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Le Général (2s) Jean-Pierre Meyer a accompli une partie de sa carrière dans le renseignement et les opérations. Il a notamment été directeur des opérations à la Direction du renseignement militaire puis directeur au Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale. Il a accompli, par ailleurs, plusieurs séjours en opérations extérieures notamment à Sarajevo comme commandant en second des forces multinationales.
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Trois techniques de recueil d’information
1/3 : "L’offensive par le réel"
2/3 : "La défensive par le mensonge"
3/3 : "L'enfumage"
« La défensive par le mensonge »
Cette technique classique est présentée dans de nombreux manuels de stratégie. Mais comme tout ce qui est classique et souvent cité, on finit par ne plus y prêter attention. Pourtant cette technique bien employée peut s'avérer très utile dans le cadre d'une politique de développement, militaire ou civile. Elle consiste à afficher, en face d’un concurrent ou d’un interlocuteur dont on doute de la sincérité, une position plus faible que la réalité. Elle permet donc de gagner du temps pour son développement.
Le dicton « pour vivre heureux, vivons caché » est un bel idéal, mais difficile à tenir en pratique. Un Etat ne peut de fait être caché sur la scène internationale. Il en va de même pour un individu, une entreprise ou toute organisation qui est en dynamique. Tout État, ou toute institution parvenue à un certain niveau de développement, mobilise une partie de son personnel pour faire de la veille, de l’analyse et ainsi étudier les positions des autres acteurs de son écosystème. Toute dynamique est dès lors vite découverte et entraîne la volonté d’en comprendre les ressorts. Afin d’éviter que les informations recueillies suscitent des investigations plus poussées (par la voie d’agents de renseignement, d’agences d’intelligence économique ou stratégique, d’intrusions cyber, etc.), il est parfois préférable d’accepter d’aller au contact, voire de l’initier. C’est la raison pour laquelle il est si important de maîtriser sa communication et de diffuser, dans son cercle d’action ou sur un théâtre d’opération, des informations sur ses réalisations et ses objectifs. Cette diffusion d’informations passera par des actions traditionnelles de communication (réseaux sociaux, conférences, publicité, etc.) mais aussi par des agents au plus près du terrain qui auront été parfaitement briefés sur les informations à transmettre ou sur celles à recueillir.
Apparaitre fort quand on est faible, oui mais avec beaucoup de modération
On cite souvent le vieux principe développé dans le traité de Sun Tzu : « apparaître fort quand on est faible et faible quand on est fort ». Mon expérience m’a conduit à observer que la première proposition ne se confirmait pas toujours. La seconde est plus opérationnelle. On comprend aisément qu’un État disposant d’un territoire doit inspirer la crainte pour éviter une invasion ou une attaque. La technique décrite par Sun Tsu peut alors s’avérer efficace. Mais nous avons pu constater au cours des dernières décennies que les États qui ont souhaité afficher une force militaire supérieure à leur capacité réelle ont très vite eu de la part d’autres pays une réaction forte avec les conséquences que l’on connaît (on pense notamment à l’Irak présentée dans les années 90 comme la 5ème armée du monde). Cette technique présente donc des risques non négligeables d’altérer son développement du fait d’un regain d’attention d’autres acteurs (des dominants qui s’inquiéteraient de la montée en puissance d’un nouvel entrant ou d'une alliance d’acteurs plus faibles). Les autres organisations, comme les entreprises, me semblent confrontées aux mêmes difficultés. J’ai bien noté qu’il s’agissait parfois d’une technique pour entrer sur un marché ou pour lever des fonds, mais plusieurs raisons peuvent expliquer que cela ne se traduise pas par de grandes réussites en général. La première est qu’apparaître fort suscite l’intérêt de votre interlocuteur qui peut vous identifier comme un risque ou une opportunité, voire les deux. Il lui faudra, avant de prendre toute décision, déclencher une opération de recueil d’informations. Elle débouchera rapidement sur le fait que vous avez très largement exagéré vos forces (pas ou peu de chiffre d’affaires, des technologies sans grande valeur ajoutée, etc.). Plus largement, le problème avec cette posture est qu’elle est assez facilement décelable pour un interlocuteur avisé. La voie du succès étant souvent pavée d’échecs, un acteur implanté depuis longtemps sur un territoire ou dans un secteur d’activité a très certainement dû, dans son parcours, affronter quelques revers. Il connait donc les erreurs à éviter, les obstacles à franchir ou encore les audaces à tenter. Dès lors, lui tenir un discours de réussite qui ne repose sur aucune réalité lui apparaitra abstrait, désincarné, théorique et donc probablement faux.
