La Crise du COVID-19 aux États-Unis, Premier Bilan

12/04/2020 - 6 min. de lecture

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Gilles Hilary est Professeur à Georgetown University

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En décembre 2019, la Chine a annoncé les premiers cas de ce qui allait être appelé le COVID-19. Le premier recensé aux États-Unis apparaît le 20 janvier 2020 et le premier décès le 29 février. Le 13 mars, le Président Donald Trump décrète l’urgence nationale. Alors que les États-Unis entrent maintenant dans leur quatrième semaine de crise sanitaire, on peut dresser un premier bilan.

Le choc pour l’économie, comme partout, est terrible. En quelques semaines, l’économie est passée du plein-emploi (taux de chômage de 3.6 % en janvier 2020) à une situation où des millions de personnes se retrouvent au chômage en quelques jours. La bourse s’est effondrée (avec des conséquences sévères pour beaucoup de retraités). Le déficit budgétaire a bondi.

Paradoxalement, l’effet sur la mortalité aux États-Unis reste incertain. Au 9 avril, il y avait 16.441 décès dus au COVID-19 recensés officiellement mais ce nombre était en forte croissance et peut être sous-estimé. Toutefois, il convient de mettre ce chiffre en perspective. Selon le CDC (l’agence sanitaire fédérale), les causes de décès aux États-Unis sont les suivantes :[1]

  • Maladies cardio-vasculaires : 647,457
  • Cancer : 599,108
  • Accidents : 169,936
  • Maladies respiratoires chroniques : 160,201
  • AVC : 146,383
  • Alzheimer : 121,404
  • Diabète : 83,564
  • Grippe et pneumonie : 55,672
  • Néphrite, syndrome néphrotique et néphrose : 50,633
  • Suicide : 47,173

Le nombre de décès dus à des maladies infectieuses va très probablement augmenter dans des proportions très significatives mais encore difficiles à estimer à jour. Par ailleurs, le virus peut avoir un effet négatif sur d’autres pathologies. Par exemple, on peut imaginer que la pression sur le système de santé augmente les décès liés à des diabètes mal soignés ou des cancers détectés trop tardivement. À l’inverse, l’isolement social peut réduire le nombre d’accidents (troisième cause de mortalité). On peut aussi s’attendre à une substitution entre les causes : des personnes, déjà affaiblies et décédant du COVID-19, auraient pu mourir à brève échéance d’autres pathologies comme la maladie d’Alzheimer. Ces effets sont particulièrement difficiles à prévoir car les causes de décès et les effets du COVID-19 varient en fonction de nombreux paramètres tels que l’âge, le sexe, le groupe social, ou l’État de résidence.

Il est par contre manifeste que l’épidémie a mis le système de santé américain sous tension. Cela n’est pas unique aux États-Unis mais le système est extrêmement fragmenté et pas forcément adapté à une médecine de masse. Par exemple, les États-Unis se classent au 32eme rang pour le nombre de lits d’hôpital par habitant avec moins de 3 lits pour 1,000 personnes (Japon , 1er, 13 lits; France, 6eme, 6 lits, Mexique, 41eme, 1.4 lit).[2] Les États-Unis sont aussi au 38eme rang pour l’espérance de vie (79 ans) contre 85 ans au Japon (1er rang), 83 ans en France (12eme) et 75 ans au Mexique (77eme).[3] Peut-être en partie pour cette raison, les États-Unis sont aujourd’hui le pays le plus frappé par l’épidémie en nombre absolu de morts.

Elle s’inscrit dans les fractures sociales américaines. À ce jour, l’effet a été disproportionné sur les centres urbains (notamment du Nord Est) denses et nœuds de communication importants, sur la communauté noire et sur les populations pauvres. Les médias conservateurs tels que Fox News et One America News (un réseau de télévisions plus radicalement conservateur que la Fox) ont tendance à minimiser l’impact de la crise et à se concentrer sur les conséquences économiques plutôt que sanitaires de celle-ci. Tout cela amène les sympathisants démocrates à voir la crise comme plus sérieuse que les sympathisants républicains.[4] Cette attitude plus nonchalante a des conséquences sur la santé publique.[5]

L’impact sur la campagne présidentielle américaine semble pour l’instant limité. Le candidat démocrate mais plutôt conservateur Joe Biden avait pratiquement assuré son investiture au début de la crise mais s’apprêtait à affronter une guérilla de son dernier adversaire, Bernie Sanders. La crise a gelé la situation, Biden ne peut pas attaquer efficacement Trump sur sa droite mais est protégé de Sanders sur sa gauche, amenant celui-ci à d’abord suspendre sa campagne avant de jeter l’éponge. Biden étant bien connu après une longue carrière politique, cette pause lui est probablement plutôt bénéfique. Après l’assassinat de Kennedy, la première guerre du Golfe et le 11 septembre, la popularité des présidents Johnson, Bush Senior et Bush Junior avait dépassé 80 %. Trump a aussi bénéficié d’une amélioration mais dans une proportion beaucoup plus faible (d’environ 4 % à 48 %) et plus partisane (l’augmentation venant largement des sympathisants républicains).

