L’art de faire réagir le monde

26/06/2025 - 6 min. de lecture

L’art de faire réagir le monde - Cercle K2

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Frédéric Berria est CEO de PENCIL Park.

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L’IA accapare l’essentiel des discours, cristallise les passions, et automatise la génération de contenu. En parallèle, une autre dimension, discrète par essence, s’invite dans le champ communicationnel : l’interaction. En effet, si nous produisons aujourd’hui plus de contenu, toujours plus facilement, une question se pose : le contenu suffit-il, en soi ? La réponse tient dans les interstices.

Pour comprendre l’intérêt d’un contenu, celui-ci doit être analysé à l’aune de sa popularité, de l’adhésion qu’il produit et de sa capacité à retenir ceux qui le consomment. On parle alors d’« économie de l’attention ». Ce concept, formulé dès 1971 par le prix Nobel Herbert Alexander Simon dans Designing Organizations for an Information-Rich World, souligne que :

« Dans un monde riche en informations, l’abondance d’informations signifie une pénurie d’autre chose : une rareté de ce que l’information consomme. Ce que l’information consomme est assez évident : elle consomme l’attention de ses destinataires. »[1]

L'abondance crée paradoxalement, en creux, une pénurie : celle de l'attention. Et cette rareté de l’attention en fait un enjeu central pour les entreprises et les médias. Cette dynamique a une implication directe sur la manière dont les contenus sont conçus.

Au-delà des mots, puis des images qui valent mille mots, puis des vidéos qui proposent 24 images à la seconde, un format plus dynamique revient en force et une discipline refait surface : le design de l’interaction (Interactive eXperience Design, ou IxD).

L’interaction comme socle ontologique des systèmes numériques

L’histoire du design interactif remonte aux débuts de l’informatique personnelle, lorsque cliquer sur une icône pour lancer une action relevait de l’inédit. Si la discipline se formalise dans les années 1980, ses fondations plongent dans l’ergonomie, la psychologie cognitive et les premiers langages de programmation graphique. L’expression « interface homme-machine (IHM) », un temps utile, mais jugée trop rigide, laisse peu à peu place à celle de « design interactif ».

Le design graphique traite de l’intangible et le design produit de la matérialité. Le design interactif s’intéresse à ce qu’il se passe entre. Il prend vie dans la transaction, dans la réponse à un geste.

En sciences de l'information, cette discipline désigne la conception d’interfaces capables de réagir à nos actions, voire de créer une chaîne de micro-interactions utiles et émotionnellement engageantes. Le design interactif repose donc sur la trinité utilisateur, interface, réaction. Il s’agit d’instaurer un dialogue entre une machine et un humain, qui suscite la satisfaction et capte l’attention. L’objectif est de rendre l’action de l’utilisateur intuitive et de réduire sa charge cognitive.

L’application Duolingo en est un parfait exemple. Chaque action déclenche une rétroaction immédiate, visuelle ou sonore. Cette mécanique d'interaction transforme l'apprentissage d'une langue en expérience addictive. Duolingo cumule plus de 500 millions d'utilisateurs actifs et un taux de rétention exceptionnel de 55% après un mois d'usage[2].

L’utilisateur a une attente (par exemple, apprendre une langue sur une application mobile). Ses actions sont le déclencheur (ici, l’utilisateur répond à des questions) générant une réponse de l’outil (activation sonore, visuelle, tactile, etc.) qui stimule l’utilisateur, et lui offre une récompense immédiate.

Conserver l’attention, orienter le geste 

Dans un environnement numérique saturé, le beau peut capter l’attention, mais pas nécessairement la conserver, car une interface peut plaire à l’œil, mais dérouter à l’usage. Elle doit donc être pensée afin de contextualiser, fluidifier les actions et canaliser le geste.

La dimension ludique des réactions doit susciter l'envie de continuer, de découvrir, de s'impliquer. En affinant le style et les éléments d’attraction, le designer d’interactions prend en charge la jonction d’une double exigence, fonctionnelle et émotionnelle.

Le design interactif agit de façon silencieuse. Don Norman précise dans The Design of Everyday Things, « les bons designs répondent si bien à nos besoins que le design est invisible »[3]. Il en est de même pour le design de l’interaction : il parle à la logique (ce que je comprends) et à l'intuition (ce que je ressens).

Architecture cognitive et nudge comportemental

La captation de l’attention passe à travers l’expérience vécue par l’utilisateur. Aussi le design interactif fait-il de ce mécanisme cognitif l’objet central de son étude et de ses applications.

