America's AI Action Plan : l'open source comme arme discrète de puissance

09/09/2025 - 5 min. de lecture

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Kevin Dumoux accompagne dirigeants et organisations dans la conception et le déploiement de stratégies de transformation et d’influence génératrices de croissance, avec un fort levier digital.
Co-créateur du Cercle K2, il intervient régulièrement dans de Grandes Écoles sur les enjeux de leadership et d’innovation.

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Publié en fin juillet 2025 par l’Administration américaine, l'America’s AI Action Plan [1] ne se limite pas à une compilation de mesures techniques : il constitue une véritable déclaration d’intention géopolitique. Comparable dans sa portée aux grands programmes du XXe siècle (de la conquête spatiale au développement du nucléaire civil et militaire), il trace une ligne claire en affirmant l’objectif d’assurer la domination américaine sur l’intelligence artificielle à l’échelle mondiale. Trois piliers structurent ce plan : accélérer l’innovation, bâtir les infrastructures et imposer un leadership diplomatique.

Au milieu de cette architecture ambitieuse, un chapitre souvent passé inaperçu dans le débat public mérite pourtant un examen attentif, celui consacré à l’open source et aux modèles open-weight [2]. C’est sur ce point précis que nous souhaitons concentrer notre analyse, tant il s’agit d’un outil discret mais puissant dans la compétition mondiale.

Pourquoi l’open source change la donne

L’open source IA ne se réduit pas à un idéal d’ouverture ou à un geste technique de mise à disposition du code. Il s’agit d’un instrument de projection de puissance. En rendant accessibles des modèles que l’on peut télécharger, adapter et entraîner localement, les États-Unis cherchent à imposer un socle technologique universel estampillé "valeurs américaines". Cette ouverture contrôlée favorise la diffusion rapide de l’IA dans des environnements où la confidentialité des données, la souveraineté ou la conformité réglementaire imposent de ne pas recourir à des services cloud fermés.

Des exemples récents, comme l’ascension de Mistral AI en Europe, illustrent que la mise à disposition de modèles ouverts à haute performance peut accélérer la pénétration sur les marchés internationaux, créer des écosystèmes de développeurs dynamiques et, in fine, exercer une influence normative bien au-delà des frontières nationales. Les États-Unis semblent vouloir systématiser cette logique à l’échelle planétaire avec leur avantage concurrentiel historique qu'est la puissance financière et scientifique de leurs acteurs.

Les leviers opérationnels proposés par Washington

Le rapport décline une série de mesures conçues pour faire de l’open source un levier stratégique. L’accès à la puissance de calcul figure en première ligne. Aujourd’hui, seules quelques entreprises mondiales (principalement américaines ou chinoises) détiennent les capacités nécessaires pour entraîner des modèles de pointe. Washington propose de fluidifier ce marché en s’inspirant de mécanismes financiers (notamment via des marchés de capacité computationnelle tokenisés ou des bourses d'échange de ressources GPU), afin que les chercheurs, les startups et même les institutions publiques puissent acquérir de la puissance de calcul à grande échelle sans contrats exclusifs ni barrières prohibitifs.

En parallèle, le programme NAIRR [3] doit servir de passerelle entre ressources privées et communauté académique, garantissant que les laboratoires américains disposent des moyens nécessaires pour rester compétitifs face à la Chine. En effet, les investissements massifs ce cette dernière nourrissent une ambition claire : devenir la référence mondiale, y compris dans l’open source, mais avec des standards idéologiques et de gouvernance radicalement différents.

Lecture stratégique

Derrière cette approche se cache une vision de soft power assumée. En imposant des standards ouverts alignés sur ses propres priorités, un pays ne se contente pas de diffuser du code, il installe ses protocoles, son infrastructure et ses valeurs au cœur des systèmes critiques étrangers. La Chine a compris cette logique depuis plusieurs années, en soutenant des projets open source "à la chinoise" comme WuDao ou Baichuan [4] tout en conservant un contrôle strict sur l’usage domestique et les exportations technologiques. Les États-Unis, eux, misent sur une diffusion rapide et massive, dans l’espoir de préempter les marchés avant que les alternatives chinoises ne s’imposent.

Dans ce contexte, l’exemple de Mistral AI montre qu’un acteur agile, capable de concilier excellence technologique et ouverture, peut rapidement devenir un point de passage incontournable dans un écosystème régional ou sectoriel. La stratégie américaine vise à multiplier ces "Mistral à l’échelle globale" mais sous pavillon américain afin de verrouiller l’espace d’innovation.

Ce que cela implique pour les acteurs hors des États-Unis

Pour les acteurs étrangers, l’accès à des modèles ouverts américains représente une opportunité évidente, celui de bénéficier d’une technologie de pointe sans coûts prohibitifs ni dépendance contractuelle lourde. Mais c’est aussi un alignement implicite sur des normes techniques et juridiques qui, à terme, peuvent réduire la marge de manœuvre stratégique. Dans un environnement où la souveraineté numérique devient un enjeu majeur, choisir un standard open source n’est pas un choix neutre. C’est un acte stratégique.

 

En concentrant l’analyse sur ce seul chapitre de l’America’s AI Action Plan, il apparaît que l’open source IA est envisagé comme un levier d’influence et un outil d’occupation normative à l’échelle mondiale. Les États-Unis entendent l’utiliser pour préempter le terrain, imposer leurs standards et contrer l’avancée rapide des autres nations. Dans ce duel technologique, les modèles ouverts ne sont pas seulement un outil d’innovation, ils deviennent une arme discrète de projection de puissance. Pour les acteurs tiers, la question n’est donc pas seulement de savoir quel modèle est le plus performant aujourd’hui, mais de comprendre quel système d’alliance et quelles dépendances ils acceptent en l’adoptant.

Kevin Dumoux

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[1] Lien vers le "America's AI Action Plan"

[2] L'open source se définit par la mise à disposition complète du code, des données et des méthodes permettant de reproduire intégralement un modèle d'IA, tandis que l'open-weight ne livre que les paramètres entraînés, utilisables mais non reproductibles. L'industrie entretient délibérément cette confusion sémantique, qualifiant d'open source des modèles qui ne sont qu'open-weight, pour bénéficier de l'aura positive de l'ouverture tout en conservant le contrôle stratégique. C'est précisément cette ambiguïté qui révèle une "ouverture contrôlée" qui diffuse la technologie pour créer des dépendances sans compromettre l'avantage compétitif.

[3] Le NAIRR (National Artificial Intelligence Research Resource) est le programme américain visant à fournir aux chercheurs académiques et publics un accès démocratisé aux ressources de calcul haute performance et aux données nécessaires pour l'entraînement de modèles d'IA, créant ainsi un pont entre les capacités du secteur privé (dominé par les géants de la Tech) et la communauté de recherche publique.

[4] La stratégie chinoise se caractérise par une ouverture relative : WuDao communique sur l'open source mais reste fermé, Baichuan ne libère que ses modèles basiques en gardant les versions performantes propriétaires, avec des licences restrictives contrôlant l'usage commercial. Contrairement à l'open-weight occidental (Llama ou Mistral) qui livre des modèles complets, la Chine pratique une vitrine technologique sélective : on expose pour impressionner et créer un écosystème dépendant, mais on ne livre pas la formule.

09/09/2025

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