Les Fintech en Chine : un axe stratégique pour l'économie

07/02/2018 - 10 min. de lecture

Les Fintech en Chine : un axe stratégique pour l'économie - Cercle K2

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Article initialement publié dans La revue Analyse financière éditée par la Société française des analystes financiers (SFAF) - Edition n°66 – Janvier – Février – Mars 2018

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Le marché chinois des fintech est considéré comme le plus dynamique du monde, avec des investissements chinois qui ont atteint 10 milliards US$ en 2016. Alors que la convergence des forces publiques et privées favorise les investissements dans ce domaine, la réglementation représente un maillon faible. Et pour le moment, les offres concernent majoritairement le B2C, le segment B2B restant limité. 

Le marché chinois des fintech est considéré désormais comme le plus dynamique du monde : en 2016, 4 des 5 des premières licornes globales étaient chinoises, dont le n° 1 Ant Financial. Les investissements chinois dans ce secteur ont atteint 10 milliards US$ cette même lannée,devant les USA (9,2 milliards US$) et l’Europe (2,4 milliards US$)[1]. Les chiffres de la dernière décennie montrent également que ce marché est particulièrement propice pour faire naître des licornes Internet dans un laps de temps très court. En regardant de plus près, on observe un fort engouement dans les domaines de m-paiement, de P2P lending et, dans une moindre de mesure, d’investissements en ligne par des particuliers.

En revanche, les offres B2B, insurtech, robo-advisor, etc., sont encore peu exploitées. Les raisons de ces phénomènes sont multiples et liées, d’une part, au contexte particulier de ce marché et, d’autre part, aux business model pratiqués par les grands acteurs locaux, notamment les BAT[2].

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DIVIDENDE DÉMOGRAPHIQUE, VOLONTÉ POLITIQUE FORTE ET CAPITAUX ABONDANTS

 

À la différence du marché français, la majorité des solutions fintech chinoises ne sont pas des propositions supplémentaires par rapport à l’existant mais comblent un vide du marché : pour la moitié des Chinois, ces offres représentent leurs seuls moyens d’accès à un compte courant, un emprunt ou une épargne… 

Il existe également une forte montée en puissance de la classe moyenne ayant utilisé très peu de produits financiers classiques (carte crédit, prêt bancaire…), facilement fascinée par la technologie digitale et entrée quasi directement dans l’ère moderne de la fintech, sans attachement particulier pour le passé ni appréhension nécessaire pour les risques. À titre d’exemple, le marché est peu sensible à la protec-tion des données privées.

Afin de diminuer la tension sociale à l’intérieur du pays, le pouvoir central promeut une politique d’inclusion financière pour ces populations jusqu’ici délaissées par les institutions classiques, la fintech représentant un outil d’intégration utile, peu coûteux et adapté à son époque.

La transformation digitale est aussi considérée comme un des axes stratégiques pour permettre au pays de devenir au plus vite le leader mondial : au moins deux grands chantiers de l’infrastructure numérique sont déjà initiés par l’État, comprenant un référentiel unique des données d’utilisateurs de services financiers et le stockage généralisé des données Internet bancaires sur le cloud.

Au niveau de l’encouragement de l’innovation et des talents, le pays a mis en place des programmes ambitieux[3] et beaucoup de moyens pour attirer les meilleurs projets et ressources humaines du monde entier. Aujourd’hui, 200 millions d’ingénieurs et de spécialistes des technologies seraient diplômés chaque année des universités chinoises contre 40 000 aux USA[4], sans compter ces étudiants chinois poursuivant leurs études dans des universités occidentales.

La convergence des forces publiques et privées souffle en effet un vent favorable sur le marché, lequel attire un volume très important d’investissement : à part les chiffres déjà annoncés au début de cet article, on compte une levée de fonds agrégée de 231 milliards US$ pour les start-up innovantes à travers tout le pays en 2015 et 3 mega-deals de plus d’un milliard US$ de levée de fonds en 2016.

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DES BUSINESS MODEL SINGULIERS

 

Le dynamisme chinois s’appuie avant tout sur les marques et la puissance marketing des géants nationaux de l’e-commerce. Ces champions et leurs partenaires de taille, comme BAT, Huawei, Xiaomi, etc., se battent ou s’allient pour occuper et consolider leur place dominante en créant une pression de concurrence extrêmement forte.

La compétition féroce entre les géants du secteur de l’e-commerce et celui de la fintech s’est traduite par des initiatives et des propositions régulières de nouveaux services, de part et d’autre, avec un parcours client encore et toujours plus exceptionnel afin de fidéliser la clientèle et en attirer une nouvelle, la guerre entre Tenpay et Alipay[5] en étant une parfaite illustration. Ant Financial, la première plate-forme agré-gateur de services financiers pour les particuliers modestes et les petite-micro entreprises, propose des scénarios d’utilisation pour faciliter la vie quotidienne des clients et ceci autour de quatre grands thèmes : habitat (paiement de l’électricité…), transport (réservation de billets de train…), nourriture (courses au supermarché…) et habillement (crédit conso…). Pour chaque scénario proposé, les services offerts sont de bout en bout, online/offline confondus, garantissant ainsi une expérience client agréable sans aucune rupture.

