Assurance : doit-on envisager un régime d’indemnisation des catastrophes sanitaires ?
23/03/2020 - 10 min. de lecture
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Joël MONNET
Professeur émérite à l’Université de Poitiers
Doyen honoraire de la Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers
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1 - Par nature les entreprises d’assurance sont touchées par les phénomènes exceptionnels.
Toutes aujourd’hui mettent en place des procédures d’adaptation à la crise sanitaire, que ce soit dans leur organisation interne par la fermeture des lieux d’accueil du public ou dans la réorganisation de services par recours au télétravail ; elles sont aussi particulièrement exposées sur un plan financier en raison des variations de cours sur les marchés.
2 – Mais aujourd’hui des initiatives sont annoncées aussi en faveur des assurés. Un engagement de conserver en garantie les contrats des entreprises en difficulté en cas de retard de paiement suite à la pandémie, et cela pendant toute la durée du confinement, vient d’être pris par la Fédération Française de l’Assurance (FFA). Même si la loi prévoit déjà des délais de suspension des garanties et de résiliation des contrats ou d’exclusion en cas de non-paiement des primes, cet engagement devrait permettre un étalement des primes dans le temps. Sans doute faudra-t-il articuler cette « mesure de place » aux dispositions précitées du code des assurances ce qui semble être fait.
Sur un autre plan les assureurs des professionnels du secteur de la santé ont énoncé plusieurs mesures destinées à assouplir les conditions de mise en œuvre du versement d’indemnités journalières par la suppression des délais de carence ou de franchise ou à permettre l’assurance de responsabilité civile des médecins constituant la réserve sanitaire.
Même si, en dehors d’une maladie déclarée, les situations d’affections virales et d’épidémies ne figurent généralement pas dans l’objet de leur contrat, voire font même parfois d’exclusions spécifiques, les sociétés qui proposent des garanties d’assistance apportent leur contribution aux mesures de rapatriement organisées par l’Etat et, sous réserve de certaines situations, les demandes d’annulations de voyages ou de séjours font aussi l’objet d’une attention particulière.
Mais ce sont surtout des mesures de solidarité qui sont attendues, tout particulièrement dans le cas de pertes d’exploitation des entreprises. Certains assureurs se sont déjà engagés dans cette voie en faveur notamment des entreprises.
3 - Sur un plan plus général, on ne peut que saluer ces décisions qui vont sans doute se développer dans les prochains jours. Même si la proposition de création d’une taxe exceptionnelle n’a pas été retenue lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative, les pouvoirs publics se sont prononcés en ce sens et certaines organisations professionnelles réclament plus de soutien de la part des assureurs.
4 - Pour l’avenir, la question de la création d’un régime spécifique d’indemnisation des catastrophes sanitaires sera vraisemblablement posée. L’idée n’est pas entièrement nouvelle mais bien malheureusement les circonstances actuelles lui donnent encore plus d’importance et la Confédération des PME et l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie ont demandé qu’une réflexion s’engage sur sa mise en place.
5 - Il est parfois aussi réclamé que l’état de catastrophe naturelle sanitaire soit reconnu ce qui pourrait soulever la question - à laquelle les juristes ne sauraient répondre seuls- de savoir si le virus covid-19 peut être considéré comme un agent naturel d’une intensité anormale au sens de l’article L.125-1 du code des assurances. Mais, en toute occurrence, il n’est pas possible de faire une application de la législation actuelle dans la mesure où les seuls effets des catastrophes naturelles qui ouvrent droit à garantie sont les dommages matériels directs. En l’état actuel des textes, la question des pertes d’exploitation se poserait de la même manière puisque, lorsque le contrat le prévoit, celles-ci ne peuvent être indemnisées à la suite d’une catastrophe naturelle qu’à la condition qu’elles soient consécutives aux dommages matériels causés aux biens de l’entreprise.
6 - Mais bien entendu, sur le modèle de ce qui a déjà été mis en place depuis 1982 en matière de catastrophes naturelles on peut se demander s’il ne conviendrait pas que des garanties adaptées soient à l’avenir obligatoirement incluses dans certains contrats d’assurance afin de s’appliquer en cas d’évènements sanitaires. Même si on peut tout de même espérer que la situation actuelle ne se renouvellera pas, cela permettrait de prendre en compte des évènements de portée locale, on pense par exemple, aux dommages économiques qui ont été supportés par les exploitants riverains du site de l’usine Lubrizol il y a quelques mois, même si l’on ne situe pas sur le même plan en raison de l’identification d’un responsable.
