L'humain augmenté entre science-fiction et réalité industrielle

22/05/2022 - 6 min. de lecture

L'humain augmenté entre science-fiction et réalité industrielle - Cercle K2

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Michel Cardoso est Solution architect and start-up leader CYBERNDT pour le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

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Que l’on ait, comme moi, adoré "le Cycle des Robots" d’Isaac Asimov ou l’un des nombreux écrivains de science-fiction qui l’ont suivi sur le terrain de l’intelligence artificielle ou que l’on s’interroge, comme Henry David Thoreau au 19ème siècle, sur le fait de savoir si "les hommes sont devenus les outils de leurs outils", la marche forcée des sociétés industrielles actuelles pour intégrer toujours davantage d’intelligence artificielle, de robotique, et les nécessités légales et opérationnelles de traçabilité qui accompagnent cette intégration croissante doivent nous conduire à nous interroger sur notre place et notre avenir au sein de l’entreprise. 

Je travaille actuellement sur un projet industriel qui se fonde sur ces nouvelles technologies. Fervent défenseur de sociétés industrielles fondées sur l’humain et autour de l’humain, je souhaite, avec humilité, apporter par cette tribune mon propre retour d’expérience. 

J’évolue professionnellement, depuis plus de 20 ans, dans le domaine du CND. Dans cet acronyme réside l'un des supports les plus essentiels de nos industries en France ou à l'étranger : le Contrôle Non Destructif. 

Pour mémoire, nos industries sont devenues ce qu'elles sont aujourd'hui en commençant la construction de leurs infrastructures dans les années 70, peu ou prou autour du premier choc pétrolier. La plupart de ces infrastructures, notamment nos centrales, ont été construites avec une durée de vie alors estimée à 20 ou 30 ans en fonction des progrès réalisés entre temps. 

Un rapide calcul nous permet de comprendre que, si la durée de vie d'une installation industrielle est dépassée, deux options s'offrent alors aux directions responsables, publiques, privées ou mixtes : 

  • les "mettre à la retraite" à des coûts financiers et environnementaux gigantesques, 
  • les maintenir en fonction, mais en effectuant réparation après réparation, colmatant ici et là, sans pour autant s'assurer d'une pérennité et d'un coût environnemental plus bas sur le moyen ou long terme.

Le CND s’offre comme une alternative à cette seconde option, en offrant les mêmes avantages, à des coûts supérieurs au départ mais pour un rendement opérationnel, plus rapide et beaucoup plus efficace sur le moyen et long terme. 

Les dirigeants, conscients de ce dilemme, ont donc commencé à investir dans le CND, Contrôle Non Destructif, qui permet de détecter les défauts à l'intérieur de la matière sans pour autant l'altérer. 

Pour réaliser ces contrôles, ils existent, aujourd’hui dans le monde, des centaines de milliers d’opérateurs experts dotés d’expériences diverses et ayant suivi des formations complexes. Seul leur nombre d’années d’expérience représente une garantie de qualité. 

Les entreprises fonctionnent aujourd'hui selon un schéma déterminé par la capacité d'attirer les investisseurs par leurs produits ou services. Il s’agit cependant d’un mode de fonctionnement court-termiste. Dans ce schéma, l'expert est un support du commercial : un cost center. 

La fonction support a certes un coût mais peu en voient le bénéfice car il n'a pas vocation à être visible. Mais, de même que le défaut non détecté par crainte d'altérer la matière peut conduire à l'accident industriel, l'absence d'experts dans ces domaines par manque de visibilité de leurs fonctions constitue un risque dont les entreprises industrielles ne sont pas toujours conscientes avant l'arrivée dudit accident. 

Ces opérateurs sont peu nombreux, leur formation est longue et coûteuse et leur expertise requiert de longues années d’expérience : un investissement dans l'humain centre de coûts et non centre de bénéfices. 

La course à l’automatisation et la robotisation des chaînes de production a pu alors être perçue comme une solution à ce coût de l'expert. 

Nous ne sommes pour autant pas encore dans un roman d’anticipation et, afin de développer ces robots et de nourrir cette intelligence artificielle, nous avons besoin d'humains de plus en plus qualifiés, des humains disposant d'un niveau d'expertise non seulement dans ces domaines industriels opérationnels, la physique des matériaux, mais également de la capacité d'apporter ces connaissances, cette expertise aux machines. 