La stratégie visant à tailler rapidement sa part du marché consiste aussi à vite acquérir un large écosystème afin de s’assurer de sa domination par la captation maximale du trafic, un avantage concurrentiel clé pour le secteur. Aujourd’hui, Wechat a déjà totalisé presque 1 milliard de comptes actifs et proposé de nombreux services que l’on paie via son portefeuille virtuel. La marque vient d’ouvrir une appli-cation des assurances en ligne. Quant à Alibaba, d’abord connue par ses boutiques en ligne Tmall, elle a su rapidement proposer une palette de services financiers sous la marque Ant Financial. Via ses différentes applications intégrées dans des scénarios d’utilisation ludiques comme la « fête du shopping » lors de « la journée des célibataires », Alibaba réussit à collecter énormément d’argent et d’informations précieuses à chaque point d’entrée de son écosystème. Or, ces données sont le nerf de la guerre pour ses R&D, prospection ciblée, nouvelle vente, argument au moment d’une levée de fonds… La firme de Jack Ma enrichit sa base également par des acquisitions et compte évidement dans son écosystème la partie invisible de l’iceberg qui est sa plateforme de technologies de support.

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UN SECTEUR IMMATURE, VOLATILE ET HERMÉTIQUE

 

Bien que le marché soit en forte expansion, sa réglementation représente un maillon faible, même manquant pour certains champs précis, un passage inévitable pour un pays où le développement économique devance le système de régulation. Cette lacune a baissé les barrières d’entrée et incité involontairement une ruée d'acteurs peu qualifiés vers le secteur, ce qui provoque une certaine volatilité au niveau des offres et des acteurs : en avril 2016, suite à un scandale[6] provoqué par une plate-forme P2P très connue, 1 600 plates-formes de prêt – soit 40 % de la totalité du marché – ont dû stopper leur activité, soit du fait de leur difficulté de développement, soit en raison de pratiques frauduleuses.

Les offres B2B, insurtech, robo-advisor, etc., sont limitées. Cette réalité est liée à la conjoncture mais surtout à l’aspect culturel : la fintech chinoise est principalement motivée par la recherche de réponses efficaces aux besoins de l’e-commerce B2C et à la politique d’incitation du gouvernement. Le segment B2B, évalué à 5 % du marché global, est relativement peu actif du fait du manque de maturité du côté de la demande et de propositions ciblées et qualifiées du côté de l’offre. Quelques acteurs de renom comme Haier ou JD.com ont cependant commencé à investir dans ce domaine. Haier a créé une plateforme de financement garanti par tiers de confiance, mettant ainsi en place de la liquidité pour aider un vendeur e-commerce dans son processus d’approvisionnement. D’autres services comme la gestion du risque de change ou l’optimisation de portefeuilles d’actifs ont aussi vu le jour peu à peu.

Par ailleurs, les taux de pénétration des produits d’assurance sont traditionnellement faibles en Chine : par exemple, le contrat MRH n’est pas une obligation. En conséquence, l’insurtech est encore peu connue, les offres existantes sont plus ou moins focalisées sur l’amélioration cos-métique d’un parcours d’achat restant offline.

L’attitude des investisseurs chinois sur l’utilisation de robo-advisor est ambiguë car ce sont, dans leur majorité, des individus cherchant activement le profit à court terme avec un esprit spéculatif (ils « boursicotent » comme s’ils jouaient dans un casino). L’algorithme d’un robo-advisor, suivant plutôt des règles d’investissement moyen-long terme, les aspects passifs et rationnels, ne correspond pas à leur goût.

Dans sa globalité, le marché financier chinois est peu mature, manque de recul et de professionnels de haut niveau (conseiller financier, spécialiste en modélisation, expert de la gestion des risques, etc.). En dépit de leur agilité, les acteurs locaux proposent des offres de qualité souvent médiocre car ils répondent plutôt à une logique de vitesse et de jetable. Il existe aussi un pourcentage plus élevé, par rapport à la France, de sociétés frauduleuses et spéculatives dont l'objectif est de profiter des failles réglementaires et de contrôle pour faire du profit rapide, le prix à payer en cas de condamnation étant encore trop bas.

Ce marché présente aussi un risque structurel : la contradiction profonde entre la gouvernance très centralisée par un pouvoir fort et l’esprit même de la fintech prônant la décentralisation et la notion de communautés participatives. Pour travailler avec ce marché, il faut être prêt et accepter parfois des changements brutaux des règles du jeu. De plus, ce secteur est quasi monopolisé par les entreprises d’État qui détiennent la majorité de licences d’opérations financières. Même si les acteurs privés comme BAT comptabilisent des volumes significatifs d’activités et de données en ligne, les acteurs publics totalisent encore 90 % de valeurs de transactions.