7 - La question de l’intérêt de la création d’un tel régime assurantiel ne viendra que plus tard, les urgences aujourd’hui sont bien ailleurs et l’attention doit se porter surtout sur ceux et celles qui y font courageusement face.
Néanmoins pour y répondre tout de même, il semble que cette question ne se posera pas tout à fait dans les mêmes termes pour les particuliers et pour les entreprises.
8 - Pour les particuliers, personnes physiques, le socle d’indemnisation par la sécurité sociale a été précisé par des dispositions de circonstances concernant le versement des indemnités journalières sans délai de carence ou de durée d’activité minimale ou les conditions du recours à la télémédecine (décrets n° 2020-73 du 31 janvier 2020 et n° 2020-227 du 9 mars, projet de loi adopté le 22 mars autorisant par ailleurs le Gouvernement à prendre toute mesure pour assureur la continuité des droits des assurés sociaux). Les renouvellements d’ordonnance dans les cas d’un traitement chronique ont été facilités et cela jusqu’au 31 mai prochain (arrêté du 14 mars). Le risque sanitaire avait déjà fait l’objet d’une prise en compte dans la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 autorisant de déroger par décret aux règles de prise en charge des frais de santé pour une durée d’une année.
Les frais qui ne sont pas déjà couverts au titre du régime d’assurance maladie de la sécurité sociale sont pris en charge par les organismes de complémentaire santé. Sont notamment concernés les frais de médicaments, y compris en cas de renouvellement d’ordonnances sans prescription médicale.
Sur ces aspects il ne paraît pas nécessaire d’envisager un autre mode d’indemnisation.
9 - La création d’un régime d’indemnisation des catastrophes sanitaires ne modifierait vraisemblablement pas non plus le droit des assurances temporaires décès. Il ne semble pas possible par exemple d’imaginer qu’il ne soit pas tenu compte des conditions d’âge qui, bien qu’étant très différentes d’un assureur à l’autre, conditionnent la durée de ces contrats, il n’est pas imaginable de faire application d’un contrat qui n’existe plus et pour lequel aucune prime n’est payée.
10 - Les choses sont un peu moins simples à propos des contrats de prévoyance qui comprennent des garanties en cas d’accident individuel, c’est-à-dire d’accident de la vie. Les affections d’ordre sanitaire sont par hypothèse, extérieures aux individus et l’on peut s’interroger sur leur nature accidentelle au regard de ces contrats. Toutefois, outre que certains d’entre eux contiennent des exclusions spécifiques en cas d’affections virales, microbiennes et parasitaires, les définitions contractuelles de l’accident font référence à un évènement soudain dont il est parfois précisé qu’il doit être imprévisible ou violent et, à de rares exceptions les maladies font l’objet d’exclusions. Un droit spécial de l’indemnisation des crises sanitaires pourrait certes imposer une garantie obligatoire mais il est assez compliqué d’un point de vue médical autant qu’assurantiel d’assimiler affection virale et accident.
11 - Les échanges de ces derniers jours montrent néanmoins qu’un point d’intérêt pourrait être trouvé dans l’indemnisation des frais occasionnés par l’intervention de professionnels au domicile des assurés contraints à des mesures limitant leurs déplacements ou dans la mise en œuvre de dispositifs spécifiques en matière d’assistance ou d’assurance annulation. De même certaines entreprises proposent des produits assurances garantissant les emprunts comprenant une intervention en cas de perte d’emploi mais seulement en cas de licenciement auquel ne peut pas être assimilé le chômage partiel dans lequel vont se trouver aujourd’hui de nombreux salariés. Cela pourrait justifier une intervention législative sur ce point mais, à notre sens, seulement dans le cas où le contrat intervient en cas de perte d’emplois. Enfin, une réflexion pourrait être conduite à propos des mesures qui sont prises en matière de décalage dans le paiement des loyers et qui sont susceptibles de créer des difficultés de trésorerie pour les propriétaires, même si certains sont peut-être déjà assurés en cas de non-paiement par leurs locataires.
12 - La question de l’intérêt de la création d’un régime d’indemnisation des catastrophes sanitaires présente une toute autre importance à propos des dommages subis par les entreprises, elle est même au cœur des réflexions, à travers la question de l’indemnisation des pertes d’exploitation.
13 - Concernant les entreprises plusieurs garanties ou contrats sont susceptibles d’être mis en œuvre.
