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Christine de Langle est Historienne de l’art et Fondatrice d’Art Majeur.
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Première rétrospective en France, première monographie en français, Ilya Répine est enfin reconnu en France, lui qui, en Russie « comme Pouchkine fait partie de l’air qu’on respire » selon la formule d’André Markowicz, talentueux traducteur des grands auteurs russes. Admiré par les soviétiques d’hier comme « vrai réaliste », il est vu pas les russes d’aujourd’hui comme l’incarnation de l’âme russe. Le réalisme pictural semble avoir autant de facettes que le mot « réel » aujourd’hui.
Répine ou l’âme russe
Accueilli par une scène d’Ivan le Terrible, film réalisé en 1944 par Eisenstein à la demande de Staline, le visiteur découvre, salle après salle, un monde tour à tour familier et étranger, souligné par une magnifique scénographie. Violence, charme, présence, tout est porté à un haut degré d’incandescence. Peindre l’âme ? Qui s’en soucierait encore aujourd’hui ? Mais pour un russe, peindre l’âme est une évidence, n’est-ce pas ce qu’ont fait toute leur vie Dostoïevski, Pouchkine, Tchekhov ou Tolstoï. Auteurs de ces fameux « romans russes » qui, pour nombre de lecteurs français, sont synonymes de milliers de pages et de personnages, qui dessinent des territoires immenses et des caractères paradoxaux, des âmes tourmentées par le grandiose, le sacré, la faute et le pardon.
Contemporain de tous ces russes que nous abordons avec effroi ou enthousiasme, Répine nous fait regarder la Russie et nous apprend à la voir.
Peindre le peuple russe
Issu d’une famille d’anciens serfs, Ilya Répine (1844-1930) se forme à l’Académie impériale des beaux-arts de Saint-Pétersbourg. Au programme, dessin, peinture et restauration d’icônes. Il abordera tous les genres picturaux, avec une prédilection pour les portraits et laisse une œuvre graphique importante.
Les débuts de son activité picturale sont contemporains de grandes réformes sociales en Russie dans les années 1860 : l’abolition du servage entraîne un sentiment de dette et de responsabilité envers le peuple, sentiment éprouvé par cette intelligentsia libérale et instruite à laquelle Répine appartient. « Notre juge est maintenant le moujik, voilà pourquoi l’art doit refléter ce qui l’intéresse » écrit-il. Ce qu’il entend par réalisme, c’est peindre « le visage, l’âme humaine, le drame de la vie, les émotions que provoquent la nature… ». Il rejoint les préoccupations sociales de Tolstoï, le « comte-moujik », auquel le lie une solide amitié illustrée par de nombreux portraits visibles dans une section de l’exposition qui lui est consacrée.
Proche du mouvement des « Ambulants », ces artistes russes qui dénoncent la sclérose de l’enseignement académique pour rapprocher l’art du peuple par le choix de sujets populaires et par l’organisation d’expositions dans tout le pays, il s’en détourne par l’absence volontaire de pathos et de jugement moral. Son tableau « Les Haleurs de la Volga », exposé en 1873 à l’Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg, reçoit ce commentaire enthousiaste de Dostoïevski « les haleurs, de véritables haleurs et rien d’autre. Aucun ne lance au spectateur : Regarde combien je suis malheureux et à quel point tu es redevable envers le peuple ! ».
C’est aussi le peuple qui occupe le premier rôle dans cette commande officielle Alexandre III recevant les doyens des cantons dans la cour du palais Pétrovski à Moscou peint en 1886. Répine illustre l’unité de la nation autour du tsar et du peuple, ce peuple russe qui sera toujours dans l’histoire du pays une force de soutien ou d’opposition.