Pour finir, précisons que ce marché est hermétique pour les sociétés étrangères, la preuve étant que les grandes marques occidentales Google, Facebook, Amazon, etc. sont quasi absentes. En effet, la réglementation chinoise a surtout créé des barrières à l’entrée pour les acteurs étrangers : si une fintech utilise habituellement le cloud d’Amazon, elle sera obligée de changer de fournisseur pour AliCloud sur le sol chinois, ce qui n’est pas du tout aisé à opérer.

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VERS UN MODÈLE PLUS QUALITATIF ET INTERNATIONAL

 

En 2016, le marché digital chinois représentait 710 millions d'internautes[7], ce qui laisse encore de nombreux espaces à explorer. Le marché fintech continuera donc sur son élan d’investissement dans les domaines du m-paiement (surtout pour entamer sa restructuration et sa partie cross-border) et des plates-formes du prêt/crédit entre particuliers/ micro-petites entreprises… Cependant, les efforts seront de plus en plus focalisés sur l’utilisation concrète de résultats de recherche sur les technologies avancées (IA, Blockchain…) afin de construire de nouveaux outils performants et compétitifs, comme l’analyse fine d’un prospect à l’utilité du marketing ciblé, l’évaluation de la solvabilité ou du risque de fraude d’un potentiel emprunteur ou assuré, etc.

Ant Financial a, par ailleurs, déjà annoncé que son système de notation va lui permettre de proposer de services avanta-geux à ses clients dotés d’une bonne note, par exemple, un prix d’achat plus bas ou un paiement postérieur. Ce qui sera un avantage concurrentiel pour séduire les clients des institutions traditionnelles.

Dans sa globalité, le marché sera assaini, réorganisé et passera progressivement d’un modèle orienté par les e-commerçants à un modèle plus centré autour des technologies et de la qualité. Il existera également des espaces intéressants pour les nouveaux rentrants dans les segments B2B et des applications très spécialisées.

Les grands acteurs chinois ont aussi leur ambition globale, à l’instar d’Ant Financial qui a mis en œuvre un plan d’internationalisation en deux parties : accompagner ses clients touristes lors de leur séjour à l’étranger et acquérir, en parallèle, les marques étrangères établies et reconnues dans l’objectif de renforcer ou sa plateforme de technologies ou ses canaux de distribution.

Au niveau du pays, deux grandes directives déjà en place et reconfirmées par le XIXe congrès du Parti communiste chinois cadrent toute l’économie chinoise : à l’intérieur, on vise désormais un développement plus contrôlé, respectant le concept de la « nouvelle normalité[8] »  dont l’objectif est de consolider, transformer et, enfin, réussir la montée en puissance du modèle économique chinois. Sur la scène internationale, tout est mis en œuvre pour continuer à concrétiser l’initiative de la Nouvelle Route de la Soie dont l’une des finalités est d’affirmer le leadership global chinois (voir l’article p. 25). Le secteur n’échappe pas à ces ambitions et commence s’organiser pour se mettre en phase avec la volonté du gouvernement. L’avenir des fintechs chinoises est très bien illustré par la dernière orientation stratégique d’Alibaba, dont les activités seront dorénavant organisées autour des cinq grands axes, correspondant à la vision de Jack Ma sur le futur paysage de l’économie chinoise : le nouveau commerce de détail, la nouvelle fabrication, les nouveaux services financiers, la nouvelle énergie et la nouvelle technologie. [9]

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[1] KPMG : 2016 Fintech 100.

[2] Baidu-Alibaba-Tencent.

[3] Un plan intitulé « Mille Talents » a été initié en 2008 pour attirer les experts étrangers au pays, en particulier dans les universités chinoises.

[4] Klas Eklund (économiste suède, membre de l'Académie royale suédoise des sciences de l'ingénieur IVA) : Quand la Chine gouvernera le monde, 2015 (traduction de la version chinoise). Ce chiffre concerne le titre général « d'ingénieurs ». On compte environ plus d'un million de nouveaux ingénieurs « d'excellence » chaque année.

[5] Les deux applications de m-paiement les plus utilisées en Chine.

[6] La pratique de la pyramide de Ponzi

[7] Ce chiffre est équivalent à la totalité de ceux des USA et de l’Inde (source : Deco-ding the chinese internet, by The Boston Consulting Group).

[8] Le gouvernement chinois ne considère plus désormais le taux de croissance du PIB comme seul indicateur de la performance économique du pays et il prône dorénavant un développement plus contenu et quantitatif.

[9] Decoding the chinese internet, by The Boston Consulting Group.

 

07/02/2018

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