Certaines situations ne soulèvent pas d’observations particulières, tel semble être le cas des contrats dits « homme clé » lorsqu’ils intègrent dans leurs garanties l’indemnisation de l’absence d’un cadre de l’entreprise en cas de maladie, ce qui n’est toutefois pas le cas de tous les contrats.
Deux garanties en revanche méritent plus d’attention.
14 - L’une compte tenu des interdictions réglementaires de rassemblements pose a priori moins de difficultés, du moins de manière générale car contrat par contrat des exclusions sont possibles, il s’agit de l’assurance annulation qui est plutôt souscrite de manière ponctuelle par des organismes qui sont à l’origine d’évènements importants, salons, foires, manifestations sportives… Seulement très peu de structures ont souscrit ce type d’assurance et notamment pas les petites et moyennes entreprises. Par ailleurs la mise en œuvre des garanties peut être plus compliquée pour des évènements qui ont déjà été annulés et dont la programmation peut être postérieure aux périodes d’interdictions. Seule une étude comparative complète des produits d’assurance mis en distribution serait en mesure de dire si la crise sanitaire que nous connaissons entre dans les évènements justifiant une indemnisation. Oui sur le principe dès lors que l’annulation repose sur une décision des pouvoirs publics et non sur une appréciation personnelle à l’assuré. Mais les professionnels qui se sont déjà exprimés ne semblent pas toujours du même avis, alors que pour certains la garantie est acquise, d’autres évoquent l’exclusion des annulations dues à des évènements sanitaires, à un degré moindre, car l’affirmation est contestée au sein même de la profession, pour certains la crise actuelle constituerait une aggravation de risque au sens du code des assurances ce qui permettrait au moins une révision des primes, voir une résiliation du contrat. A la lecture de certains contrats la difficulté pourrait néanmoins venir du fait que l’annulation pour raison sanitaire ne fait pas partie des situations assurées.
15 - L’autre garantie envisageable porte bien évidemment sur l’indemnisation des pertes d’exploitation dues à la réduction ou cessation de l’activité ou à des difficultés d’approvisionnement, voire de perte de marchandises. Les professionnels relèvent qu’aujourd’hui si cette garantie existe, elle n’est mise en œuvre que lorsque la réduction ou l’interruption de l’activité sont dues à un évènement accidentel bien précis (le plus souvent incendie). Sauf peut-être à de rares exceptions de surcroît de portée limitée, cette garantie ne fonctionne pas en dehors de tout autre dommage. On peut bien entendu imaginer que les assureurs assouplissent d’eux-mêmes les conditions de mise en œuvre de la garantie pertes d’exploitation mais, même si le vœu en a été exprimé, le coût sera sans doute jugé trop important pour un risque qui n’a pas fait l’objet de cotisations et qui est par nature inassurable puisqu’échappant à toute approche statistique et présentant un caractère systémique du fait de ses nombreuses réactions rendant impossible la mutualisation entre assurés.
16 - Ainsi autant sur l’assurance annulation que sur l’assurance des pertes d’exploitation, on ne peut que relever l’intérêt indiscutable de nouvelles dispositions légales prévoyant la mise en œuvre des garanties en cas de reconnaissance de l’état de catastrophe sanitaire, sur le modèle de l’indemnisation des catastrophes naturelles avec en dernier lieu une garantie de l’Etat. Une hésitation pourrait être toutefois émise à propos de l’assimilation avec le régime des catastrophes naturelles dans la mesure où des dommages d’ordre sanitaire peuvent éventuellement être causés par un tiers responsable identifié contre lequel un recours pourrait être exercé, à la différence de la nature.
17 - Mais, bien évidemment les assureurs ne peuvent pas accorder des garanties sans percevoir des primes correspondantes et à ce jour il ne semble pas que l’on puisse déterminer dans quelles proportions celles-ci se situeraient ou même seulement dire si elles ne constitueraient pas une charge insupportable pour de nombreuses entreprises, voire pour les particuliers dans le cas où ils seraient aussi concernés. L’estimation est d’autant plus compliquée que à une période de réduction d’activité due au confinement de la population peut succéder, en fonction des activités, une période de surconsommation sur laquelle aucun repère n’est connu aujourd’hui, le seul espoir étant qu’elle se produise le plus vite possible. Or une assurance des catastrophes sanitaires n’aura d’intérêt que si elle constitue une garantie obligatoirement attachée à des contrats déterminés, sans option possible pour les assurés.
22 mars 2020
23/03/2020