L’autonomie stratégique et la sécurité nationale

26/03/2022 - 6 min. de lecture

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Olivier de Maison Rouge est Docteur en droit, Avocat spécialisé en intelligence économique (Lex-Squared) & Conférencier. Il est également l'auteur de "Penser la guerre économique. Bréviaire stratégique" (VA Editions 2018), de "Survivre à la guerre économique. Manuel de résilience" (VA Editions) et "Gagner la guerre économique. Plaidoyer pour une souveraineté économique & une indépendance stratégique" (VA Editions - mars 2022)

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Il aura fallu que le monde affronte une pandémie planétaire pour que toutes les Nations se voient directement affectées par les conséquences désastreuses des délocalisations industrielles massives et que les économies se retrouvent dépossédées de l’essentiel.

À l’heure où sonne la démondialisation et le retour à l’autonomie stratégique, telle que prononcée par le Président de la République Emmanuel Macron lui-même, en mars 2020, il s’avère que mettre fin à plusieurs décennies de dépendances industrielles, de soumissions commerciales, d’abandons de savoir-faire ne se résout pas d’un simple trait de plume.

Cela se met en œuvre dans le cadre d’une stratégie de long terme, trop longtemps occultée au profit d’un objectif court-termiste dicté par des profits immédiats.

 

La sécurité nationale à la rescousse

Précisément, nous pensons que cette doctrine de relocalisation, et plus largement d’anticipation stratégique, doit se penser dans le cadre de la sécurité nationale, fondement régalien du temps long et condition de l’indépendance nationale, telle qu’elle s’inscrit dans la Constitution du 4 octobre 1958 et dont le Président de la République est le garant (article 5).

Le principe même de sécurité nationale est essentiellement une approche empirique évoluant selon les circonstances. Elle repose sur un consensus visant à la sécurité de la Nation dans toutes ses dimensions essentielles : bien-être de la population, paix sociale, justice, sécurité intérieure, permanence des activités névralgiques, stabilité et expansion économiques, défense, etc. Elle se donne pour finalité de réduire les menaces contemporaines identifiées et d’y répondre le cas échéant.

Pour les États-Unis d’Amérique, qui en ont été des précurseurs modernes, le concept de sécurité nationale dépasse largement le seul cadre de la défense. Ils ont notamment intégré sans complexe l’économie à leur stratégie, estimant qu’elle participe à la prospérité nationale, à travers l’accès aux ressources indispensables, la sûreté des voies commerciales, la protection des services et réseaux numériques… Cette question de la stratégie de sécurité économique avait été élaborée dès 1947.

La France évoque seulement en 1994 la question de la sécurité nationale. En 2008, sous l’impulsion du Président Nicolas Sarkozy, le vocable de "sécurité nationale" s’étend aux politiques de sécurité intérieure, aux relations internationales et aux questions économiques (Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, 2008).

C’est dans cet esprit qu’a été institué un Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN) que le Président Emmanuel Macron a dernièrement réuni durant la crise du Covid-19, élargissant per se son champ d’intervention aux questions sanitaires.

Car, auparavant, à rebours de la conception américaine, la France avait limité le principe de sécurité nationale quasiment au seul domaine de la défense (sous l’article L. 1111-1 du Code de la défense). Dès lors, la France semble avoir su récemment faire évoluer sa doctrine en matière de sécurité nationale, épousant davantage la profondeur et  l’étendue de la véritable stratégie telle que définie aux les États-Unis.

Sous l’égide du Secrétariat Général à la Défense et à la Sécurité Nationale (SGDSN), placé auprès du Premier ministre, la sécurité nationale a depuis lors été largement forgée sous l’angle des risques majeurs susceptibles d’affecter la Nation : menace terroriste, risques sanitaires, les risques technologiques (de type nucléaire ou chimique, affectant notamment les sites Seveso), les risques naturels et les risques cyber.

Cette litanie répond globalement à l’approche impérieuse de sécurité et de cohésion de la Nation. Ce n’est donc pas tant la lettre qui manque (encore qu’elle soit visiblement datée), mais peut-être est-ce l’esprit qui fait défaut.

 

À la recherche des activités économiques stratégiques

Par voie de conséquence, la sécurité nationale, telle que relevée ci-dessus, a pour but de faire respecter l’intérêt supérieur de la Nation dans toutes ses dimensions pour le bien-être de sa population et la défense de son territoire.

En application de l’article 410-1 du Code pénal : "les intérêts fondamentaux de la Nation s'entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l'intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l'étranger, de l'équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel".

Pour autant, les pouvoirs publics peinent encore à définir les secteurs économiques essentiels, comme l’a récemment illustrée la contradiction des autorités sur le travail effectif des salariés et les commerces essentiels en période de confinement.

Et pourtant, plusieurs précédents existent : 

  • En matière de protection du potentiel scientifique et technique de la Nation (PPSTN), les secteurs stratégiques de la recherche ont été pointés : biologie médecine et santé, chimie, mathématiques, physique, sciences agronomiques et écologiques, sciences de la terre et de l’univers, espace, sciences e technologies de l’information et de la communication, sciences pour l’ingénieur.
  • En matière de cybersécurité, le régime des Opérateurs d’Importance Vitale (OIV) et celui des Opérateurs de Services Essentiels (OSE) recensent déjà les activités économiques stratégiques : énergie, transports, banques et assurances, éducation, santé, distribution d’eau potable, restauration collective.
  • Du côté du contrôle des investissements étrangers en France (IEF), fixant un régime d’autorisation préalable par Bercy pour l’acquisition d’entreprises ou de branches d’activités relevant de cette catégorie, on trouve désormais : jeux d’argent, activités de sécurité privée, activités de R&D sur des agents pathogènes, activités portant sur des matériels techniques d’interceptions de sécurité, cyber sécurité, biens et services à double usage (civil-militaire), chiffrement numérique, défense nationale, infrastructures de continuité et sécurité essentielles, R&D en matière de cybersécurité, hébergement de données sensibles.

Si ce corpus des activités économiques stratégiques semble relativement bien perçu par les pouvoirs publics, il n’en demeure pas moins que malgré ces dispositifs, le lien de dépendance économique ou technologique reste encore trop peu pris en considération.

 

L’autonomie stratégique de la Nation

C’est pourquoi, la doctrine de sécurité nationale doit désormais s’assigner plus précisément à viser l’autonomie stratégique, seule condition de l’indépendance comme l’avait voulu en son temps le Général De Gaulle, dont nous célébrons cette année les 80 ans de son appel à la résistance et les 50 ans de sa disparition.

Rappelons enfin que la doctrine de sécurité nationale se pense et s’applique à l’échelon du pays, sans délégation européenne.

En effet, en vertu de l’article 4§2 du Traité sur l’Union européenne, il est expressément stipulé : "l'Union respecte l'égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l'autonomie locale et régionale. Elle respecte les fonctions essentielles de l'État, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre".

Cette préoccupation cardinale, au niveau français, relève donc par essence du Politique (au sens noble) vu comme le fait d’assurer "la sécurité extérieure et la concorde intérieure d’une unité politique particulière en garantissant l’ordre au milieu de luttes qui naissent de la diversité et de la divergence des opinions et des intérêts. (…) Elle est variable et adaptée aux circonstances" (Julien Freund, L’essence du politique, thèse, 1965).

Voici la tâche désormais assignée aux dirigeants de notre pays, à méditer à l’approche d’une élection cruciale

Olivier de Maison Rouge

26/03/2022

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