Ce paradigme ouvre une série de questions dont les réponses engagent les individus, les entreprises, les créateurs et l’ensemble des communicants : comment le design interactif influence-t-il notre comportement ? Une interface peut-elle encourager certaines actions, voire modifier des habitudes ? Comment distinguer ce qui plaît visuellement de ce qui fonctionne durablement ? Comment les entreprises définissent-elles leur stratégie UX et IxD ? Enfin, quelles solutions techniques tiennent la promesse du design interactif ?

À la lisière de la sémiotique, le design interactif offre une architecture des choix (choice architecture) qui focalise notre attention et oriente nos décisions de façon douce. Les méthodes sont multiples et subtiles, et certaines utilisent l’effet nudge, cette méthode d’incitation développée par le prix Nobel d’économie 2017 Richard Thaler[4].

Une animation, une vibration, une couleur ou un élément visuel peuvent nous inciter à naviguer, cliquer, glisser, jouer, consentir.

L’influence de l’IxD est mesurable. Une étude menée par Forrester a montré qu’un design centré sur l’utilisateur pouvait multiplier par deux les taux de conversion d’un site[5]. L’inverse est également vrai : un micro-détail dans une interface peut faire perdre des milliers d’usagers. Sur nos écrans, le design dans sa dimension interactive est donc un atout avéré et puissant.

Les grandes organisations ne conçoivent plus un produit sans intégrer une réflexion UX dès les premières phases. Cette approche, issue du design thinking, inspirée des méthodes agiles, repose sur une série d'itérations : recherche utilisateur, tests de parcours, prototypage, mesure, puis adaptation. Il s'agit de concevoir en partant de l'usage avant toutes considérations esthétiques.

L'IxD est désormais considéré comme un indicateur de performance. Une étude de McKinsey montre que les entreprises les plus avancées en design dépassent leurs concurrentes de 32 % en chiffre d'affaires[6]. L'enjeu n'est pas seulement ergonomique, mais stratégique.

L’exemple de la technologie Rive

Le passage de l'intention à l'interaction nécessite des outils adaptés. Parmi eux, la technologie développée par la société Rive propose une réponse concrète aux promesses de l’IxD. Contrairement aux formats vidéo ou aux fichiers exportés, Rive permet de créer des éléments graphiques qui réagissent en temps réel aux gestes des utilisateurs. Les animations ne sont plus jouées, elles sont interprétées à la volée par un moteur intégré dans l'application cible (jeux vidéo, site internet, application mobile, borne tactile, tableau de bord d’un véhicule, etc.).

Des entreprises comme Google, Canva, Dropbox ou Philips ont intégré Rive dans leur chaîne de production pour son adaptabilité, la légèreté du format des fichiers et le pont qu’elle crée entre design et développement[7].

Figma, Framer ou Protopie, outils de création digitale, sont incontournables dans la phase de prototypage. Mais leur logique s’arrête au mieux à la simulation. Rive, en revanche, produit des éléments opérationnels. Il permet d'animer, de tester, et d'intégrer sans rupture. Le design interactif y trouve un prolongement naturel, du croquis à l’environnement d'exécution (runtime).

 

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Vers une éthique de l'interaction

Une transformation profonde est à l’œuvre : nous passons d'une logique de diffusion à une logique de transaction. Le design interactif devient le médiateur de cette nouvelle économie de l'attention où la valeur ne réside plus dans le contenu mais dans la qualité de la relation qu'il instaure.

Si l’attention est la monnaie rare, le design interactif détient un pouvoir considérable. Il peut émanciper ou asservir. Ceci interroge notre capacité collective à préserver l’autonomie du jugement dans un environnement conçu pour accaparer et spéculer sur la valeur attention.  La question n’est plus technique, mais éthique : quelle grammaire de l’interaction voulons-nous ?

Le design de l’interaction engage une responsabilité nouvelle : créer des environnements qui stimulent sans manipuler, qui captivent sans aliéner. L’éthique de l’interaction devient un impératif stratégique. Car le design interactif n’est pas un simple outil, c’est le terrain où se joue notre liberté d’attention.

Frédéric Berria  

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[1] Herbert A. Simon, "Designing Organizations for an Information-Rich World", in Martin Greenberger, Computers, Communication, and the Public Interest, Baltimore, MD: The Johns Hopkins Press, 1971, pp. 40-41.

[2] “Duolingo Takes Online Teaching To The Next Level, By Crowd Sourcing New Languages”, lien

[3] Don Norman, "The Design of Everyday Things", Revised and Expanded Edition, Basic Books, 2013, p. 10.

[4] Richard H. Thaler et Cass R. Sunstein, "Nudge: Improving Decisions About Health, Wealth, and Happiness", Yale University Press, 2008.

[5] “The Six Steps For Justifying Better UX”, lien.

[6] McKinsey Design Index, "The Business Value of Design", McKinsey & Company, 2018.

[7] Rive.app, "2024 in Review", https://rive.app/blog/2024-in-review.

26/06/2025

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