Saint-Pétersbourg- Paris
Grace au succès de cette œuvre, Répine reçoit une bourse d’étude et part travailler à Paris entre 1873 et 1876. Moment charnière de l’éclosion de la peinture impressionniste qu’il appelle « réaliste ». Il y trouve une colonie russe importante réunie autour de Tourgueniev. Installé à Montmartre, il délaisse les musées pour découvrir la peinture des galeries et des ateliers. Il est séduite par la vitalité de la vie parisienne (Le Café parisien) et par cette peinture claire. Encouragé par le paysagiste Bogolioubov, il part pour la Normandie. Ses vues de Veules-sur-mer montrent une liberté de la touche toute nouvelle. Pour beaucoup d’artistes russes, l’avenir passe par les impressionnistes « même si la « légèreté » de la forme française ne peut pas être transplantée dans la peinture russe » selon Tatiana Yudenkova (Conservatrice Galerie nationale Tretiakov). Du côté français, il y a au XIXe siècle une passion pour la Russie et sa production artistique découverte grâce aux expositions universelles.
Répine portraitiste de l’humanité
De retour à Moscou, Répine cherche à explorer la vie sous toutes ses manifestations. « Oui, j’aime tout de l’humain et n’en refuse rien ». Fasciné par la complexité de l’âme humaine, il peint des portraits d’une rare présence. Le cercle familial est saisi dans son quotidien (travail, sommeil, méditation) avec une grande délicatesse de touche. Devenu le portraitiste le plus célèbre de son temps, c’est toute la société russe qui se dévoile, politiques, femmes du monde, mécènes, écrivains et musiciens (de Moussorgski à Glinka). Beaucoup de commandes viennent du collectionneur Trétiakov.
C’est aussi le portrait de cette Russie victorieuse avec Les Cosaques zaporogues écrivant une lettre au sultan de Turquie qui nous rappelle l’histoire de ces hommes libres qui gardaient les frontières de la « Petite Russie », région natale de Répine aujourd’hui en Ukraine. La truculence des visages moqueurs, la diversité des types physiques font percevoir au visiteur la complexité d’un pays aux onze fuseaux horaires. Le tableau sera acquis par le tsar Alexandre III.
Tout au long de l’exposition Répine fixe les traits du pouvoir russe et son incarnation, le tsar. D’Alexandre III et sa famille à Nicolas II et Kerenski, premier ministre éphémère chassé par les bolcheviks, l’artiste observe et rend compte. Dès 1903, il s’installe en Finlande devenue indépendante en 1917, il restera dans cet exil malgré les sollicitations du régime soviétique.
« Je place la vérité de la vie au-dessus de tout »
C’est un artiste au sommet de sa gloire qui enseigne désormais à l’académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg. Sa notoriété le protège et lui permet une grande liberté dans le choix de ses sujets. Ils ne l’attendaient plus explore le thème du retour du proscrit dans sa famille après des années de déportation. Répine saisit l’instant de stupéfaction qui saisit la famille de l’exilé et les regards échangés sont faits de méfiance, de doute, d’attente, d’incrédulité et de joie.
Cette recherche de vérité peut prendre un tour plus métaphysique. «Tout art véritable crée un lien direct avec le Créateur ». Est-ce ainsi que nous devons comprendre La Procession religieuse dans la province de Koursk ? Dans la tradition russe, le thème de la procession est à rapprocher du pèlerinage, de la quête spirituelle sur le chemin de la vie. Répine tout en individualisant ses personnages (le bossu estropié, au premier plan) réussit à donner une image de la Russie « vivant dans l’attente de la grâce ».
Un artiste russe
L’exposition s’achève par deux grands formats qui impressionnent par les sujets traités, la liberté de la touche, et l’audace des couleurs. Golgotha (1925) présente la croix du Christ « déjà vide » et à ses pieds, des chiens qui en lèchent le sang. Une telle audace ne peut venir que d’un artiste qui avoue que « l’artiste le plus génial de l’univers est Dieu ». A côté de cette vision ténébreuse d’espérance, c’est la vie bruyante qui jaillit de cette danse échevelée, Le Gopak, Danse des cosaques zaporogues, (1930), fantaisie peinte en hommage au compositeur Moussorgski.
La mort et la vie, le profane et le sacré, le ridicule et le grandiose, jamais rien de médiocre chez un russe, tout est grand.
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Ilya Répine 1844-1930
Paris, musée du Petit Palais
Du 5 octobre 2021 au 23 janvier 2022
06/01/2022