La protection juridictionnelle de la norme internationale de travail en droit prospectif
24/01/2015 - 7 min. de lecture
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« L’action normative est un instrument indispensable pour traduire, dans les faits, le travail décent »[1]. Mais à quoi à bon renforcer les droits par l’adoption de nouveaux textes si ceux-ci ne sont pas appliqués ? Le contrôle juridictionnel des normes internationales doit gagner en efficacité.
Droit du travail et droits de l’Homme. Par certains aspects, le droit international du travail relève des droits fondamentaux de la personne humaine. Plusieurs instruments internationaux adoptés sous l’égide de l’ONU l’illustrent. En 1998, l’Organisation Internationale du Travail (OIT), institution spécialisée de l’Organisation des Nations Unies (ONU), adopte une déclaration relative aux droits fondamentaux du travail. Cette dernière concerne notamment la reconnaissance effective du droit de négociation collective et l’abolition du travail des enfants. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques prohibe le travail forcé et la discrimination. Le Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels promeut des conditions de travail justes et raisonnables ainsi que la protection des activités syndicales.
Qualifier ces dispositions de « droits de l’Homme » permet de leur conférer une primauté juridique dont elles ne disposeraient pas simplement en tant que normes de droit du travail. Cette primauté se traduit par leur caractère impératif. En effet, bien que le droit international reste essentiellement volontaire et découle principalement des traités conclus entre États nationaux et souverains, certaines normes sont applicables même en l’absence d’engagement. Elles s’imposent malgré la volonté des États, en dehors de tout lien conventionnel. Juridiquement, ces normes constituent des règles de jus cogens – littéralement « droit contraignant » – auquel aucune dérogation ne peut être apportée[2].
Aujourd’hui, le caractère intransgressible de l’interdiction de l’esclavage ou du travail forcé ne prête plus à discussion. Demain, l’interdiction du travail des enfants et le droit à la négociation collective pourraient intégrer ce corpus de règles. Néanmoins, déclarer ce caractère indérogeable ne suffit pas nécessairement à en garantir l’effectivité. En pratique, cette dernière dépendra très largement de la portée qui leur est reconnue dans l’ordre juridique chargé de veiller à leur respect ainsi que des dispositifs de contrôle sur lesquelles elles peuvent s’appuyer[3].
Moyens de contrôle. L’essor des droits de l’Homme après la seconde guerre mondiale s’est accompagné d’une ascension du contrôle juridictionnel, gage de leur meilleur respect. Dans cette mouvance, l’OIT dispose d’un système de contrôle unique. Il est exigé des États membres qu’ils rendent annuellement compte de l’application des conventions ratifiées. De plus, un rapport relatif à leur législation et à leur pratique doit également être présenté à propos des conventions qu’ils n’ont pas ratifiées ; il s’agit de justifier des difficultés qui retardent cette ratification. À cette obligation de présenter des rapports s’ajoutent des procédures particulières de contrôle déclenchées par une réclamation ou une plainte. De manière générale, l’OIT fonctionne principalement grâce au dialogue et au consensus pour garantir l’application des grands principes proclamés. Pour l’heure, aucun tribunal rattaché à l’OIT ne statue ou ne sanctionne l’existence d’une violation des conventions internationales du travail. Seules la diplomatie et l’opinion publique internationale restent relativement efficaces pour amener un État à respecter ses engagements internationaux.
Crise de légitimité. À ces moyens de contrôle dont l’impact demeure variable s’ajoute une crise de légitimité de l’ONU qui rejaillit sur l’OIT. Les 5 membres permanents au Conseil de sécurité, en particulier la France et le Royaume-Uni, peuvent-ils toujours prétendre arrêter les décisions au nom de l’ensemble de la société internationale ? Tous les États n’adhèrent pas à l’universalisme des droits de l’Homme. Les puissances émergentes ont le sentiment qu’en leur en imposant le respect de standards de protection très élevés, les États occidentaux cherchent à enrayer leur développement. À titre d’exemple, les débats qui ont eu cours en 1994 à Marrakech au sujet de l’instauration d’une clause sociale[4] dans les accords du GATT ont été perçus comme une volonté protectionniste[5]. L’Histoire enseigne que le progrès social suit le progrès économique[6]. Pour obtenir le respect des normes fondamentales, la contrainte juridique ne suffit pas. La règle doit avoir été acceptée et s’ancrer dans les mentalités. À cet égard, il parait tout à fait indispensable que les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud voient leur rôle revalorisé afin que le Conseil de sécurité soit davantage représentatif du monde de demain[7].
Nécessité. Par définition, les droits de l’Homme ne peuvent revêtir des contenus variables. Les statistiques régulièrement publiées par les ONG témoignent de la nécessité d’accroitre leur protection. L’UNICEF estime qu’environ 150 millions d’enfants des pays en développement âgés de 5 à 14 ans, dont 4 millions au Brésil, travaillent dans des conditions souvent difficiles, voire dangereuses[8]. Certaines multinationales ont été éclaboussées par des accusations de travail forcé. Les marques H&M et Victoria’s Secret se sont fournies en coton ouzbek durant plusieurs années en dépit de la violation des droits de l’Homme à laquelle la cueillette donne lieu, notamment auprès des enfants déscolarisés[9]. En Birmanie, Total a contribué aux exactions commises par la junte militaire autour du gisement gazier de Yadana[10]. Durant la Coupe du monde de football 1998, la photo d’un enfant en train de coudre un ballon choque la planète[11].
