Le Pacte sans impact

28/04/2021 - 9 min. de lecture

Le Pacte sans impact - Cercle K2

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François Hoehlinger est Managing Director de Flixbus Charter France.

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Difficile de ne pas s'arrêter sur le maelstrom d’informations qui occupe l’espace public en ce moment, se basant sur un triptyque : Écologie - Économie - Sécurité.

Réfléchissons sur le premier “Pourquoi” ?

La période que nous vivons actuellement, nous l’avons suffisamment lu, est exceptionnelle. 

Faisant face aux frémissements de changements de sociétés majeurs, nous avons désormais l'impéritie des classes dirigeantes comme miroir, comme trace dans la mer.

Font-elles preuve de ce pusillanime qu’on leur prête si souvent ? 

Comment se fait-il que l’appareil étatique soit si distant de ce que nous appelons “la vraie Vie” ?

Réfléchissons sur le premier “Comment” ?

Le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, autrement appelée “Loi Climat et Résilience", est l’exemple du chemin réalisé par l'exécutif depuis la Convention citoyenne, impliquant des citoyens dans les réflexions stratégiques de l’État sur l’avenir de notre pays, ce qui ressemble à une première avancée, à savoir, impliquer des membres de la Cité pour construire une action collective cohérente, emportant l'adhésion d’un maximum.

Pourquoi intégrer des acteurs de la sphère privée dans la construction d’un projet de loi aussi important pour la suite de la Vème République ? 

Tout simplement, car la rue le réclamait. 

Cet apport doit surtout être considéré comme un geste de l'exécutif envers les citoyens. Il s’agit également de recueillir des avis externes, hors de l’appareil institutionnel, apportant un nouvel éclairage et des idées novatrices. 

 

Questionnons-nous sur le principe

Retrouvons-nous donc ces idées novatrices dans le projet de Loi, celui qui devra remettre la France sur les rails d’une baisse de ses émissions, d’une adoption plus large de mesures communes écologiques et d’une ambition réelle et technologique ?

 

Questionnons-nous sur le contenu

Une première section de ce projet de loi concerne les moyens de déplacement et, notamment, les ventes de voitures. 

C’est en se focalisant sur le renouvellement du parc que le sujet est traité, à savoir le recyclage de vieux véhicules polluants en véhicules aux normes de rejets de CO2 plus en phase avec les objectifs actuels de respect de l’environnement.

 

1. Un objectif d'émissions revu à la baisse concernant les émissions liées aux voitures

L’objectif de 95 % du parc de voitures particulières se situant en deçà de 95gCO2/km est un objectif définitivement réaliste et nécessairement revu à la baisse.

En France, il se vend chaque année 2 millions de voitures, ce qui implique que près de 70 % du parc sera remplacé par des voitures aux normes d’ici 2030.

Depuis 2020, la part du véhicule électrique représente 10 % des ventes et, au vu des annonces de Stellantis et Renault, cette part devrait croître sensiblement dans les prochaines années. 

Reste donc à chasser le SUV ou à le rendre plus efficace en termes de consommation et de rejet.

Afin de renforcer la politique de préservation, la mise en place de ZFE (zone à faibles émissions) devrait se faire sur toutes les zones de plus de 150.000 habitants sur le territoire métropolitain.

Cela va dans le sens d’une politique restrictive des vieux véhicules existant déjà dans la plupart des villes européennes. 

Nous pouvons cependant regretter que cela ne soit pas étendu aux centres villes historiques et aux villes de taille moyenne. 

L’apport des ZTL (zone a traffico limitato) est nécessairement utile pour décongestionner et éviter l’encombrement urbain (mopeds, scooters).

En clair : une proposition intéressante, basée sur le benchmark européen existant et permettant de pousser le parc auto vers une neutralité carbone rapidement.

 

2. Un encombrement et une congestion synonymes de pollution accrue

Limiter les véhicules polluants est une première action nécessaire, mais c’est surtout la congestion des centres villes et des zones d'activités qui pose problème, notamment en cas de surcharge du trafic, impliquant les poids lourds. 

La création de voies de circulation spécifiques favorisant les véhicules à faible émission semble être un premier pas, mais timide. 

En clair : un premier pas, mais qui ne règle pas les embouteillages, principalement causés par les dessertes, le transit et les centres villes mal adaptés. 