C’est en effet sur ce point que la réalité dévie de la ligne développée par la majorité des auteurs d’anticipation : au lieu d’investir dans l’intelligence artificielle et les robots jusqu’à ce qu’ils soient prêts à accomplir des tâches à notre place, nous devons les développer pour nous assister dans la réalisation de ces tâches en nous complétant lorsque nous atteignons nos limites, tandis que nous nourrissons leur expérience artificielle. 

Loin de l'idée du cyborg que peuvent véhiculer la pop culture ou la science-fiction, nous disposons aujourd’hui d’opérateurs, experts dans leurs domaines – qu'il soit celui de la santé, de la construction, ou de la vente – capables de réaliser des tâches complexes. Aidés des machines, des programmes, des calculs appropriés, leurs compétences seraient décuplées et l’intelligence artificielle nourrie encore plus rapidement. 

Nous voici donc à l’opposé de l’image de l'humain augmenté véhiculé par les héros animés de notre enfance : loin de la mutation interne, l’augmentation ne viendra pas de la génétique, mais de l’ingénierie. Pourquoi ? 

La première raison est que, pour utiliser et réparer des chaînes robotisées, il faut de nouveaux "experts", ayant suivi des formations plus complexes (robotique, algorithme, électronique, etc.) et donc un nouvel investissement dans l'humain qui, nous l'avons vu, ne se fera pas en un jour, créant ainsi un nouveau centre de coûts. La dépendance de l'entreprise à l'expert est donc augmentée par cette solution. 

Seconde raison : la robotisation, bien que dotée de nombreux avantages en matière de productivité a pour contrepartie une forte rigidité. Dès lors que l'on souhaitera modifier un mode de production ou l'adapter, il y aura besoin de nouveaux investissements financiers et humains, y compris des experts, sans compter l’augmentation des constantes des contraintes environnementales. N'oublions jamais, comme déjà Isaac Asimov le démontrait dans "le Cycle des Robots" mais également dans l’ouvrage "Les Cavernes d'Acier", que l’être humain a pour l'instant ceci de plus que la machine : il a appris à s'adapter. Les dernières années ont d'ailleurs prouvé cette supériorité de la résilience de l'humain sur la machine. 

Dernière raison et non des moindres : produire les algorithmes ou les Intelligences Artificielles (IA) est une technique qui n’en est encore qu’à ses balbutiements, en dépit de ce que pourraient nous faire croire certaines productions hollywoodiennes. 

Certes, les vidéos de ces robots chiens qui répliquent les mouvements canins à la perfection font merveille sur internet, mais combien montrent un robot capable sans faillir une fois de porter un oeuf sans le casser, non seulement parce qu'il a été programmé pour (par des experts) mais parce qu'il "comprend" que cet oeuf est susceptible de contenir un être vivant qui ne verra jamais le jour si l'oeuf tombe ? 

Pour toutes ces raisons, la solution la plus appropriée à tout type de problématiques industrielles réside dans l'humain assisté et accompagné, "augmenté" par la machine, et non par la machine remplaçant l’être humain. 

Les exosquelettes ne remplacent pas le bras de l’opérateur mais lui donne plus de force ou de précision. L’Intelligence Artificielle n’essaie plus d’être aussi vive que celle de l’homme, mais lui apporte des informations en temps réel qui réduisent sa charge cognitive et la pression mentale. On parle d’ailleurs davantage dans l’industrie de réalité augmentée qui apporte directement l’information à l’opérateur que de réalité virtuelle qui le rend esclave de moniteurs et interfaces graphiques compliquées. 

D'un point de vue capital et environnemental, le risque s'éloigne et l’homme revient au centre de la production sans pour autant limiter les progrès de l'IA. 

Cette nouvelle manière de faire évoluer le travail des opérateurs experts apporte non seulement une flexibilité des chaînes de production bien plus forte, mais surtout va permettre de valoriser l’expertise de ces opérateurs et améliorer grandement la rapidité de formation des jeunes opérateurs. L’opérateur expert visible est indispensable, son travail devient entièrement traçable et valorisable pour l’entreprise, et l’IA devient un support pour atteindre ces objectifs. 

Si je vous parle de crash d'avion mal entretenu, d'arrêt de centrale nucléaire, d'explosion d'une raffinerie, ou de déraillement de train, alors je capterai sans doute bien plus vite votre attention. Mais ce sera ma conclusion : la fonction principale du CND est d'éviter des accidents financiers, environnementaux ou humains souvent tragiques et qui auraient pu être évités grâce à ce choix de valorisation du capital humain. 

Michel Cardoso

22/05/2022

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