En l'honneur des conjoints et des familles de militaires !
11/11/2024 - 5 min. de lecture
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Le Général (2s) Jean-Pierre Meyer a accompli une partie de sa carrière dans le renseignement et les opérations. Il a notamment été directeur des opérations à la Direction du renseignement militaire puis directeur au Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale. Il a accompli, par ailleurs, plusieurs séjours en opérations extérieures notamment à Sarajevo comme commandant en second des forces multinationales.
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En l'honneur des conjoints et des familles de militaires !
L’armée, chacun le sait, ou le comprend, est un ordre à part : chevaleresque, peut-être, héroïque, certainement, mais, avant tout, totalisant. C’est notre vie, dans toutes ses épaisseurs, qui se soumet à sa gravité. Son objet est tel - la sécurité nationale -, qu’elle n’autorise la possibilité d’aucun réduit où l’on pourrait échapper à son contrôle, où pourrait s’installer un semblant de normalité. Il n’est cependant rien qui puisse offrir plus de grandeur que celle qui octroie une place dans le cortège des forces qui veillent à la protection de tous. La vraie noblesse se trouve là où bat le sens du sacrifice. Mais ce sacrifice, que vous croyez faire seul, s’impose aussi à vos proches, plus encore, à celle ou à celui qui partage votre vie.
Pris par mes responsabilités, emporté par mes ambitions, peut-être n’ai-je pas toujours mesuré le tribut qu’elle a dû payer pour favoriser mon parcours : elle a pris sa part de mes responsabilités et de mes ambitions. Elle a douté avec moi, souffert avec moi, partagé mes indignations, soutenu mes projets, et bien plus que tout, n’a jamais failli. Lorsque vous êtes dépositaire des plus grands secrets de l’Etat, que vous en portez la charge et le poids, c’est un soulagement et une force quand votre conjointe ou votre conjoint vous offre un dévouement et une loyauté indéfectibles. Elle fut ma confidente pour tous les sujets que le secret d'Etat ne m’obligeaient pas à taire. Pour ceux que je devais garder seul, que de fois n’ai-je voulu alléger mon fardeau en recueillant son avis ou en sollicitant seulement son écoute. Nous n’avions cependant pas besoin de mots. Ce sont des moments puissants de complicité, lorsqu’un simple échange de regard suffit à dire tout le secret que les lèvres ne sont pas autorisées à briser. Et quel réconfort de se savoir compris, de se savoir entendu, sans avoir à trahir les servitudes de sa charge. Je ne lui exprimerais jamais assez combien je lui suis reconnaissant de cette compréhension intuitive, qui lui a fait partager mes silences sans jamais demander la moindre révélation.
Rien, pourtant, ne prédestinait mon épouse à embrasser la destinée si mouvante qui a été mon lot. Comme beaucoup de conjoints de militaires, elle est issue d’un milieu civil, celui des ingénieurs savoyards. Et comme pour beaucoup de femmes, à cette époque, c’est une promesse de l’ombre qu’elle a contractée.
Je me souviens ainsi que lors de notre première affectation, en Allemagne, elle a été accueillie par l’épouse du colonel du régiment, avec ces mots d’un autre temps : "Mon petit, une femme d’officier ne travaille pas ! Elle s’occupe de son mari, de ses enfants et des familles du régiment." Ces propos, caractéristiques d’une époque, l’introduisaient dans une vie de renoncement et d’abnégation. Elle su néanmoins se faire une force de la place qui lui était octroyée, sans s’y réduire.
Très certainement a-t-elle puisé dans sa Savoie natale son sens de l’indépendance et la force de caractère qui lui ont permis de se doter d’un rôle à la mesure de ses talents.
Sa pratique à haute intensité du sport, elle fut une joueuse de handball de talent, a certainement exalté son sens du collectif, cultivé ses qualités d’entraide et de persévérance, tout en lui offrant les clés pour déchiffrer les stratégies de jeu et de placement qui avaient cours : car, dans la vie militaire, la politique exerce aussi son emprise.
À bien des égards, elle devinait souvent avant moi les mouvements qui m’encerclaient et pouvaient me faire trébucher. J’ai aussi toujours eu à me féliciter de suivre ses avis lorsqu’il s’agissait de trouver des soutiens ou, plus largement, quand je devais répondre à mes responsabilités.
Gare à moi si je ne suivais pas ses recommandations ! Il me serait trop fastidieux d’énoncer les nombreuses fois où, me bernant de mes propres certitudes, je faisais autrement que ce qu’elle voulait et qu’immanquablement, je me retrouvais Gros-Jean comme devant. Il m’était alors urgent d’éviter son regard désapprobateur, et rien n’était à ce moment-là plus important pour moi que de m’affairer à une tâche qu’en temps normal j’aurais consciencieusement évité… Elle ne manque jamais aujourd’hui de me rappeler, avec un sourire où se cache toute son affection, que si je l’avais plus écoutée…
Partager la vie d’un officier, c’est vivre au rythme de ses affectations, déménager tous les deux ans, quitter des amitiés à peine acquises, faire l’effort, encore et toujours, de renouer de nouveaux liens, d’intégrer un nouvel environnement, de recommencer de nouvelles habitudes. Quelles que soient les garnisons que je rejoignais, mon épouse a toujours su naviguer, parmi les épouses d’officier, avec une dignité et une discrétion qui l’ont distinguée. Sa compagnie était recherchée, pour sa délicatesse, son respect de tous et son empathie.
Elle était assidue à tous ces rituels qui ponctuent la vie d’une garnison : c’était notamment un moyen, pour elle, de connaître les souffrances intimes qui se jouaient dans nos camps et d’y apporter son remède. Elle a toujours allié un sens fin de l’observation, avec un optimisme chevillé au corps et une volonté d’aller constamment de l’avant : « de l’audace toujours » était notre formule d’action.
Elle n’a jamais changé, même lorsque je suis devenu chef de corps du régiment. Elle a même eu à coeur d’être plus présente qu’elle ne l’était, estimant que les responsabilités nouvelles que j’exerçais lui faisaient un devoir d’être encore plus investie dans la vie collective.
Combien de fois ne l’ai-je pas entendu se soucier de telle épouse de militaire parti en mission extérieure alors qu’elle attendait un enfant ? Elle a toujours su trouver les mots justes pour apaiser, parce qu’elle était sincèrement attendrie et qu’elle savait l’importance de maintenir l’unité de notre régiment.
Nous étions une double lame, dont j’étais la pointe. Il est heureux qu’aujourd’hui cette pointe puisse être féminine, comme en témoignent l'engagement de nombreuses militaires et les nominations récentes de Générales.
J’ai donc voulu lui rendre cet hommage, ainsi qu’à travers elle, à toutes les compagnes et à tous les compagnons de militaires, qui partagent cette vie exigeante et qui soutiennent leur partenaire avec une patience, une résilience et un dévouement indéfectibles. Ce sont eux qui forment l’ossature silencieuse mais puissante de notre institution. Sans leur dévouement, notre engagement ne serait tout simplement pas possible...
Jean-Pierre Meyer
11/11/2024