La réponse des États-Unis au début de la crise a été limitée. En cela, cette situation n’est pas unique. Les pays asiatiques déjà exposés à d’autres épidémies très sérieuses dans un passé récent (la SRAS de 2003, par exemple) ont réagi beaucoup plus vite. Une méfiance certaine entre le gouvernement américain et les agences administratives du pays a aussi pu jouer un rôle. Cependant, il faut noter que dès le 29 janvier, Peter Navarro, un conseiller économique réputé très proche de Trump a fait parvenir au président américain une note indiquant l’existence d’une menace très sérieuse pour les EU. Cette note ne semble pas avoir infléchi la réponse gouvernementale de façon significative.

Les États-Unis se sont ensuite appuyés sur leurs points forts pour apporter une réponse à la crise. Une grande richesse a permis la mise en place d’un plan de relance massif de 1.800 milliards d’euros (pour mémoire, le déficit français était d’approximativement 114 milliards avant la crise). La banque centrale a réduit les taux d’intérêt à zéro sans avoir à se soucier de conséquences sur la monnaie. La recherche a commencé immédiatement à développer des solutions. Un vaste espace de libre-échange intérieur a permis le redéploiement de ressources d’un état à l’autre alors que l’Union Européenne se heurtait à plus de frictions.

Cependant, le gouvernement fédéral se trouve affaibli. Sur le plan intérieur, des gouverneurs (comme celui démocrate de l’État de New York ou celui républicain du Maryland) sont devenus l’incarnation de la réponse à la crise, même si un certain nombre d’entre eux (notamment dans le sud) ont pris des positions plus centrées sur la protection de l’activité économique à court terme. Par exemple, le gouverneur de l’Oklahoma n’a pas hésité à mettre en ligne des photos de lui mangeant dans un restaurant avec sa famille.

Sur le plan international, la position américaine semble se trouver affaiblie dans le monde. Au minimum, les États-Unis n’ont pas établi (ou même essayé d’établir) une position de leadership. Complètement surpris par l’ampleur de la crise, ils se sont retrouvés démunis, devant importer des produits de Chine et acceptant même une aide humanitaire (certes limitée) de la Russie. La Chine semble utiliser cette situation pour offrir des produits par des canaux non gouvernementaux, parfois de façon médiatique, parfois de façon plus subtile. Elle utilise aussi sa gestion de la crise pour se poser en contre-modèle de société, amenant la CIA à lancer une campagne peu discrète pour établir un décompte alternatif des décès en Chine. Sur le plan militaire, même si le secret s’applique naturellement, un certain nombre d’unités ont été affectées. Par exemple, le commandant d’un porte-avions a été mis à pied pour avoir demandé publiquement l’évacuation de l’équipage (le secrétaire d’État à la marine militaire a ensuite démissionné pour avoir mal géré l’affaire).

L’épidémie crée encore beaucoup d’incertitude à court terme au moment où le pays semble approcher le pic. À long terme, elle peut représenter une opportunité pour son développement. Après la course à l’espace avec l’URSS, les évènements du 11 septembre ou même les fraudes comptables massives des années 2000, les États-Unis ont su mobiliser leur énergie vers ce qui semblait être un problème stratégique à l’époque, créant de nouvelles industries et acquérant des nouveaux savoir-faire. On pourrait donc s’attendre à ce que les biotechnologies, certains secteurs manufacturiers ou même des champs comme l'urbanisme ou l’analyse des réseaux humains connaissent un développement important dans les prochaines années. Cependant, le gouvernement fédéral a toujours joué un rôle crucial de chef d’orchestre dans ces initiatives passées. L’équipe gouvernementale actuelle éprouve une certaine réticence vers la technique et vers des initiatives qui pourraient renforcer les pôles urbains orientés vers la recherche (qui souvent votent pour les candidates démocrates). Ce rebond est donc peut-être conditionné aux élections du mois de novembre.

 

Gilles Hilary

Professeur à Georgetown University, Washington

10, avril 2020


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[1] lien cdc.gov

[2] lien Wikipedia

[3] lien Wikipedia

[4] lien pewresearch.org

[5] lien papers.ssrn.com

12/04/2020

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