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Louis Colin est Président-fondateur du cabinet Poincaré Consulting.
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Des défis planétaires à relever
Dire que l’Humanité doit aujourd’hui faire face à des défis planétaires qui mettent en péril - si ce n’est sa survie - sa capacité à évoluer dans les prochaines années dans un monde souhaitable semble désormais chose convenue.
Certains constats, bien que connus, doivent ici être rappelés.
L’activité humaine entraîne actuellement une dégradation rapide, brutale et dramatique de l’environnement. Le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité, les pollutions diverses, l’artificialisation des sols ou l’acidifications des océans préludent à une baisse significative de la qualité de vie sur Terre pour une majorité d’êtres humains. Aussi, en rendant plus difficile l’accès aux ressources vitales, en menaçant la sécurité alimentaire de certaines zones géographiques et en déclenchant des migrations forcées, les désordres environnementaux s’accompagneront nécessairement de vives tensions en matière de sécurité internationale.
À cette première problématique s’ajoute celle, tout aussi alarmante, relative à la croissance continue des inégalités économiques de par le monde depuis une quarantaine d’années. Identifiée et documentée par de nombreux économistes[1], comme par la Banque Mondiale ou l’ONG Oxfam, cette croissance fait peser de lourds risques sur la cohésion des sociétés, et sur l’idée même de démocratie.
Parallèlement à ces deux sources de préoccupations, la quatrième révolution industrielle - celle de l’intelligence artificielle (IA), de la robotique, de l’internet des objets (IOT), des nanotechnologies, des biotechnologies et de l’informatique quantique, etc. - semble avoir débutée. Si d’aucuns la considèrent comme une solution pour répondre aux précédents enjeux, gageons qu’une course effrénée à l’innovation serait susceptible d’entraîner au moins autant de nouveaux problèmes qu’elle en résoudrait d’anciens. Les nombreux débats relatifs aux enjeux éthiques de l’IA ou à la sobriété numérique en sont de bonnes illustrations.
Comment s’assurer dès lors que la révolution technologique en cours permette effectivement à l’Homme de surmonter les défis exposés et qu’elles ne les rendent pas, au contraire, plus prégnants encore ?
Peut-être en réaffirmant d’abord fermement que les réponses aux défis planétaires appartiennent avant toute chose à la sphère politique, entendue ici dans un sens large. La technologie ne représente, quant à elle, qu’un instrument, parmi d’autres, pour y parvenir. Dans ce contexte, force est de constater que, malheureusement, la façon dont s’exerce aujourd’hui "la politique internationale" semble limiter notre capacité à faire coïncider progrès technologique et progrès sociétal et écologique.
La place des multinationales dans la politique internationale
Depuis les années 90, la mondialisation a considérablement diminué le pouvoir des États dans les relations internationales. De même, les institutions internationales restent largement sans autorité réelle et semblent même aujourd’hui en passe de voir leur portée symbolique balayée par la crise actuelle du multilatéralisme.
A contrario, les entreprises multinationales ont vu leur pouvoir décupler. De plus en plus puissantes économiquement, capables de créer de la norme via la soft law ou plus indirectement via le lobbying, détentrices de savoirs et d’un capital informationnel fort, elles influent largement sur la politique économique internationale.
Or, les acteurs du secteur privé représentent les premiers gardiens de l’innovation. Fer de lance du progrès technologique, ils définissent et modèlent le futur de l’Humanité. En dehors de tout processus démocratique, les sociétés multinationales identifient, en fonction d’intérêts économiques propres, les développements technologiques qui leur paraissent nécessaires ou superflus. Rappelons-le, la technologie n’est pas neutre et porte en elle les objectifs qu’elle sous-tend. Un procédé technique pensé d’abord pour être profitable n’est pas un procédé technique pensé d’abord pour lutter contre le réchauffement climatique.
Comment faire donc en sorte que les multinationales proposent un progrès technologique qui soit également facteur de progrès sociétal et écologique ? Plus encore, comment les encourager ou, à défaut, les contraindre à poursuivre des objectifs stratégiques qui soient conformes ou indolores pour l’intérêt général ou qui, a minima, intègrent les externalités négatives de leur modèle d’affaire ?
Disons-le d’emblée : la mise en œuvre actuelle du concept de développement durable, censé permettre la conciliation des impératifs économiques, environnemental et social n’est pas à la hauteur des enjeux. La même observation peut d’ailleurs être faite à l’encontre des mécanismes de RSE ou des déclarations de principes de type Objectifs du Développement Durable (ODD), quand bien même leurs objectifs s’avèrent louables. Que faire dans ce contexte ?
Transformer les modèles d’affaires
Si l’urgence commande de proposer des solutions, la transformation en profondeur de modèles économiques établis demeure néanmoins éminemment complexe. À ce titre, il semble trop optimiste d’attendre des entreprises multinationales qu’elles changent, par elles-mêmes et sans aide de la part des pouvoirs publics, les normes de marché qui sous-tendent leur activité économique actuelle. Elles n’en ont d’ailleurs pas la légitimité.
C’est bien aux États et aux groupements étatiques que revient de soustraire les entreprises multinationales au dogme de la maximisation des profits et d’inventer un cadre juridique et économique permettant le changement vers des modèles de création de valeur environnementalement et sociétalement responsables.
Pour ce faire, il conviendrait en premier lieu que tout investissement capitalistique soit prioritairement dirigé vers des projets à impact positif. Cela devrait par exemple se traduire par la mise en œuvre d’une fiscalité différenciée, significativement favorable aux investissements "durables" et décourageant sévèrement les investissements spéculatifs et courts-termistes. De la même manière, la fiscalité applicable aux entreprises pourrait être allégée pour celles qui possèdent le label de société à mission prévu par la loi PACTE. Toute subvention ou participation au capital de la part de l’État devrait en outre avoir pour objectif partiel d’inciter les entreprises à adopter ce type de statut.
Mais la transformation des modèles économiques passe également par une transformation de l’organisation de la gouvernance des entreprises multinationales. Afin de contrebalancer le poids des actionnaires sur les décisions stratégiques, il semble ainsi nécessaire de réfléchir aux moyens d’intégrer, systématiquement et effectivement, des représentants de salariés et de parties prenantes à la conduite des affaires.
Enfin, il est urgent de reconnaître collectivement que le chemin du progrès technologique ne peut être tracé par le seul secteur privé, sans considération pour l’expression démocratique. Si l’État n’a bien entendu pas vocation à fixer des objectifs de production comme en ex-URSS, il lui appartient cependant de fixer le cadre d’une "responsabilité technologique des entreprises" qui soumette les entreprises à un devoir de vigilance renforcé eu égard aux applications technologiques qu’elles développent et, in fine, d’encourager la recherche et le développement d’innovations qui répondent aux défis planétaires actuels.
Si cette solution devrait par ailleurs permettre aux entreprises de faciliter l’acceptabilité sociétale de leurs produits technologiques, rappelons néanmoins qu’elle demeurera tout à fait insuffisante si elle ne s’accompagne pas d’incitations économiques suffisamment fortes pour la rendre sincère.
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[1] Au premier rang desquels le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, notamment dans son ouvrage "Le prix de l’inégalité", 2012.
18/11/2020