 

3. Un transport routier polluant mais nécessaire

En proposant une révision des coûts liés aux infrastructure, nous sentons planer l'idée d’une taxe départementale "carbone" qui se justifie au vu de l’usure des infrastructures mais également au fait que les camions empruntent le plus souvent les nationales non payantes et non les autoroutes, laissant une majorité du coût de ces infrastructures aux seuls usagers individuels.

Le flou concernant cette mesure se comprend dans le sens où l’augmentation des prix de structure et de logistique se répercutent nécessairement sur les prix finaux. 

Il s’agit ici de repenser notre stratégie globale d’approvisionnement, à l’image des taxes mises en place sous le mandat Trump pour redensifier l'économie locale.

En clair : sur le papier, une taxe carbone semble toujours être une bonne solution, mais quid de l’augmentation des prix et de l’impact sur le travail des routiers ? Cette approche pollueur-payeur ne fonctionne pas dans un monde de flux et d'échanges comme le nôtre. En revanche, une fermeture aux centres-villes semble être une solution abordable, avec la création de centres logistiques périphériques, ce qui devient monnaie courante en Italie par exemple.

 

4. Émissions et intermodalités

Que ce soit en limitant la capacité des aéroports à s'étendre ou en poussant la compensation carbone des vols intérieurs, on comprend aisément que la réponse au trafic aérien passera par la réduction du transport interne au profit du train, ainsi que la limitation des aéroports de Province. 

Cependant, c’est une solution intéressante sur le papier, mais qui doit s’accorder de paire avec un plan de relance ambitieux des réseaux ferrés, une ouverture à la concurrence des lignes TER et la création de docking hubs, comme pour le transport fluvial.

L’exemple de l’Article 36 est symptomatique d’un transfert de problèmes sans y accorder de solution concrète : on propose de "bannir" tous les transports de moins de 2h30 si le train fonctionne suffisamment correctement.

Or, la SNCF reste tributaire d’un équipement dont le coût d’entretien est prohibitif, tributaire d’une stratégie qui la force à être dans la réactivité plus que dans l’expansion et la rénovation du réseau ferré "second". 

Notez que la SNCF a opéré une mue sous Guillaume Pepy qui est à saluer, qui rend le rail français sécurisé, compétitif et relativement fiable.

En clair : status quo. Comment déloger un vol Lyon-Nantes tant que le train ne sera pas une alternative fiable et compétitive ? Un article qui met en lumière la concurrence entre train et aérien sur les séquences les mieux desservies mais qui semble occulter la nécessité de relier des métropoles par définition distantes en France (Marseille, Nantes, Toulouse).

 

Questionnons-nous sur les actions nécessaires pour y arriver

1. Une politique européenne commune devient nécessaire

Ce qui est le plus marquant dans ce projet de loi, c’est que chacune des mesures citées voit son reflet dans l’eau du lac européen.

Étant expert de la mobilité en Europe, je reste consterné que nous ne soyons pas encore arrivés à des mesures unifiées sur les centres villes (vignettes, péages, ZFE, ZTA) et que chaque pays en vienne à présenter une pâle copie de ce que font ses voisins.

Il semble évident que derrière la nécessité de faire front, les gouvernements et la technocratie européenne n’est pas encore prête à s’unir sous une même bannière, que ce soit pour des raisons structurelles ("taille de boîte") ou des raisons organisationnelles.

Cela fait écho à la position de plusieurs députés européens qui appuient sur la force extérieure européenne, qui parfois ne surpasse pas ses dissensions en interne.

Un avis : l'approche transfrontalière commence à porter ses fruits, montrant que la capillarité reste un levier fort pour des tests, notamment sur les flux de personnes et de marchandises. 

La création d’une Eurométropole en Alsace/Bade-Wurtemberg montre que cela est possible. 

Il reste cependant du chemin jusqu’ à :

  • la création d’un passeport rail unifié (incluant un ticket unique et des coûts uniques) ;
  • une vignette électronique type Eurotoll afin de pouvoir circuler dans tous les pays mais également dans toutes les zones taxées selon le modèle de véhicule ;
  • une approche intermodale crédible et rapport pollution/bénéfice explicite entre les réseaux ferrés et l’avion ;
  • une compensation carbone au niveau européen auquel seraient assujetties toutes les compagnies aériennes.

En dehors d’une politique de transports unifiée, il manque dans ce projet une approche purement pragmatique et technologique. N’oublions pas que les gens circulent le plus souvent en voiture ou en avion car il n’existe aucune alternative crédible.

