de MO a pu lui inspirer de révolte brute, de détestation cinglante, de manichéisme trop évident et de haine pour les importants de l'appareil officiel. Mais il n'empêche qu'on manque de personnalités comme celle de MO tandis que, si BHL est unique, ils ne sont pas rares ceux qui s'abreuvent trop volontiers aux sources du pouvoir.
Le pouvoir fascine trop pour qu'on ne rende pas hommage aux intellectuels qui y sont rétifs. Pour BHL, il a toujours été une opportunité quand pour MO, il est comédie.
La vraie vie est ailleurs.
Pour rester honnête dans cette comparaison, certes BHL colle au pouvoir, comme une moule à son rocher, et lui-même en a un considérable pour favoriser ses affidés ou entraver ses adversaires.
Mais MO, aujourd'hui, ne dispose-t-il pas aussi d'un pouvoir, d'un réseau, d'admirateurs, de soutiens, d'une adhésion politique ? Ils ne constituent pas un écran entre le réel et lui.
Et ce n'est pas le même pouvoir que celui qu'on a créé ou celui dont on profite, dont on se sert.
BHL m'intéresse, MO nous impose un choix.
Je me tiens côté peuple. Côté Cour, je n'y tiens pas.
16/03/2021