Code de conduite. Ces groupes n’échappent pourtant pas à cette tendance de la plupart des sociétés cotées : l’édiction de règles morales. Les codes de déontologie interdisent notamment les actes de corruption ou de violation des droits de l’Homme. Les multinationales sont très sensibles à leur image. La pression de la société internationale à la suite de la révélation de ces pratiques contribue à les faire reculer. Néanmoins, la valeur juridique des chartes d’éthique, en tant que garantes de la responsabilité sociale des entreprises est très incertaine. Ce mode de régulation des relations sociales est volontaire et unilatéral, le code de conduite pouvant être retiré ou modifié à tout moment. Finalement, le droit international du travail reste, pour l’heure, une source d’inspiration pour les dispositions de ces codes d’initiative purement privé[12].
Alors, comment amener les entreprises multinationales à respecter un droit qui n’oblige que les États ? L’OIT est incapable d’assujettir les personnes privées – à moins d’utiliser la mauvaise publicité qu’un rapport peut susciter[13]. Une protection juridictionnelle serait souhaitable. Avant d’envisager la mise en place de nouvelles institutions, telles qu’un « tribunal de l’OIT » ou une « Cour mondiale des droits de l’Homme », coûteuses et dont la mise en place peut prendre plusieurs années, il convient de renforcer l’efficacité des institutions existantes.
Saisine de la CIJ. Les États parties à une convention internationale ont la possibilité de déposer une plainte auprès de l’OIT lorsqu’ils estiment qu’un des signataires ne respecte pas ces engagements[14]. Sur la base de cette plainte, une enquête est menée. À son terme, des recommandations sont formulées et l’État en cause doit indiquer s’il accepte de les appliquer ou non. En cas de refus, le différend peut être porté devant la Cour internationale de justice. Sa décision est insusceptible de voie de recours[15]. À ce jour, aucun recours n’a été introduit[16] Pour des raisons diplomatiques évidentes, les États n’utilisent pas la procédure du dépôt de plainte. Elargir la faculté d’initier cette procédure aux organisations professionnelles pourrait permettre de contourner ces réticences, du moins lorsque de telles organisations existent au sein de l’État en cause. Pour l’heure, les individus ne peuvent pas adresser de réclamation directement au BIT mais ils peuvent transmettre les informations pertinentes à leur organisation de travailleurs ou d’employeurs. Or, c’est la multiplication des recours qui permet de faire progresser le respect des droits de l’Homme. Pour preuve, en France, l’élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel par 60 députés et 60 sénateurs, puis l’adoption de la question prioritaire de constitutionnalité en 2010, ont conjointement contribué tant à l’affirmation de nouveaux droits fondamentaux pour les citoyens qu’à l’abrogation de lois inconstitutionnelles[17].
Saisine de la CPI. La Cour pénale internationale (CPI) juge les personnes accusées des crimes les plus graves qui touchent la communauté internationale. Sa compétence matérielle est limitée au génocide, aux crimes contre l’humanité, aux crimes de guerre et aux crimes d’agression. Ces infractions renvoient à des attaques systématiques et généralisées commises par un État, ce qui exclut que la Cour puisse juger une multinationale[18]. Or, l’esclavage et le travail forcé constituent des atteintes graves à la liberté et à la dignité des personnes. À ce titre, les responsables devraient encourir des sanctions pénales. Pour ce faire, un élargissement de la définition de crime contre l’humanité pourrait être envisagé[19].
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[1] BIT, « Réduire le déficit de travail décent : un défi mondial », rapport du Directeur général à la Conférence internationale du Travail, 89ème session, Genève, 2001, rapport I (A), p. 64.
[2] DECAUX Emmanuel, Droit international public, Hypercours, Dalloz 7ème édition, p. 63.
[3] HENNION Sylvie, LE BARBIER LE BRIS Muriel, DEL SOL Marion, Droit social européen et international, PUF, 2010.
[4] Cette clause fait du respect de certaines normes sociales une condition de l’obtention des avantages commerciaux du traité.
[5] TIBERGHIEN Frédéric, « La place de l’homme dans la société internationale », Revue internationale et stratégique 1/ 2001, n° 41, p. 63-91.
[6] « Performances économiques et progrès social – Les suites du rapport Stiglitz », INSEE, 4 septembre 2014.
[7] « Inde, Brésil, Afrique du Sud plaident pour une réforme de l’ONU », Le Point, AFP, 2011.
[8] BONNASSIEUX Mathilde et ZINGARO Frédéric, « Les petites mains d’une grande puissance », Arte journal, 2012.
[9] http://www.franceinter.fr/emission-ailleurs-le-coton-douzbekistan-produit-par-des-enfants.
[10] http://www.earthrights.org/campaigns/new-reports-link-total-and-chevron-human-rights-abuses-corruption-burma.
[11] DE FOUCAUD Isabelle, « Malgré les drames et scandales, l’industrie a la mémoire courte », Le Figaro, 13 mai 2013.
[12] « Les codes de conduite : engagement unilatéral des multinationales ou norme juridique ? », 1999, Voltaire.net. Source : Assemblée nationale.
[14] Articles 26 et suivants de la Constitution de l’OIT.
[15] Article 30 de la Constitution de l’OIT.
[16] Jurisclasseur, Traité – Fasc. 91-10 : Organisation internationale du travail.
[17] DENIZEAU Charlotte, « Droit des libertés fondamentales », Vuibert, Syna’Sup Droit, 2012, p. 94.
[18] DUPIRÉ Rémi, « La responsabilité sociale des entreprises transnationales à l’aune du Droit : analyse critique ».
[19] DUPIRÉ Rémi, « La responsabilité sociale des entreprises transnationales à l’aune du Droit : analyse critique ».
24/01/2015