 

2. Un choix fort de l'intermodalité

Pourquoi ne pas choisir l'intermodalité comme clef de voûte du projet français et européen ?

Pour l’expliquer, il faut revoir exactement ce que ce mot valise implique, à savoir la capacité de connecter les réseaux de transports (rail, route, aérien, fluvial) et d’organiser une optimisation de ces flux afin d’en limiter :

  • le temps de transport,
  • l’impact écologique.

Tout d’abord, les réseaux existent tout simplement et la remise en fonctionnement de certains réseaux coûte moins cher que la création, dans la plupart des cas.

Ensuite, les technologies pour connecter et optimiser les réseaux existent (flux tendu, dernier kilomètre, kilométrage à vide) et crédibilisent une telle solution.

Enfin, ces solutions ont été peu exploitées tant qu’une pandémie mondiale frappait l’Europe et que la croissance se faisait bon an mal an. 

Maintenant que la politique de flux s’est distendue, des alternatives ont besoin d'être retrouvées. 

Un avis : une intermodalité qui doit être sacralisée par la création de plus de hubs d'échanges, et notamment de passagers et de marchandises, incluant le fluvial et les réseaux ferrés secondaires.

L’exemple du fluvial est le plus marquant, avec près de 8.000 kilomètres utilisables, qui permettrait l’acheminement de marchandises non vitales mais également de population sur des plus petites distances, de façon plus écologique que d’envoyer des bus vides pour désenclaver certaines zones rurales.

L’utilisation des technologies de routage, d’optimisation de flux et de tracking client permettent déjà une meilleure compréhension des flux. 

Cet usage doit se généraliser et surtout permettre une collection de la data afin de comprendre, intégrer et optimiser.

Les politiques publiques ne doivent plus se faire uniquement sur des nécessités électorales mais orientées par la data et la capacité à créer des datasets de qualité qui permettent d’orienter les bons choix. L’exemple de Barcelone qui décide de fermer des blocs à la circulation et de rediriger la circulation est symptomatique d’une politique rigoriste qui semble occulter la nécessité de transport inhérente aux grandes villes. Certes, le centre-ville est plus propre, que ce soit en matière de pollution de l’air ou sonore, mais quel gain pour les périphéries ?

L'intermodalité doit être le cœur et moteur de cette révolution de la mobilité. 

 

3.  Un transport routier, miroir de la réindustrialisation de la France et de l’Europe

Le transport routier est le poumon logistique au sein de la zone Europe et souffre de nombreuses complexités, de l’infrastructure jusqu’aux régulations. Ce transport est un marqueur également de la pollution de l’air aux abords des grandes métropoles européennes. La crise a causé différents soubresauts concernant le transport routier, qui est un acteur vital de la chaîne logistique et a mis en lumière les besoins de contrôle renforcé de cette même chaîne. Le concept de réindustrialisation est donc vite apparu comme gimmick clé de cette période et le transport routier doit en être un des piliers.

Comment faire ? En orientant des routes spécifiques PL (poids lourds) et en permettant l’utilisation de routes secondaires pour les livraisons les moins urgentes, avec une prime à l'utilisation de ces routes. Il ne s’agit pas ici de taxer le transport mais probablement de valoriser les circuits courts et de mobiliser les entreprises de transport local en leur proposant des subventions pour du transport d’entreprises certifiées.

Un avis ? Un mapping des routes dédiées pour les PL ainsi qu’une gestion des flux en temps réel. Des subventions pour les entreprises qui facilitent les cycles courts et qui facilitent la production locale. Le transport routier doit retrouver sa place prioritaire dans le concert international, au vu du support dont il a fait preuve pendant la crise mais également pour favoriser un transport qui se "verdira" grâce à l'avancée technologique des constructeurs.

 

En conclusion

Un projet de loi climat, un pacte qui ne tient pas toutes ses promesses, et pas nécessairement parce que les mesures ne "tapent" pas assez fort dans le système mais certainement parce qu’on cherche à résoudre les conséquences avant de se questionner les causalités.

La mobilité doit être un moteur de la relance verte car cette mobilité est prête et permettrait une utilisation parcimonieuse des budgets d’infrastructure, une utilisation efficace de la big data et une intermodalité construite sur la rentabilité économique. 

François Hoehlinger

28/04/2021

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