Leçons et enjeux de la crise pandémique pour la sécurité

29/10/2020 - 5 min. de lecture

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Paulo Valente Gomes est Commissaire-général de la Police de Sûreté Publique du Portugal.

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Dans le contexte de la crise pandémique, économique et sociale que nous traversons, il est important de réfléchir sur les leçons apprises et les défis pour la sécurité (nationale et internationale). Même si, malheureusement, nous avons retiré peu de conséquences des crises sanitaires des deux dernières décennies, la gravité particulière de cette pandémie nous appelle à l’urgence de traduire en actions concrètes les leçons que nous apprenons aujourd’hui, avant qu’il ne soit trop tard.

Nous devons toujours considérer une crise non seulement comme un moment de danger mais aussi comme une occasion de prise de décisions, en particulier dans un domaine aussi sensible comme la sécurité, dans ses différents aspects.

Dans cet espace, nous ferons un résumé des nombreuses leçons apprises et les défis que cette crise nous pose, du niveau local au niveau planétaire, et qu’on peut énumérer en dix points :

  1. Prendre pleine conscience de l’extrême vulnérabilité de l’Homme, des États et des organisations internationales face à un simple virus et en retirer les conséquences. Après plusieurs épidémies qui ont touché l’Humanité au cours des dernières décennies, la pandémie actuelle est une occasion unique pour repenser sérieusement à des politiques publiques et des ressources efficaces de prévention et de réponse.
  2. Renforcer la souveraineté et l’indépendance nationale, en assurant l’existence et/ou le renforcement des réserves stratégiques de biens essentiels, le fonctionnement efficace des infrastructures critiques (santé, sécurité, alimentation, eau, énergie, transports) et le développement de centres de recherche et développement, en particulier dans les domaines de la santé et de la technologie.
  3. Mitiger, autant que possible, l’impact dévastateur que la crise aura aux niveaux économique et social dans les années à venir, en relançant l’économie, l’écologie et la cohésion sociale. La crise actuelle doit être l’occasion d’investir dans des secteurs stratégiques productifs, notamment écologique, technologique, numérique, énergétique, industriel, agricole et solidarité sociale, qui agissent à la fois comme facteurs de renforcement de l’indépendance nationale et de relance de l’économie, de l’emploi et de la cohésion sociale, ces dernier étant des garanties de paix et de sécurité.
  4. Mettre à jour les modèles nationaux et internationaux de gouvernance de la sécurité, revoir le concept stratégique de défense nationale et mettre en œuvre un concept de sécurité nationale, intégrant les volets militaire et civil, et comprenant un cadre réglementaire et une structure qui assurent, au plus haut niveau, la coordination nationale des parties prenantes publiques et privées.
  5. Renforcer le rôle des autorités locales et des réseaux locaux par une plus grande déconcentration et décentralisation des fonctions de l’État, tout en soutenant les capacités de la société civile à faire face à une crise de cette ampleur. La force de la solidarité et de la créativité de la société civile locale pour répondre à cette crise, qui est le dernier maillon de la chaîne lorsque les réponses régionales ou nationales sont insuffisantes ou tardives, ont été évidentes dans le monde entier.
  6. Consolider l’interdépendance et l’interconnectivité, notamment la numérique, en favorisant l’autonomie, la sécurité, la résilience et la redondance de nos réseaux d’information et de communication. Nous devons considérer, sur le plan national, la recherche et le développement, l’innovation technologique, le numérique et l’intelligence artificielle comme des atouts stratégiques incontournables, en renforçant ainsi l’autonomie des nations vis-à-vis de la Chine et des États-Unis et en améliorant la sécurité et la résilience de nos réseaux et de notre information et connaissance.
  7. Renforcer la capacité et la fiabilité des systèmes et des réseaux d’information et de communication, en particulier des réseaux sociaux, afin de prévenir la cybercriminalité et la désinformation et gérer la peur des gens en fournissant des informations opportunes et correctes. Dans ce domaine, il est important de recourir davantage à l’intelligence artificielle comme moyen de vérifier les sources d’information, en particulier lorsqu’il s’agit d’informations publiques sur la santé et la sécurité. La pandémie actuelle s’est accompagnée d’une "infodémie" – un excès d’information qui rend difficile la distinction entre l’information exacte et le manque d’information ou la désinformation.
  8. Assurer un suivi sanitaire adéquat et un dépistage des populations – surveillance de masse – par le biais de logiciels disponibles sur les téléphones mobiles, visant à surveiller et à contrôler la pandémie, dans la mesure du possible grâce à des solutions technologiques nationales, tout en assurant un équilibre juste et toujours difficile entre l’intérêt public - valeurs de santé et de sécurité publiques - et l’intérêt privé - valeurs de liberté, de protection des données personnelles et de la vie privée.
  9. Consolider le processus de transition vers un nouvel ordre mondial multipolaire, promouvoir le rééquilibre entre local et mondial, entre unilatéralisme (ou bilatéralisme) et multilatéralisme, en s’avérant urgent de renforcer et de crédibiliser le rôle de l’ONU en tant qu’organisation capable de gérer les crises planétaires. La réponse à la pandémie actuelle doit, par conséquent, être l’occasion pour le renforcement et de la consolidation du multilatéralisme, qui a permis la construction, au cours des dernières décennies, d’un ordre mondial de paix et de prospérité. L’Europe, ainsi que les puissances émergentes, ont ici une occasion unique de jouer un rôle décisif en tant que puissances d’équilibre. Cette crise a mis en lumière les graves vulnérabilités subies par l’ONU, en particulier l’OMS, et certaines grandes puissances mondiales dans la gestion efficace d’une crise mondiale qui exige des réponses coordonnées au niveau mondial. Il est donc important que l’ONU assume une fois pour toutes un véritable rôle de gendarme, axé sur la gestion des problèmes mondiaux tels que l’environnement et le changement climatique, la santé, la cybersécurité, le terrorisme, les conflits régionaux, les crises humanitaires et les migrations. Nous ne pouvons plus nous attendre à ce que les grandes puissances, per se, répondent aux problèmes mondiaux avec des solutions basées sur leurs intérêts nationaux.
  10. Contribuer à anticiper et atténuer les conséquences économiques et sociales de la pandémie également dans les régions les plus exposées aux crises humanitaires et aux conflits, comme l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Amérique Latine, notamment par le renforcement des programmes d’aide au développement et d’action humanitaire et par l’externalisation de la sécurité intérieure – coopération technique-policière, gestion des frontières, contrôle de flux migratoires, lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme et renforcement des missions de maintien de la paix. Ce virus n’est pas aussi démocratique qu’on l’avait initialement proclamé, car l’épidémie et ses conséquences économiques à court et à long terme affectent en particulier les populations les plus défavorisées et exclues d’un point de vue socio-économique et culturel, et les statistiques nationales et internationales en témoignent de façon dramatique.

Paulo Valente Gomes

29/10/2020

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