Apparaître fort quand on est faible ne présente donc que peu d’utilité lorsque l’on vise le développement d’une institution à part celle de satisfaire son ego en se prêtant ou en prêtant à son institution une force bien supérieure à la réalité. Elle ne pourra que convaincre des interlocuteurs sans intérêt pour votre développement.
Apparaître faible quand on est fort, « la défensive par le mensonge »
On a tendance à penser que cette posture est dangereuse ou simplement inutile car l’autre sait des choses sur nous. Il me semble important de rappeler que c’est une erreur de penser que l’autre sait tout de nous, il n’en sait souvent pas plus que l’on en sait sur lui. Il a aussi probablement en tête des choses fausses. C'est l'un des effets de la dynamique et de l'attention qu'elle entraîne que de susciter beaucoup de commentaires et donc à terme de constater que des choses fausses sont dites sur nous. Sur la scène internationale où les moyens mobilisés pour recueillir de l’information sont les plus forts, il arrive régulièrement que des décisions doivent être prises alors que les intentions des autres ne sont pas précisément identifiées. Les moyens développés permettent de réduire l’incertitude non de la supprimer. J’ai déjà eu l’occasion de le rappeler dans mon texte consacré à la traque de K. Les entreprises sont confrontées aux mêmes difficultés vis-à-vis de leurs concurrents.
Il ne s'agit pas de paraître fragile, mais plutôt dénué d’intérêt en évoquant des projets qui laissent insensibles ses concurrents. Cela laisse davantage de temps pour se préparer, observer les réactions et ainsi pouvoir procéder par effet de surprise si l’on souhaite passer à l’offensive. Il s’agit de gagner du temps pour se développer. S’il y avait un exemple caractéristique, il me semble que le développement de la Chine devrait être cité. Je ne compte pas le nombre de communications dans les années 2000, qui faisaient état d’une Chine sans créativité, à un niveau de développement peu avancé et mobilisée sur la production de produits à faible valeur ajoutée, une Chine retranchée sur elle-même de part son histoire et qui se désintéressait des affaires du monde. Je ne connais pas la stratégie réelle déployée par la Chine ces dernières décennies mais force est de constater qu’elle était présentée, et se présentait dans une certaine mesure, bien plus faible qu’elle ne l’était en réalité…
On pourrait débattre ici sur le terme de "mensonge". Il pourrait s'agir d'une technique qui fait appelle davantage à la ruse même si les deux ne sont pas exclusifs l'un de l'autre. Mais j'ai souhaité conserver le terme "mensonge" car il s'agit de mensonge par omission.
Apparaître fort quand on est fort : oui mais avec précaution
Communiquer sur sa force peut être utile si et seulement si la communication porte sur une partie de celle-ci et non sur l’ensemble de vos réussites, de vos projets en cours et de vos ressources disponibles. La force affichée pourra créer une forme de crainte et tenir à distance les concurrents ou les opposants. Les acteurs vérifieront la véracité des faits communiqués et découvriront que tout est vrai ce qui crédibilisera votre position et votre communication. Ils se diront alors que vous faites preuve de transparence sur vos actions et pourront penser que votre communication sur chacune de vos actions est le résultat d’une grande confiance, voire d’un excès de confiance, en somme de l’ego. Ils seront d’une certaine manière rassurés de suivre vos réalisations et pourront se situer par rapport à elles. L’habileté sera de ne pas les déjuger. La vérité sera plus complexe et plus stratégique. S’il faut reconnaître que communiquer sur une ou des réussites est toujours plaisant, il peut s’agir aussi, tel un magicien, d’attirer l’attention sur un point de lumière pour mieux préparer la suite de son tour et la chute qui suscitera la vraie magie, l’incompréhensible pour les spectateurs. Il s'agit, en termes techniques, de la "misdirection". A ce niveau d'action, les acteurs se font plus rares car il faut disposer d’une maîtrise assez fine des différents temps de l’action, d’une compréhension des acteurs de son écosystème, et enfin d’une connaissance profonde des ressorts de l'âme humaine. Mais cette posture est l’une des plus efficaces pour créer un effet de surprise…
Général (2s) Jean-Pierre Meyer
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06/02/2022